Régulièrement la télévision sud-coréenne nous promet de rompre avec le « business as usual » et une chaîne décide de lancer une série voulue comme ambitieuse et différente. Régulièrement je tente certaines de ces séries et finis par conclure que l’enfer téléphagique est pavé de bonnes intentions. Régulièrement une nouvelle série est annoncée et, dans un soupir, je décide quand même de rejouer à la roulette sud-coréenne. Pourquoi ? Parce qu’il y a toujours l’espoir que l’une de ces séries rompe vraiment avec le « business as usual » et témoigne d’une ambition véridique.
Et parfois ça se produit : une série sud-coréenne me surprend positivement, par son audace, son scénario et/ou ses personnages. Mais j’ai remarqué que c’étaient souvent des séries qui ne bénéficiaient pas d’autant de communication qui finissaient par porter cette ambition si vaillamment vendue par les chaînes pour d’autres projets.
JTBC, chaîne du câble dont les efforts en matière de fiction ne manquent pas, mais se sont pour la plupart révélés insuffisants (il vous suffit pour le vérifier de lire ma review de bilan de Hanyeodeul… oh suis-je bête il n’y en pas, je me suis enfuie en cours de saison !), s’essaye cette fois à la série-catastrophe, appelée D-Day et qui a démarré le mois dernier ; un genre risqué à bien des égards.
En nous promettant que cette fois, c’était promis, D-Day romprait avec le « business as usual », JTBC a placé la barre très haut. Ce qui s’est passé ensuite va vous étonner.
Ou peut-être pas, réflexion faite.
Le pitch de D-Day tient dans la photo de promo ci-dessus : lorsque Séoul est frappée par des tremblements de terre, le personnel médical doit réagir à la catastrophe au milieu des décombres d’une ville qui ne s’était pas préparée à ce type de désastre. Mais naturellement, comme la plupart des premiers épisodes sud-coréens, c’est vers la toute fin que cette intention va se concrétiser à l’écran, laissant place à une exposition longue et détaillée des personnages et de leur contexte de travail. Bah oui, quand on propose deux épisodes par semaine, on peut se permettre de considérer qu’on n’a pas à se presser.
Ce qui ne veut pas dire que D-Day manque d’intérêt pendant sa première heure, loin s’en faut. Simplement le début de la série se déroule dans le cadre d’un hôpital privé moderne et rutilant, et l’on y passe énormément de temps à poser des conflits relevant plus de l’éthique médicale face à la question de la rentabilité, qu’à parler d’urgences sanglantes à proprement parler.
En fait dans ce premier épisode, D-Day ressemble à une foule d’autres dramas médicaux asiatiques. Il semblerait que ce soit culturel : la plupart des séries médicales s’y intéressent plus au fonctionnement des hôpitaux qu’aux actes qui s’y pratiquent. On y débat aussi plus ardemment : des difficultés d’accès aux soins en zone rurale où les établissements ferment un à un (Umi no Ue no Shinryoujo, Osozaki no Himawari), des hôpitaux qu’il faut sauver de la ruine et/ou d’une réputation infecte (Iryuu Team Medical Dragon), d’ambitions démesurées mettant le médecin au centre de la vie de l’hôpital au lieu du patient (Brain), de faire descendre les médecins de leur piédestal pour les mettre face à leurs responsabilités envers le patient (DOCTORS), de problèmes éthiques étudiés par des experts (…quitte à flirter avec le genre policier : Team Batista no Eikou). Même la série médicale de science-fiction historique (je sais !) JIN, en dépit de son intrigue peu commune, finissait par parler en creux non seulement des progrès technologiques de la médecine, mais surtout de la posture intellectuelle, intemporelle, qui faisait le « bon médecin ». Quant à la série Doctor Yibangin, pour tous ses défauts, elle consacrait un pan de son intrigue à questionner les expérimentations médicales quasi-dystopiques en Corée du Nord, et donc à mettre ses personnages face à leur éthique à géométrie variable.
Il y a des séries médicales au sens où on l’entend en Occident (Resident, Code Blue, Gyne…), avec de l’adrénaline, du sang et de l’émotion au centre de leurs intrigues, mais elles restent une minorité. La série médicale asiatique veut parler du système médical avant tout, se placer sur un niveau intellectuel, social, politique presque (…dans la mesure où une série asiatique s’autorise à être « politique », ce qui est un débat en soi). Être un bon soignant, c’est quoi ? La performance ? Le résultat ? La rentabilité ? Au final, l’immense majorité des séries médicales asiatiques, quelle que soit leur orientation narrative ou leur genre, finissent par questionner cela avant tout. La mise en scène des opérations n’est qu’un outil pour cela, pas une fin en soi, un peu l’école Scrubs ou Monday Mornings, finalement ; et encore.
La série médicale asiatique recentre sans cesse ses personnages sur leur dette envers le patient, plutôt qu’envers leur carrière ou leur hiérarchie. Elle les rappelle à l’ordre parce que pour talentueux qu’ils soient, ils sont de piètres soignants s’ils n’arrangent pas leurs bedside manners. Elle interroge le système de soin en décortiquant la façon dont ses rouages ont vite fait de se complaire dans leur confort, leur efficacité, leur élitisme, au détriment de ceux qui placent leur vie dans leurs mains.
Vous voyez les Urgences et les Code Black parler d’une médecine mal financée ou de services saturés, au sein desquels les médecins se posent comme des héros sauvant des vies malgré tout (des underdogs). Les DOCTORS et les Brain se posent la question inverse, celle d’une médecine moderne, merveilleusement financée, confortable et bien huilée… où le danger vient des soignants et de l’administration, pas de l’horrible-rupture-d’artère-surprise-alors-qu’on-était-en-train-de-suturer. En fait, dans la plupart des séries médicales asiatiques, la surprise en plein milieu d’une opération n’est pas une catastrophe déclenchant l’adrénaline, c’est la preuve de la suffisance d’un médecin, ou de l’excès de confiance de ses pairs, et ainsi de suite. Les séries médicales asiatiques ne veulent pas vous rendre tous les médecins sympathiques, seulement celui qui pointe du doigt les abus dus à la position de cette caste très éduquée, très riche, et très protégée. Les séries médicales asiatiques en ont après le privilège des médecins ; elles ont pour soucis premier de dire au spectateur « dites, ça vous dérange pas que ça se passe comme ça ? ». Ça n’a rien de personnel : c’est le système le problème.
Alors pour en revenir à D-Day, le fait que la série commence comme un drama médical asiatique typique, quand son plan de carrière a plutôt l’air de vouloir s’orienter vers la série « d’action médicale » à l’américaine, a de quoi surprendre. L’amplitude semble énorme.
Et pourtant, aussi fou que ça puisse paraître… c’est tellement énorme que ça pourrait bien marcher. Ainsi dans sa première heure, D-Day va nous répéter ce que, donc, bien des séries médicales asiatiques nous ont déjà martelé : que les médecins sont d’abord menacés par leur ego, que la gestion de l’hôpital prend plus de place que la gestion des maladies, que la rentabilité est la pire ennemie du patient, toute cette sorte de choses. Comme souvent cela se fait grâce à un médecin considéré comme « atypique », sortant du rang, considéré par ses pairs comme trop indépendant, trop dangereux parce qu’adoptant une position de libre penseur : le Dr Hae Sung Lee, un urgentiste doué, mais intenable. Son crime ? Quand un patient arrive aux urgences (des urgences toutes relatives car son hôpital est avant tout spécialisé dans les cancers), non seulement il accepte le patient à risque sans problème, alors que la politique est plutôt de les envoyer ailleurs, il ne commande pas d’examens prudents, il passe directement aux soins. Des soins d’autant plus risqués que, l’hôpital n’ayant pas toujours le matériel adéquat pour ce type de traumas, il a tendance à bricoler sur le moment. En plus il est un peu chien fou, il répond à ses supérieurs, il a souvent des procès au derche : il fait jamais rien comme il faudrait, quoi.
A côte dé ça, l’hôpital privé Mirae Medical Center (fleuron du groupe médical Mirae) aime bien tenir des réunions financières où l’on félicite le service le plus rentable, préfère surprescrire des examens parce que comme ça on est protégés puis en plus c’est toujours ça qu’on peut facturer, et on choie l’enfant chéri de l’établissement, le Dr Han, un chirurgien passé maître dans l’art d’opérer par robot interposé, sans même effleurer le moindre patient. On sent bien que ça va pas trop coller entre le Dr Lee et le Mirae Medical Center. Et justement, après un énième coup d’éclat, Lee est muté dans le Hankang Mirae, un autre hôpital du groupe situé dans une zone pauvre… qui ressemble plus à un dispensaire délabré qu’à un hôpital digne de ce nom (il ne s’y trouve même pas de service d’urgences). Et sa nouvelle affectation est de faire des coloscopies, en plus. Voilà donc ça c’est fait.
(Évidemment, D-Day rend la situation plus dramatique que nécessaire en nous apprenant au bout d’un tiers d’épisode que ce médecin bravache a une mère dans le coma, et que les soins fournis par le Mirae Medical Center font partie du contrat du Dr Lee avec l’établissement, donc ce n’est pas juste sa carrière qui flanche mais la qualité des soins apportés à sa mère qui en pâtit… Toujours remettre le patient au centre des préoccupations de la série médicale asiatique, vous vous souvenez ?)
A partir de là, pourtant, tout va rappeler D-Day au Mirae Medical Center, au lieu de s’en éloigner comme on aurait pu le penser après cette mise au placard en règle.
D’abord parce qu’une partie de l’équipe porte de l’affection au Dr Lee : la directrice des urgences, Dr Joo Ran Kang, même si elle a du mal avec sa pratique, l’aime bien et reconnaît son talent ; et Ji Na Park, une infirmière menace de démissionner pour le suivre, ce genre de choses. Ensuite parce qu’un personnage nous est introduit : Dr Ddol Mi Jung, une interne en orthopédie qui transférait un patient de son hôpital au Mirae Medical Center, et qui semble avoir un méchant béguin pour le Dr Han et cherche donc à tout prix à rôder près de l’hôpital pour le voir. Et enfin, par un concours de circonstances, un accident impliquant des pompiers, un SDF et des amateurs de vélo, va amener des patients au Mirae Medical Center, plongeant l’établissement dans l’urgence alors que nom de Dieu, on a dit qu’on ne faisait pas les urgences à risque.
De toute évidence, le Mirae Medical Center va continuer d’occuper une grande place dans D-Day, de par son contexte comme ses personnages.
En parallèle, D-Day pose de façon peu subtile les jalons de son intrigue catastrophique (pour l’instant totalement absente de tous ces évènements), en s’appuyant précisément sur les piliers de la fiction médicale asiatiques. C’est ainsi que, lors de l’assemblée générale de l’hôpital Mirae Medical Center, le directeur décide de soustraire du budget la somme allouée à la préparation aux situations d’urgence. Ces choses-là sont de la responsabilité de l’hôpital public, explique-t-il, pas d’un établissement gérant avant tout des cancers. En plus, ça coûte moins cher de payer l’amende, donc hop.
La série nous propose aussi d’assister aux tractations du directeur pour se voir allouer une bourse par le ministère de la santé. Il espère bien pouvoir attribuer cette manne financière au développement de la chirurgie robotique menée par le Dr Han plutôt qu’au service des urgences.
Enfin, un congrès qui n’a attiré que trois pelés et un tondu tente d’attirer l’attention du public sur la possibilité de secousses sismiques à Séoul, jusque là pourtant épargnée en apparence. De toute évidence, ce scénario catastrophe n’est une urgence pour personne, sauf qu’on regarde D-Day et son matériel promotionnel… et que le spectateur, lui, n’est pas dupe quant à ce qui pend au nez de tout le monde.
Pour l’effet de surprise, on repassera. Mais la critique du système est là, et impossible à ignorer, une fois dep lus.
Vers la fin de l’épisode, grâce à l’accident de vélo-SDF-pompier, on peut voir que les personnages de D-Day, bon gré mal gré, sont capables de gérer une urgence quand bien même les conditions s’y prêtent peu. On sait donc qu’ils sont à la hauteur, et qu’ils seront les médecins-héros dont a besoin cette série médicale à haut potentiel d’adrénaline. C’est une bonne transition vers la façon dont, à la toute fin du premier épisode, la catastrophe commence à se manifester, prenant tout le monde par surprise, mais pas à dépourvu ou pas longtemps. Les héros de D-Day ne sont pas supposés faire face à des situations extrêmes comme celle qui va leur tomber sur le coin du nez, mais ils sont prêts à y faire face.
Ces nuances superposées permettent de rappeler que D-Day ne veut pas simplement être une série catastrophe, ni une série médicale, ni un drama socio-politique, mais un peu de tout ça à la fois.
Il y a un peu du Cordon là-derrière, à essayer d’aborder tant d’angles en parallèle sur cette situation de l’extrême. A interroger non seulement la gestion hospitalière ronronnante (dans la plus pure tradition des séries médicales asiatiques, donc) mais aussi la politique de santé publique (et ça c’est beaucoup plus rare). Et puis, bien-sûr, à mettre des médecins face à des situations difficiles parce que, on va pas se mentir, une série c’est du divertissement et qu’y a-t-il de plus divertissant que de voir une s’effondrer sur un quartier populaire de Séoul ?
D-Day est-elle différente des séries sud-coréennes qui occupent la plupart du temps les grilles des chaînes, sur le « hertzien » comme sur le câble ? On dirait bien. Est-elle meilleure ? Ça reste encore à prouver car il est difficile à ce stade de déterminer la place qu’elle pourra accorder, à mesure que la catastrophe va prendre de l’ampleur, à son discours de fond.
Qui plus est, dans ses tentatives de ne pas être constamment sombre et intellectuelle, D-Day commet dans cet épisode tous les excès classiques des séries sud-coréennes, à savoir en faire des tonnes (les premières minutes de la série montrent le Dr Lee en train de chevaucher une moto comme s’il était dans Tonnerre Mécanique…), à créer des conflits surjoués (l’engueulade entre l’infirmière Ji Na et le Dr Han est presque trop over the top pour Ryan Murphy), à se lancer dans du pathos inutile pour prolonger sa durée à moindre coûts (et vas-y que je parle à ma môman qui est dans le coma pour prouver que j’ai le cœur pur), et, irrémédiablement, des dynamiques amoureuses sans intérêt (mais j’ai un biais en la matière comme vous le savez).
Rompre avec le « business as usual » ? Pas encore gagné. Mais D-Day mérite sans aucun doute qu’on lui laisse encore une ou deux heures pour faire ses preuves.