Ce soir je vous propose, en un seul voyage, de voir du pays. Attention les yeux : avec 100 Code, j’ai l’opportunité en effet de vous parler d’une série suédo-allemande tournée en anglais, adaptée d’un roman d’un auteur irlandais par un scénariste américain, et dont l’un des acteurs principaux est un Britannique plus connu pour son rôle dans une série américaine, ainsi que pour un film tourné en Nouvelle-Zélande. Écoutez, là, je suis au max, je pense.
La série a démarré hier soir en Suède sur Kanal5, mais elle avait été diffusée dés le mois de mars dans son autre pays natal, l’Allemagne, via Sky Deutschland. Elle s’inscrit dans la mouvance résultant à la fois de la popularité des séries policières scandinaves, et de l’attrait croissant pour les co-productions européenne. Il y a peu, je vous parlais de The Team, une série co-produite entre autres par l’Allemagne et la Suède (ainsi que plein de petits copains), eh bien clairement on est dans le même voisinage ici, au propre comme au figuré.
Pour le meilleur et pour le pire…
100 Code met donc en scène Dominic Monaghan (Lost, donc) et Michael Nyqvist (Millennium), deux flics qui vont devoir coopérer alors qu’ils se lancent sur la piste d’un tueur en série. Naturellement ils ne s’entendent pas, mais était-ce vraiment la peine de le spécifier ?
La série démarre de façon un peu floue sur ce qui est à la fois la découverte d’un corps, la recherche d’une autre victime, et potentiellement la poursuite d’un coupable ; le tout avec aussi peu de dialogues que possible, et sans beaucoup de finesse. Ce n’est pas vraiment une exposition à proprement parler puisqu’on ne comprend qu’à moitié ce qui se passe ; la seule compréhension à laquelle le spectateur peut accéder est celle qui dépend de ses réflexes de spectateurs. On décide par exemple de conclure que Dominic Monaghan est un flic, mais il n’y a pas grand’chose pour nous le dire. On sait aussi que monter sur le toit d’un immeuble avec un flingue équivaut à la poursuite de méchant, mais on n’a en réalité jamais su s’il y avait oui ou non un criminel sur les lieux. La scène s’achève lorsque le flic en question ouvre le feu… sur celui qui était en fait son partenaire venu le secourir. Après cela, un plan sur le cadavre qu’ils avaient trouvé, et les hautes herbes et fleurs qui l’entourent. Captivant.
Il faudra plusieurs minutes, voire quelques dizaines, avant d’apprendre qu’en réalité, le tueur sur la piste duquel sont lancés les personnages de la série a coutume d’avoir deux victimes, et que procéder à l’enterrement de l’une d’entre elles aux côtés d’une fleur particulière est partie intégrante de son mode opératoire. Dans l’intervalle le spectateur est supposé se laisser embarquer quand même, parce qu’il n’est pas là pour poser des questions. A l’inverse, quand la série décide qu’une information doit être délivrée au spectateur, ce sera en la prémâchant et en la laissant couler dans le gosier du public de façon appuyée. Pour la subtilité on repassera.
On apprendra donc rapidement que nos deux flics ne s’entendent pas parce que l’un est Américain (il aime donc les armes à feu, il la joue perso, et il ne suit jamais les règles) et l’autre est un Suédois récemment veuf qui est à, non vraiment j’invente rien, 2 semaines de prendre sa retraite anticipée. Il est devenu tellement apathique que de toute façon il reste au bureau toute la journée à ruminer, donc il fait aussi bien de se reconvertir dans un boulot de télésurveillance pour payer les cours de cuisine de sa jeune adulte de fille. Ouf ! J’oublie rien ?
Ces deux situations ne sont pas d’une grande finesse, à cela faut-il encore ajouter d’autres clichés, comme « la cheffe qui les oblige à bosser ensemble sans raison apparente alors que le commissariat est plein à craquer d’autres flics ». Mais bien-sûr, les stéréotypes de 100 Code sont les plus impressionnants lorsqu’il s’agit des victimes du tueur en série : ce sont, de l’aveu même d’une ligne de dialogue plusieurs fois répétée mot pour mot : « des femmes jeunes, blondes, et très belles ». Pourquoi ? On sait pas. Peut-être parce que toutes les victimes de tueurs en série sont toujours de belles et jeunes femmes et que, ma foi, en Scandinavie, c’est plus pratique qu’elles soient blondes parce que comme ça un peu toutes les femmes sont des victimes potentielles.
Vous le voyez on ne tape franchement pas dans le haut du panier. 100 Code est une fiction paresseuse, où ses deux personnages masculins centraux passent beaucoup de temps à avoir l’air renfrognés en regardant des trucs (des listes, des dossiers, des photos, des photos sur un ordinateur, etc.) et à envoyer chier les gens (généralement les femmes) qui les entourent. Dans l’intervalle, quand ils doivent avoir une scène ensemble, ils s’envoie des piques dénuées de tout humour, se toisent avec mépris, et ne se parlent pas de l’enquête… sûrement pour s’assurer qu’elle durera bien 12 épisodes.
Même quand ils sont supposés s’asticoter sur les différences dans le code de la route, c’est fait avec animosité alors qu’on devrait au moins profiter de ces rares scènes sans enjeu pour souffler un peu. A croire que même les acteurs ne pouvaient pas se sentir ? Je sais pas, je spécule, mais punaise, c’est désagréable à regarder.
100 Code est l’illustration parfaite des dérives précédemment évoquées : le succès des séries scandinaves et l’appât de la co-production européenne. On est ici typiquement face à une série qui, comme vous, a vu passer tous les articles sur le « Nordic Noir », la « Scandiwave », et ainsi de suite, et qui bien compris qu’il y avait du pognon à se faire. 100 Code joue en outre sur l’éternel « choc des cultures » entre l’Amérique et la Scandinavie, à la façon de Lilyhammer et Welcome to Sweden (la production de 100 Code a été lancée en 2014, donc avant que ces deux séries ne soient annulées), mais en extirpant toute notion humoristique afin de pouvoir exporter une énième enquête sur des meurtres. Tout indique que dans 100 Code on a justement suivi tous les « codes » de la fiction scandinave qui se vend au MIPCOM.
La télévision scandinave est dans une situation absolument unique au monde : tout le monde veut à la fois diffuser ce qu’elle propose (…dans la mesure où ce qu’elle propose doit coller à l’idée qu’on se fait de ses productions) et collaborer avec elle. Beaucoup de pays exportent leurs productions, mais rares sont ceux qui peuvent prétendre à des collaboration internationales (Israël par exemple doit se contenter de pré-vendre ses fictions aux USA pour pouvoir produire avec cet argent ses séries les plus chères ; les telenovelas ne sont co-produites qu’entre une minorité de pays hispanophones, sinon c’est chacun pour soi et le remake pour tous, etc.). Il n’existe actuellement aucune autre région du monde qui bénéficie d’une telle attractivité. Elle résulte à la fois d’une image froide, sombre et un peu morbide, et d’une impression de proximité culturelle qui fait l’identification peut fonctionner en rencontrant peu voire pas de barrières.
Alors du coup, eh bah tout le monde veut sa part du gâteau, parce que les promesses de reventes sont presque tenues d’avance. Et on attire des personnalités internationales, parce qu’on peut quasiment garantir les recettes de distribution. Et on en arrive à une situation où tout le monde fait du NordicScandiNoirWave dans tous les sens, en suivant le tutorial pour s’en mettre plein les fouilles avec un risque minimum.
Et vous savez quoi ? Pourquoi pas. La télévision internationale marche toujours plus ou moins comme ça. Le problème c’est que c’est particulièrement chiant à regarder. On va être clairs : ça n’empêche pas des gens de se mettre devant leur poste de télévision (341 000 hier devant Kanal5, deuxième programme de la soirée), mais il ne faut surtout pas être exigeant.
Or, quand on a une telle profusion devant soi, n’est-ce pas au contraire le moment idéal de se montrer exigeant ? Le succès des séries scandinaves et leur exportation facilitée ces dernières années (bien que sélective) sont précisément LES critères qui nous autorisent à être plus pointilleux.
Soyons clairs : cette corne d’abondance scandinave est une mode. Comme la plupart des modes, elle va entrainer son lot de très belles découvertes, de remakes plus ou moins honnêtes, et de projets opportunistes sans ambition. Et comme toutes les modes, hélas, elle finira par se tasser, et céder la place à une autre.
Posons-nous la question : quand la tendance scandinave sera passée, voulons-nous en garder le souvenir de 100 Code ?