La télévision américaine s’est essayée de nombreuses fois, ces dernières années, au high concept. Après des tentatives du côté du fantastique ou de la science-fiction (généralement ponctuées d’échecs dans un climat post-Lost difficile), désormais on est entré dans une nouvelle phase, le thriller high concept d’espionnage, une jeune famille dans laquelle on trouvait déjà The Blacklist, de toute évidence, ou Allegiance, et à laquelle viennent se greffer, cette saison, Quantico et Blindspot.
L’intérêt de ces séries est de revenir à un sujet devenu banal, l’anti-terrorisme, mais d’essayer d’y coller un twist original : une liste, un mensonge familial, des tatouages, des flashbacks, ce que vous voulez. L’essentiel est de trouver un moyen pour ne pas raconter l’enquête de contre-espionnage de façon linéaire, de se créer des gadgets narratifs pour détourner la conversation l’air de ne pas y toucher, et d’avoir du matériel pour faire des épisodes de remplissage empruntant au soap et/ou à la structure des stand-alone, parce que les saisons sont longues.
C’est en piochant dans ces ingrédients qu’on se retrouve en cet automne devant une série comme Quantico : une fiction qui se veut efficace, mais qui va résolument retarder de nous donner du concret aussi longtemps que possible, grâce à une boîte à outils ingénieuse du point de vue des auteurs. Du point de vue des spectateurs, c’est déjà beaucoup moins net.
Ainsi le principe de Quantico est qu’un terrible attentat a eu lieu à New York (bien-sûr à New York), et qu’une jeune recrue du FBI, Alex Parrish, est retrouvée dans les décombres ; très vite le FBI suspecte que quelqu’un de sa promotion à Quantico, l’institut de formation des agents, soit à l’origine de cet évènement. Et pourquoi pas, au hasard… Alex elle-même.
Le pilote est ainsi truffé de flashbacks tandis qu’Alex essaye de comprendre qui au sein de sa promo a pu avoir la motivation de commettre pareil acte ; un peu comme dans une mauvaise émission de télé réalité, l’épisode va tourner autour du concept de secret qu’il faut percer, mais qu’évidemment chacun garde jalousement pour diverses raisons. Chaque recrue en formation se voit ainsi assigner le dossier d’un camarade de classe à comprendre pour trouver ce qui n’y est pas inscrit. Si cet aspect spécifique du pilote n’est pas amené à perdurer, il permet en tous cas de former le spectateur à l’idée que chacun des membres de la promo d’Alex Parrish (elle incluse) a quelque chose à cacher et que les flashbacks ainsi que quelques montages bien huilés devraient permettre de reconstituer le puzzle progressivement.
Évidemment cette formule a déjà fait ses preuves, et ô combien, l’an dernier dans How to get away with Murder, donc c’est difficile de hurler au génie. Mais force est de constater que Quantico maîtrise plutôt bien l’art du thriller-teasing, tout ça dans une atmosphère de baraquement qui rappelle un peu celle d’un campus (je lis la surprise sur votre visage) tout en lui donnant une atmosphère autrement plus dangereuse, ne serait-ce que parce que les élèves sont habitués immédiatement à toujours porter une arme (fut-elle factice) sur eux. En outre, le premier épisode parvient à éviter quelques clichés qui ressemblent bigrement à des clins d’œil à la filmographie de Shonda Rhimes, par exemple quand Alex couche avec un parfait inconnu qui s’avère être un camarade de promotion, Meredith Grey sort de ce corps… sauf qu’elle n’en fait aucun mystère, et ne passe pas l’heure suivante à rougir de confusion et balbutier en espérant que le coup d’un soir se transforme en McDreamy d’une vie. En renversant ces passages attendus en sa faveur, comme pour mieux marquer son territoire peut-être, Quantico s’en tire plutôt bien, quand bien même tous ses personnages (et tous ses acteurs) sont loin d’être du même niveaux. Mais il faut noter que c’est une excellente année pour Johanna Braddy, après UnREAL cet été.
Le résultat ne vous fait pas tomber à la renverse, mais fait le job. Et pour autant qu’on apprécie ce genre, finalement c’est tout ce qu’on demande. On aimerait évidemment que Priyanka Chopra fasse des étincelles, mais c’est peut-être un peu beaucoup en demander dans cet épisode où il est attendu d’elle qu’Alex soit plus un ressort narratif (une usine à flashacks) qu’un personnage (avec des, vous savez, sentiments). Même « PC » ne peut rien contre une écriture qui ne s’intéresse pas aux protagonistes, juste aux rebondissements qu’ils peuvent apporter.
J’espérais un tantinet mieux, mais soyons clairs, Quantico aurait pu être bien pire. Personne ne mentionnera la série dans un quelconque top de fictions préférées d’ici 5 à 10 ans, mais certaines séries sont tout simplement faites pour être des denrées périssables… sans que ça les empêche d’être savoureuses avant d’atteindre leur date de péremption. Vu que Quantico vient de décrocher une saison complète, on sait que le goût restera en bouche une saison (pour ceux qui auront la patience), et sera ensuite, à plus ou moins court terme, remplacée par un autre produit de consommation courante, sans que ça ne fasse tiquer grand’monde. Voilà qui, au moins, n’est un secret pour personne.