Suite (et hélas fin) de notre weekend dédié aux comédies musicales hilarantes de l’automne ; après Sammy J & Randy in Ricketts Lane hier, l’heure est venue de parler de la nouveauté américaine de l’automne qui s’arrange pour faire quelque chose d’original (et c’est déjà en soi une bénédiction), Crazy Ex-Girlfriend.
Rebecca Bunch a tout pour réussir : une brillante carrière d’avocate, un bel appartement new-yorkais, et euh… les messages d’agressivité passive de sa mère sur son répondeur. Oui, en fait, dans l’ensemble, la vie de Rebecca est assez morne. Jusqu’à ce qu’elle retombe par hasard sur son premier amour, Josh, avec lequel elle avait connu un bref été enflammé lorsqu’elle avait 16 ans, et que Rebecca décide de tout plaquer pour le suivre en Californie.
Évidemment ce seul pitch ne suffit pas à faire le génie de Crazy Ex-Girlfriend, et c’est vraiment le ton qui fait ici toute la différence. Après avoir brièvement évoqué d’autres séries (comme par exemple Eli Stone), et avoir proposé une séquence musicale d’ouverture spectaculaire, le premier épisode de Crazy Ex-Girlfriend ne trouve vraiment un ton et un rythme de croisière que lorsque son héroïne débarque à West Covina, California.
Après la chanson éponyme sur cette bourgade de Californie (à 2h de l’océan… 4h s’il ya des bouchons), certes difficile à égaler dans sa folie-douce spectaculaire, le pilote met en effet l’accent non pas sur de grandes démonstrations musicales mais plus sur le tempérament de son héroïne. Rebecca s’avère en effet n’être pas si frustrée que les premières minutes ne l’avaient laissé présager. C’est une jeune femme qui vit avec euphorie son arrivée dans la ville natale de son premier amour, et bien qu’elle se montre obsédée par l’idée de le rencontrer « par hasard », on peut la voir pendant de longues minutes prendre ses marques dans son nouveau cabinet, où qui plus est des personnages secondaires farfelus viennent diluer un peu l’impression de one woman show. Ce sont même ces interactions avec des locaux (dont, par la suite, un barman) qui font tout le sel de Crazy Ex-Girlfriend, plus que les enjeux amoureux qui servent de pitch à la série. Ils donnent la place nécessaire au personnage de Rebecca pour la voir se présenter sous un angle plus épanoui.
Ce premier épisode n’est pas parfait, et il faudra notamment que Crazy Ex-Girlfriend précise un peu son discours quant à la santé mentale de son personnage central ; il est difficile de dire si le terme « crazy » est ici utilisé à la légère (la « crazy ex-girlfriend » étant un cliché à elle seule, pour l’instant pas détrompé par cet épisode introductif) ou si les piluliers de l’héroïne ont vraiment un rôle à jouer dans la stabilisation de son comportement ou ses émotions. Pour l’instant c’est un peu des deux et cette vision simplificatrice peut laisser un arrière-goût un peu amer. Il reste aussi à voir comment l’obsession pour Josh va se transformer en intrigues intéressantes dans les épisodes suivants, sans pour autant que la série ne se montre répétitive ou ne se heurte trop vite à ses limites. Vu que la série se définit par la relation à Josh jusque dans son titre, et que tous les titres de la série semblent également inclure son nom, le danger est bel et bien omniprésent.
En tous cas, sur la fin du pilote, cette obsession va avoir des effets inattendus en rapprochant Rebecca d’une collaboratrice de sa firme, dans une excellentissime reprise de la chanson d’ouverture qui montre qu’une fois de plus cette saison, ce sont les alliances entre femmes qui font le sel des séries (c’était déjà mon impression après Grandfathered, par exemple, mais on en reparlera si je finis ma review). Et c’est déjà génial.
Ce qui donne un peu confiance en Crazy Ex-Girlfriend, c’est aussi le contrôle assumée par sa co-créatrice et interprète principale, Rachel Bloom, habituée aux chansons parodiques. Car outre l’hymne à West Covina, California, ce premier épisode inclut également une brillante chanson intitulée « The Sexy Getting Ready Song », pour laquelle Amy Schumer se donne sûrement des claques pour ne pas y avoir pensé avant. Bloom a une voix (au propre comme au figuré), et semble bien armée pour s’en servir même sur The CW (elle y repousse déjà quelques limites). Ce passage, ainsi que dans une moindre mesure la chute de l’épisode, donne de l’espoir sur le potentiel humoristique et musical, mais aussi quant au discours que la série va peut-être tenir derrière ses intrigues et numéros déjantés ; c’est justement le genre de chose qui peut faire la différence sur le long terme, pour que la série aille au-delà de l’effet de surprise et du sentiment de WTF did I watch qu’elle suscite pour le moment, à dessein.
Crazy Ex-Girlfriend est une série bien décidée à sortir du lot, et à le faire savoir. Son numéro musical de début le prouve, elle a envie de se faire remarquer pour sa dinguerie assumée. Cela l’oblige peut-être à en faire des tonnes pour être divertissante autour d’une idée bateau (et ancienne : Felicity was here), mais pour le moment cette envie de divertir à tout prix tourne à l’avantage du spectateur parce que le grain de folie est palpable et frais. C’est peut-être sur le long terme (si long terme il y a) qu’il faudra éventuellement s’inquiéter. Mais on en est pas là, on a même vraiment de la marge, alors autant profiter cette nouveauté un peu fofolle en un début de saison américain qui manque résolument de cachet.