Prime Directive

11 octobre 2015 à 11:04

Dans le temps, quand votre enfant était malade, vous deviez prendre une journée de congés pour l’emmener chez le médecin puis l’aider à se remettre sur pied. Généralement, osons le dire, ça tombait sur la maman, à qui revenait cette charmante prérogative. Mais les choses ont changé, le monde du travail a changé, et les mères ont changé. Toutes sortes de facteurs qui ont présidé à la naissance de « Little Snow », un service d’aide à domicile bien utile : lorsque votre enfant est malade et que sa température affiche 37,5°C (ou plus), soit le seuil à partir duquel la garderie ou la maternelle ne peuvent plus accepter sa présence, l’agence dépêche chez vous quelqu’un qui peut prendre soin de votre progéniture pendant votre journée de travail.
Momoko, l’héroïne de 37.5°C no Namida, est l’une de ces personnes qui sont envoyées par l’agence au domicile de parents débordés par une situation de fièvre. Fraîchement recrutée par Little Snow, elle tente de faire de son mieux pour s’occuper des enfants tout en ménageant les parents. La pauvre est affublée d’un lourd handicap dans ses relations avec ces interlocuteurs : elle est incapable de sourire normalement.

N’ayant pas d’enfant moi-même, j’ignore si un service similaire existe en France, mais ça semble être un business model particulièrement malin. Par contre, ça ressemble un peu à un métier de merde… surtout placé entre de mauvaises main.

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Chez Little Snow, on a pourtant 3 règles d’or lorsqu’un intervenant est envoyé au chevet d’un enfant :
– « ne pas faire attention à l’enfant » (c’est-à-dire à son comportement)
– « ne pas gronder l’enfant »
– « ne pas leur imposer des valeurs personnelles »
Trois lignes de conduites qui en gros reviennent à imposer une Prime Directive aux employés s’occupant de la garde d’enfants malade ; surtout, ne pas intervenir. C’est le mot d’ordre.

…Et donc naturellement Momoko va intervenir. Parce qu’elle est nouvelle dans la profession (elle a été assistante maternelle pendant un an auparavant, mais a été virée parce que son sourire, ou absence de, mettait les enfants et surtout les parents mal à l’aise). Parce qu’elle est naïve et innocente. Parce qu’elle au aussi subi quelques traumatismes dans sa propre enfance (bah oui allez chargeons la mule).
37.5°C no Namida semble en permanence hésiter entre imposer un jugement sur l’éducation des enfants, et essayer de faire preuve d’ouverture d’esprit. Il y a « LA » façon d’éduquer un enfant, la bonne, l’universelle, la vraie, la seule… et il y a les réalités individuelles. Ces réalités gênent la série aux entournures.
Le personnage de Momoko personnifie très bien cet équilibre très fragile, sans cesse perturbé par des contradictions permanentes. Notre aide à domicile a vraiment à cœur l’intérêt des enfants, et donc on ne saurait lui reprocher totalement de s’immiscer dans les affaires des familles qu’elle rencontre (au nombre de 2, potentiellement 3 dans le premier épisode). Mais quand elle le fait, elle enfreint les règles. Mais quand elle enfreint les règles elle a une chance de changer les choses. Mais changer les choses n’est pas aussi simple que ce que Momoko pense. Mais quand même des fois ça marche.
Je n’ai pas d’enfant mais j’ai le net sentiment que si j’en avais, je me sentirais profondément jugée par les messages de 37.5°C no Namida. Dans le premier épisode, on trouve ainsi deux familles « peu conventionnelles » (au regard des standards conservateurs du Japon… et, en fait, d’ailleurs), à savoir une mère célibataire, et un homme dont la femme vient de le quitter. Chacun se retrouve avec un enfant malade, et à chaque fois, Momoko va être incapable de ne pas juger leur mode de vie : comment, la maison de Madame n’est pas rangée et elle passe son temps à travailler ? Pauvre enfant. Comment, c’est Monsieur qui lui ouvre la porte et la mère a foutu le camp ? Pauvre enfant. Comme justement c’est camouflé derrière une forte compassion envers le pauvre petit garçon qui n’a pas sa maman (soit parce qu’elle n’a pas de temps pour lui, soit parce qu’elle s’est tirée), Momoko est irréprochable sur le papier : hey, elle a l’intérêt de l’enfant à cœur, elle. Elle est là pour le gamin, elle.

Le pire c’est que la série orchestre son épisode introductif comme un encouragement : Momoko est sans cesse hésitante et maladroite dans ses relations interpersonnelles, ce qui semble la dédouaner de mettre son nez là où le manuel de Little Snow lui a strictement interdit de le fourrer. Mais elle est si gauche et elle a tant souffert jadis, peut-on le lui reprocher ? Par-dessus le marché, l’un des deux patrons de Little Snow l’épaule gentillement ; il fait sans cesse montre de générosité à son égard, lui pardonnant ses écarts et ses bourdes parce que, si elle ne sourit pas, c’est sûrement qu’il y a une explication très triste. Alors elle mérite bien qu’on se range de son côté, non ? (moi je veux bien ce genre de patron, qui fait des règles qui ne s’appliquent pas aux employés qu’il a pris en pitié !)
Et c’est vrai : il y a une raison derrière l’absence de sourire (ou, au mieux, les sourires vraiment difformes) de Momoko. La pauvre n’a pas été aimée par sa propre mère, et l’ami Freud vous dirait que ça explique bien des choses dans le déroulement de la série. Mais ce serait super cool si les traumatismes personnels de Momoko ne s’invitaient pas dans la vie d’enfants n’ayant rien à voir avec le schmilblick.

37.5°C no Namida serait infiniment plus convaincante si la série insistait plus sur les défis de cet étrange métier des temps modernes, plutôt que sur la psycho-rigidité de Momoko (laquelle est employée pour garder des enfants malades, mais se met à ranger un appartement qu’elle juge trop bordélique, parce que c’est LA façon de tenir un foyer). Des passages du premier épisode y font allusion, lorsque Momoko sort boire un verre avec des collègues plus expérimentées, mais c’est très fugace. Pourtant, c’est forcément compliqué de s’occuper d’un enfant qu’on ne connaît pas, qu’on ne reverra probablement jamais, pour des parents qu’on ne connaît pas, qui doivent faire confiance les yeux fermés, qui doivent aussi vivre une intrusion dans leur quotidien, et qui doivent même être particulièrement stressés si la fièvre augmente et que la situation empire. Comment jouer le rôle attendu sans perdre de vue le point de vue humain ? Quels sont les mécanismes psychologiques à l’œuvre dans ce genre de situation nouvelle ? Ce sont des questions passionnantes et si 37.5°C no Namida s’intéressait autant aux enfants qu’elle le prétend, elles occuperaient bien plus de place.

Dans 37.5°C no Namida, la Prime Directive n’est imposée que pour être détournée, pour prouver son inutilité voire sa nocivité. Regardez ! Quand on intervient, finalement, on peut remettre les parents sur la bonne voie. 37.5°C no Namida pue, voilà la vérité.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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