Parfois je me demande d’où vient mon affection pour les pilotes de séries (un terme que j’admets bien volontiers utiliser pour couvrir tous les « premiers épisodes », qu’ils aient été produits à l’américaine ou non). J’aime être introduite à un nouvel univers, c’est un facteur important : même quand je sais que je n’apprécierai pas une série, que son objet ne m’intéresse pas ou que tout simplement j’ai mieux sur le feu ailleurs, j’aime bien essayer de trouver du temps pour regarder comment elle démarre. C’est si formidable d’être happée par une nouvelle série, avec son ton, ses personnages, ses thèmes, et de vivre ce premier épisode introductif comme une chance de découvrir une nouvelle façon de faire de la télévision, une nouvelle nuance sur la palette. Et puis, a beginning is a very delicate time, et c’est là le seul défi qu’une série ne peut éviter : toute série se doit d’avoir un commencement ; après, chacune fera bien comme elle voudra, mais le début, on ne peut pas y couper, il faut bien introduire le spectateur à un univers. Dans le temps, beaucoup de séries (surtout à une époque où le feuilletonnant n’était pas encore entré dans les mœurs) faisaient l’impasse sur ce passage obligé, résumant leur mise en situation à quelques scènes, à un hôte ou une voix-off, ou même un simple générique (mais quels génériques ça a donné, par contre !). Aujourd’hui il est de plus en plus compliqué de passer au travers de ce passage obligé. Il faut poser les personnages, donner quelques idées aux spectateurs sur ce qui les anime, ce qu’ils veulent, et tout simplement ce qu’ils font. Tout doit avoir du sens, dans un pilote, et pourtant il ne faut pas non plus qu’on ait l’impression d’avoir tout vu. C’est un dosage très compliqué. C’est la raison pour laquelle la plupart des critiques de séries s’accordent à dire que le pilote est souvent l’épisode le moins abouti d’une série, ce qui tombe sous le sens chronologiquement et narrativement. Mais rien à faire, j’adore en tester de nouveaux.
Quand j’ai appris que le créateur de FBI: Opérations Secrètes (l’une des dernières séries que j’ai suivies religieusement sur une télévision, à une époque où la régularité était encore moins mon fort que maintenant) préparait une nouvelle série, j’ai eu envie de tester son pilote. J’ai eu envie parce qu’en plus, les thèmes de FBI: Opérations Secrètes et de The Romeo Section étaient assez proches, s’intéressant à des opérations d’infiltration (sauf que cette fois c’est dans le cadre de missions d’espionnage au lieu d’opérations du FBI). Je me suis dit que j’allais sûrement rentrer à la fois dans un nouveau monde, et en découvrir un appartenant plus ou moins au même univers qu’une série que j’avais aimée (certes en dépit du bon sens). Une jolie contradiction qui elle-même recelait des défis au moment du visionnage, c’était intéressant. Car parfois une série n’est pas seulement intéressante pour elle-même, elle l’est parce que la démarche qui entoure son visionnage donne du grain à moudre au téléphage.
Et puis, j’ai lancé le premier épisode de The Romeo Section, qui a débuté cette semaine. Et j’ai sévèrement déchanté.
J’ai déchanté parce qu’en tant que pilote, The Romeo Section est une épouvantable déception. Si vous vous demandiez : oui, il est possible pour une série de n’avoir pas de « premier épisode », de sauter au-dessus de cet impératif comme d’autres sautent au-dessus d’un requin, et de se décharger de toute responsabilité introductive.
Dans le premier épisode de The Romeo Section, l’exposition n’existe pas. Ce qui signifie qu’on ne sait pas qui est à l’écran, ce qui se passe, ce qui se dit, ni ce vers quoi la série tend. La confusion est telle que la série n’explique à aucun moment son titre : ni le fait qu’il existe une section (…de quoi ?), ni ce à quoi correspond le terme « Romeo » (c’est le nom des espions infiltrés sous couverture ; les espionnes sont Juliette, bien entendu). Il faudra vous tourner vers les résumés en ligne pour le savoir, un comble ! Les scènes se succèdent et il est difficile de faire sens de la plupart d’entre elles ; certaines sont même très courtes et/ou muettes, ce qui n’aide pas.
Quant au personnage central, ses activités sont floues, difficilement compréhensibles, et même si petit-à-petit on commence progressivement à cerner un peu son métier (il serait donc espion, et superviserait au moins un autre espion), on ignore totalement quel sens donner à ses actions ou ses interactions. Et comme en plus on sait qu’on est dans une série d’espionnage, il est probable que la moitié de ce qu’il fait soit de toute façon un mensonge ou une couverture, donc on n’a vraiment pas beaucoup de repères ! C’est valable pour la plupart des autres personnages de la série, à un degré moindre. Et vu que les trois-quarts des scènes sont ponctuées de musiques mystérieuses et inquiétantes, on a sans arrêt l’impression qu’il y a anguille sous roche, que les choses ne sont peut-être pas ce qu’elles semblent être, ou que quelqu’un va être égorgé dans la prochaines seconde. Alors que personne ne meurt dans ce premier épisode ! Mais la paranoïa est totale, aiguisée par le fait qu’en tant que spectateur, on sent qu’on n’a rien à quoi s’agripper pour finir l’épisode de façon un peu moins tendue.
Je pense qu’il n’est plus à prouver que je tente beaucoup de premiers épisodes de séries par an, toutes nationalités confondues, tous styles confondus, toutes qualités confondues. Il m’arrive même de regarder des séries étrangères en VOSTM, et dans ce cas, même quand je ne sais pas ce que disent les personnages, je sais que je peux me raccrocher au langage non-verbal, au contexte des scènes, à la musique s’il le faut, pour donner du sens à ce qui se passe. Ça a d’ailleurs été une découverte pour moi de réaliser qu’en développant quelques réflexes, pareille chose était possible, mais ça a du sens : une série n’est pas que ses dialogues, après tout. Et une introduction à une nouvelle série, en particulier, pose des repères sur divers modes pour aider le spectateur à entrer dans la série et à se l’approprier ; que ces repères ne soient pas tous écrits est logique pour accélérer l’immersion. Mais The Romeo Section se refuse à délivrer le moindre de ces repères avec une énergie rare, laissant le spectateur livré à lui-même dans un monde dont il ne possède aucun code ; c’est un peu une sensation équivalente à celle qu’on éprouve quand on tombe sur le 10e épisode d’une série feuilletonnante par hasard, et qu’on n’a jamais rien vu de la série auparavant. C’est déstabilisant, à plus forte raison parce qu’on voit l’heure avancer et que, 8 minutes, 10 minutes… 23 minutes plus tard, on n’a toujours que des bribes sur lesquelles s’appuyer. Or The Romeo Section passe près de 45 minutes comme ça !
Du coup, j’aimerais vous dire ce que j’ai pensé du premier épisode de The Romeo Section, mais je serais de toute évidence bien en peine de le faire. Je pense avoir attrapé au vol, bien-sûr, des informations et peut-être même quelques pistes de réponses (par exemple à un moment, le supérieur du héros mentionne une fuite et, ok, je crois que je vois où on essaye d’en venir ; je pense aussi avoir cerné le personnage de Rufus, ce genre de choses), mais la désorientation était trop forte pour que je sois en mesure de donner quelque jugement définitif que ce soit. Car pour aimer ou détester un premier épisode, encore faut-il avoir l’impression de l’avoir pleinement compris !
Quelque part la démarche de The Romeo Section m’inspire du respect. Voilà l’une des rares séries à avoir vu qu’il était obligatoire de proposer un épisode d’introduction, et à avoir décidé d’ignorer l’obstacle en se refusant à toute exposition. Oui, il est possible pour une série d’ignorer complètement qu’un spectateur a besoin d’être guidé par la main à travers des repères (« je suis une série d’espionnage, l’homme qui est là est un espion qui travaille pour tel organisation »), des passages obligés (« ceci est mon protagoniste, voilà quelle genre de personne il est, ce qu’il veut, la raison pour laquelle dans cette scène il exécute telle tâche… »), des éléments sécurisants (« là je suis en train de poser les bases d’une trahison à venir, là j’ai un personnage qui est en train de comploter pour assassiner quelqu’un qui le gêne… »), des pistes pour l’avenir (« entre ces deux personnages, les conflits vont augmenter exponentiellement, entre ceux-là ce sera plutôt une romance »). A bien y regarder, ces ingrédients sont là, mais il faut les extirper de l’intrigue soi-même et c’est rare qu’une série laisse le spectateur se démerder comme ça. Oui, quelque part, c’est couillu de la part de The Romeo Section. Et ça m’inspire quelque chose de positif qu’une série attende de moi plus que de la consommation passive de ce qu’elle me fournit. C’est toujours galvanisant qu’une série vous traite comme une personne dotée d’un cerveau fonctionnel, et qu’elle vous pousse dans vos retranchements au lieu de vous cajoler.
Mais de l’autre ça me détourne aussi énormément de la série. Parce que pendant que j’essaye de presser quelques gouttes de sens à ce citron télévisuel, je n’ai plus l’énergie ni le temps de m’intéresser à ce que The Romeo Section signifie. Je suis tellement penchée sur ce qui se passe que je n’écoute même plus ce qui se dit. The Romeo Section met en scène de l’espionnage à l’ancienne, où ce sont les gens qui comptent, et non la technologie ou la connaissance d’informations ; dans ce premier épisode, en-dehors de l’usage de téléphones (réduit à sa plus simple expression : voix et texte ; personne ici pour se faufiler quelque part et prendre des photos en regardant par-dessus son épaule à la ALIAS), la technologie est totalement absente, écartée presque, de l’action. C’est intéressant comme angle d’approche, à une époque où la technologie a envahi les séries modernes ; The Romeo Section privilégie l’humain, ou en tous cas semble le privilégier. Il y a aussi toute la thématique asiatique qui mérite qu’on se pose pour penser au moins à ses représentations. Mais pendant le visionnage, ce genre de choses glisse totalement sur moi parce qu’il faut sans cesse que je réfléchisse à ce qui se passe, surtout dans les scènes qui ont l’air le plus anodines et qui ne le sont peut-être pas, mais dans ce cas en quoi ? Je ne suis pas sûre d’être capable de continuer à suivre une série qui ne cherche pas à ce que je la comprenne. Au bout d’un moment, le défi aurait vite fait de se transformer en fardeau.
Alors, quant à vous recommander de regarder The Romeo Section ? Je ne sais pas. Ce n’est sûrement pas la série la plus abordable de la rentrée canadienne… ou de l’univers tout entier. A vous de voir si vous avez envie de relever le challenge, ou si vous aimez bien, quand même, qu’on vous donne un peu plus à grailler dans un épisode introductif. Ne serait-ce que parce qu’ensuite, il faut décider si l’on veut voir la suite…