Alors qu’elle conduit, en pleine nuit, vers le patelin d’Ängelby où elle vient de trouver un travail, ses deux enfants endormis sur la banquette arrière, Vera Fors percute quelque chose. A y regarder de plus près, ce quelque chose est un quelqu’un : un adolescent blond portant un blouson de sport, gisant mort sur le bas-côté de cette route de forêt. Que faire ? Dans la panique, Vera cache le corps sous des branchages, et repart comme si de rien n’était, mais dés le lendemain, le choc passé, les remords commencent à la ronger. Comme nouveau départ dans une nouvelle ville, on a vu mieux.
Ängelby, lancée le 28 septembre dernier à la télévision suédoise, a beau commencer par un décès, elle n’en est pas une série policière pour autant. Présentée par les médias suédois comme une voisine de Jordskott, elle ambitionne en effet de s’aventurer vers le surnaturel, d’ailleurs en intro, une voix-off nous avertit que tout ne peut pas toujours être expliqué scientifiquement. Au temps pour la réputation des séries scandinaves à être plutôt cerveau gauche.
Mais contrairement à Jordskott, si une explication autre que rationnelle devait être derrière l’intrigue d’Ängelby, on n’en saura pas grand’chose dans le premier épisode, les seuls indices étant cette introduction sibylline, et des plans répétés sur une étrange pierre plantée au beau milieu de la forêt. Saupoudrez de quelques personnages qui parlent à mots couverts, et vous avez un résultat qui n’évoque pas absolument l’étrange et le fantastique. Peut-être après tout qu’il n’y a pas de fantastique ? Mais quand même, la voix-off a dit que… Bon, c’est pas très clair à ce stade, encore. Mais c’est sans doute voulu.
Alors au-delà que reste-t-il ? Une série qui l’air de ne pas y toucher, est assez morose et dérangeante. D’abord parce que Vera, notre personnage central (incarnée par Mia Skäringer déjà vue dans Ack Värmland plus tôt cette année), est dans une passe difficile : fraîchement divorcée de son époux (il a une nouvelle compagne), elle a la garde de leurs deux enfants mais elle a du mal à négocier ce virage financièrement. Sa première décision à l’écran sera de refuser un job qui vient de lui être proposé dans une compagnie… uniquement parce que ladite compagnie est cliente de son ex-mari ; et s’il apparaît que leur séparation se fait dans de plutôt bons termes, et qu’il lui propose de l’aider financièrement, on comprend bien que Vera veut trouver son indépendance financière histoire de ne pas sombrer.
Le regard un peu hagard, l’héroïne d’Ängelby navigue un peu à vue dans ces complications, aussi quand, le soir où elle postule sur un site d’emploi, une offre se présente dans la seconde qui a suivi son inscription, elle ne fait ni une ni deux et part avec ses enfants sous le bras pour le village d’Ängelby.
Une fois sur place, elle découvre un endroit calme, isolé, et relativement normal… vous savez, si on met de côté le fait qu’elle vient de renverser quelqu’un. Elle se lie rapidement d’amitié avec son patron, Torsten, un homme âgé plutôt jovial, mais lorsqu’elle découvre qu’elle a tué la seule personne qui a jamais réussi à faire quelque chose de sa vie à Ängelby (Jesper Wallin, l’adolescent qu’elle a renversé, est une star locale du hockey et vient d’être sélectionné pour aller jouer pour la NHL, outre-Atlantique), elle ne se fait pas spécialement d’amis. Pire encore, en confessant son crime, et en amenant la police sur les lieux de l’accident, elle découvre que sous les branchages… le corps a disparu. Pour passer pour une folle il n’y a pas mieux.
Ängelby passe tellement de temps avec Vera et sa vie en lambeaux que, pour un peu, on serait tentés de ne pas repérer les autres choses que la série nous dit des villageois. Derrière les palissades, il y a en effet des personnages bien plus sombres, à commencer par l’étrange ex-femme de Torsten, l’énigmatique Britt-Louise, dont la beauté a été brûlée dans sa jeunesse dans un horrible accident, et qui désormais semble animée de choses sombres. Il y a aussi la maîtresse d’école qui, toute patiente et gentille qu’elle soit avec les enfants, semble en savoir long sur la pierre dans la forêt. Et puis, les parents de Jesper ont aussi un comportement étrange… d’ailleurs personne ne semble ni très inquiet, ni très affecté, par l’accident qu’a eu Vera. Que pense avoir eu Vera. Qu’aurait eu Vera ? C’est à se demander.
Ces différentes scènes, généralement très brèves, et bourrées à craquer d’allusions mystérieuses et de demi-mots, ne nous disent pas grand chose volontairement, mais on a parfois l’impression que quelqu’un a trop regardé Twin Peaks. Obligé.
Du coup, entre le côté dramatique qui est vraiment déprimant (Vera passe son temps libre à boire seule ou à fumer, le regard sombre), et le côté morbide-peut-être-fantastique-en-tous-cas-pas-net, Ängelby est un drôle d’oiseau. C’est pas exactement le visionnage que je recommande si vous n’avez déjà pas le moral. Et surtout c’est définitivement le genre de premier épisode qui ne donne pas envie de voir la suite ; Ängelby est de ces séries qui gagnent sûrement au change si on les regarde d’un trait comme on enlève un pansement.