Vous et moi, on se fréquente depuis suffisamment longtemps pour savoir que les séries argentines, polonaises ou norvégiennes, je les tente sans arrière-pensée… mais que ce n’est pas le cas des séries françaises (et encore, quand je m’y attèle).
On ne va pas se mentir, c’est parfois une véritable purge que de devoir se mettre devant un premier épisode de série française, et d’assister, encore et toujours, à la même débâcle que d’habitude. Les dialogues qui sonnent faux. Les blagounettes ridicules. Les acteurs qui récitent leur texte comme un écolier du Prévert. La musique au Bontempi. Tout le tremblement. Certaines séries semblent croire qu’on joue au bingo. On va pas donner de noms parce qu’on n’est pas là pour cafter, mais je suis sûre que des exemples vous sont venus à l’esprit pendant que vous lisiez. Cela dit, dans tout ça, le plus éprouvant n’est pas de devoir se taper le visionnage. Non, le plus éprouvant est de voir que ces mêmes séries, celles qu’on n’arrive pas à supporter plus de deux minutes, celles dont on regarde la première heure en entier avec l’envie de se trépaner avec le clavier (ce qui n’est pas seulement douloureux, mais également difficile à réaliser, et anti-hygiénique), celles qu’enfin on essaye de ne pas lapider comme une brute sans cœur dans une review, histoire de se montrer compréhensive envers une fiction nationale qui se tâte (depuis 2 à 3 décennies mais soit)… eh bien le plus éprouvant, donc, c’est de voir que le reste de l’univers, ou, ok, disons : le reste de l’univers téléphagique français, a absolument a-do-ré ces mêmes séries. Passé un bref stade de remise en question personnelle (7,12 secondes en moyenne), la seule option valide est de pousser un grognement, de tourner la page, et d’aller finir un marathon d’une série sud-africaine.
Si comme moi vous avez vu pousser comme des champignons les critiques élogieuses sur Dix Pour Cent, ces derniers jours, vous avec une petite idée de comment cette review se poursuit.
C’est une idée erronnée. Je suis la première sur le cul, je vous assure… mais je m’apprête à faire un truc qui arrive une fois tous les 712 ans, à savoir vous dire de regarder une série française ce soir. Limite, je vous suggèrerais d’y aller les yeux fermés, mais clairement ce serait dommage.
Dix Pour Cent est tout ce que j’avais demandé au Père Noël. On y trouve à la fois un thème original (je n’ai en tête absolument aucun équivalent de par le monde… et bonus non-négligeable, pas un seul flic en vue !), un ensemble d’acteurs allant de plutôt bon à excellent (-e, puisque je fais ici allusion à Camille Cottin), une workplace comedy enlevée et écrite avec finesse, et un portrait acide d’un microcosme qu’on aime tant voir passé au crible dans la fiction, à savoir le show business.
Le premier épisode de la série parvient à poser tous ces ingrédients sans lourdeur, s’autorisant même divers niveaux de discours dans son introduction, selon les personnages. A un bout du spectre, on peut ainsi trouver l’agent Gabriel, qui passe de longues scènes à faire sa drama queen parce que quelque chose ne va pas… et à l’autre bout, on peut tomber sur un personnage comme l’assistante Noémie, qui en trois lignes de dialogue et demies se montre la fois drôle, touchante et pitoyable dans ses contradictions.
Cela dit, le plus plaisant dans ce cocktail est que, bien que l’humour soit omniprésent, Dix Pour Cent n’est pas à proprement parler une comédie. Elle se situe dans cette zone grise de la dramédie, là où le rire n’est pas un but en soit mais plutôt un à-côté ; l’idée n’est ainsi pas de produire des gags (un mal qui touche beaucoup de séries françaises se croyant drôles), mais plus de pousser le spectateur à esquisser un bref rictus de côté, cette grimace de connivence. C’est son atout : Dix Pour Cent est cynique, mais son approche n’est pas composée de vitriol pur ; la série est consciente qu’il y a une très mince marge de manœuvre entre la série grand public et la série à destination d’un public plus exigeant (« plus lettré », pourrait-on dire s’il ne s’agissait d’écrans), et essaye de contenter les deux groupes en marchant sur la ligne. Elle y réussit presque constamment pendant ce premier épisode, notamment en s’aidant d’excellents personnages secondaires (la standardiste par exemple).
D’ailleurs la série ne critique pas les personnalités du monde du spectacle, mais dépeint plutôt un système vérolé ; ses guests, et on nous les promet nombreux, ne sont pas en situation de briser leur image, mais plutôt de la conforter tout en se moquant de l’univers dans lequel ils gravitent. Dans ce premier épisode, Cécile de France a quelques passages un peu drôles (notamment à cheval), mais finalement, elle s’en tire la tête haute, en refusant une opération de chirurgie esthétique qui était la condition pour obtenir un rôle de prestige. Elle peut faire le pitre sur son cheval, mais dans le fond, c’est un bon coup de pub pour elle ; et pendant ce temps-là, c’est sur les épaules d’un cinéaste étranger (absent à l’écran mais maintes fois nommé) que retombe la vraie critique de l’intrigue. C’est finement joué pour Dix Pour Cent, qui avec ce système à l’américaine (et pour cause !), s’assure d’un filon quasi-inépuisable de stars qui ne se sentiront pas en danger même quand elles doivent faire preuve de dérision ; et c’est tout bénéf pour le spectateur qui a gagné des guests divertissants, des intrigues bouclées enlevées et ancrées dans la popculture (chose rarissime dans une série française), ainsi que quelque anecdote à raconter vite fait à la machine à café le lendemain. On peut regretter que pour le moment, l’agence de la série ne parle que de films (qu’il serait amusant et rare de la voir égratigner la télévision !), invitant des personnalités se distinguant sur un autre écran que le sien, mais enfin, à un moment on ne peut pas trop en demander ; et puis après tout, avec une saison 2 déjà à l’horizon, ce sera peut-être pour plus tard.
Le vrai défi de Dix Pour Cent est d’exister au-delà de cet aspect un peu gimmick, qui pourrait s’avérer fatigant voire répétitif, mais au terme de ce premier épisode, le danger s’avère écarté. D’abord parce qu’une intrigue en fil rouge se dessine derrière l’aspect satirique, alors que Camille, une jeune femme fraîchement arrivée du Sud, débarque dans l’agence d’artistes où son père Mathias est l’un des personnages les plus en vue. Hélas, elle est également sa fille cachée, et l’épisode est jalonné de légères touches autour de ce thème qui fonctionnent d’autant mieux qu’il semblerait que Camille ait hérité de l’ambition dévorante de son paternel. La conclusion de cet épisode inaugural nous invite en outre à recomposer un visage sérieux lorsque, dans le tumulte de l’agence, un évènement tragique vient augurer de choses plus complexes pour l’avenir ; plus classiques, sûrement, mais pleines de potentiel.
Non, je ne me fais pas de soucis pour Dix Pour Cent. D’autant que la série a réussi dans tout cela à ne pas simplement singer des séries étrangères, et garde un côté so Frenchie qui fonctionnera sûrement très bien à l’international (…il y a quand même un peu de Bontempi).
Donc du coup, regardez Dix Pour Cent ce soir, si vous ne l’aviez pas encore fait sur le site de France2. Qui sait quand se représentera une occasion pareille d’apprécier sincèrement une dramédie française, et surtout, d’être d’accord avec absolument tout le monde. Tout le monde ? Tout le monde.