La review d’aujourd’hui est d’une immense rareté pour plusieurs raisons. D’abord parce que je m’apprête à vous parler d’une série sud-coréenne et, que la review du début de la semaine ne vous abuse pas, ça arrive de moins en moins souvent. Et puis, parce que ce premier épisode me donne l’occasion de parler d’un sujet déjà évoqué par le passé, mais pas du tout dans la rubrique ladytelephagy : la musique coréenne.
Mais ne vous inquiétez pas, malgré tout ça il va quand même être question de télévision, et d’ailleurs pour vous rassurer, la série s’appelle Producer, comme ça ya pas d’ambiguïté.
Diffusée au printemps dans son pays natal, Producer est une série-gigogne dont le procédé de fabrication autant que le principe en font une vraie exception qui confirme la règle. Il n’existe pas grand’chose de similaire à Producer, ni dans son pays ni ailleurs. Elle s’infiltre dans les coulisses de la télévision publique, et suit la fabrication des émissions de divertissement de KBS en se plaçant du point de vue de ses producteurs et exécutifs.
Pour expliquer le comment du pourquoi dans cette exception, il faut commencer par un petit rappel théorique de ce à quoi ressemble la télévision sud-coréenne. Pour ceux qui n’ont pas le temps pour la version longue, rappelons que la télévision sud-coréenne, en particulier sur les grands networks dont KBS fait partie (par opposition au chaînes émergentes du câble), est produite majoritairement en in-house. On n’y fait donc pas appel à des sociétés de productions indépendantes : les producteurs sont des salariés de la chaîne, affectés à une émission, puis une autre quand la précédente s’achève, et ainsi de suite. C’est vrai pour tous les programmes de la chaîne, qu’il s’agisse d’émission d’information, de divertissement, ou bien-entendu de séries.
Ces producteurs portent le titre affectueux de « PD », c’est-à-dire Producing Director puisqu’ils supervisent la réalisation également.
Logo de Music Bank, 2015 après JC.
Producer décide donc de se pencher sur ces fameux Producing Directors, plus spécifiquement au sein du Département des Variétés, ce qui englobe aussi bien les émissions de divertissement que les émissions musicales.
Et d’émission musicale nous allons donc parler avant d’entrer dans le vif du sujet, car en Corée du Sud (comme au Japon d’ailleurs), ces émissions hebdomadaires sont une institution, comme jadis Top of the Pops en Grande-Bretagne, ou American Bandstand aux USA. Celle de KBS se nomme Music Bank, et elle est diffusée chaque semaine en direct depuis 1998 (actuellement le vendredi soir), s’apprêtant ainsi à franchir le cap des 800 épisodes avant la fin 2015. J’ai pensé à dire que c’était une institution ? Elle accueille sur son plateau les artistes les plus en vue du moment, puisque Music Bank se targue également de proposer un classement hebdomadaire des groupes ou solistes les plus populaires (le « K-Chart »), en se basant pour schématiser sur les volumes de vente. C’est le rendez-vous inratable des artistes en promo, qui ont alors la possibilité de monter sur scène en direct et en live (…supposément), devant une fosse remplie de fans déchaînés, pour faire leurs débuts ou leur « comeback ».
En Corée du Sud, l’industrie musicale fonctionne en effet principalement autour de la sortie d’albums. Entre deux albums, les chanteurs partent en tournée, ou tournent des séries, des films et des machins, et ainsi de suite… jusqu’à l’album suivant qui est alors l’occasion de ce qu’on appelle un « comeback », forcément très attendu par les fans après des mois voire parfois une année de disette. Music Bank est donc l’une des opportunités de refaire parler de soi au moment de la sortie d’un nouvel album. Rincez, répétez, recommencez le processus quelques mois plus tard (sauf séparation du groupe évidemment) avec un nouveau comeback tonitruant promu par les émissions musicales comme Music Bank dont c’est le lait nourricier. Les enjeux sont donc très hauts pour ce type d’émission comme pour les artistes musicaux impliqués, qui doivent donc travailler, wait for it, de concert.
Si je vous cause de tout ça, c’est pas pour le plaisir de sortir ma maigre science en matière de Kmusic (je préfèrerais cent fois le faire en Jmusic, mais Producer n’est pas une série du bon pays), mais bien parce que tous ces ingrédients se retrouvent dans Producer. Évoquées en passant, car une série sud-coréenne n’a pas besoin d’expliquer ces éléments aux spectateurs sud-coréens, ces notions ponctuent le premier épisode sans le rendre tout-à-fait incompréhensible, mais restent nécessaires pour comprendre les subtilités de ce qui se dit. Vous voilà donc parés.
Producer est, je ne l’ai pas précisé mais je pense que ça tombe sous le sens, une série diffusée par KBS. Revenons donc à la série elle-même, et à son premier épisode, maintenant que vous êtes au jus.
La série démarre avec la cérémonie d’intronisation des nouveaux producteurs de KBS, qui après des mois de formation peuvent enfin prendre leurs responsabilités dans les divers départements où ils sont affectés. Oui, absolument : une cérémonie, avec un diplôme/certificat, un discours sur une estrade, et une poignée de main formelle, parce qu’en Asie le sentiment « corporate » se construit dés l’embauche. La cérémonie est filmée par une équipe de tournage qui va désormais suivre les producteurs nouvellement nommés, faisant de Producer une série lorgnant sur le mockumentary rappelant parfois The Office.
Jeune producteur faisant ces débuts dans ce contexte très impressionnant, Seung Chan Baek est un peu embarrassé d’avouer que la raison pour laquelle il passe par tout cela, est qu’il veut en réalité travailler au même endroit que la jeune femme pour laquelle il a secrètement le béguin. Ce qui augure de plein de choses pour l’avenir, on s’en doute.
Seung Chan est réservé, hésitant, facilement impressionnable et très docile ; à peu près tout ce qu’un « PD » ne doit pas être pour survivre à KBS. Et lors de son premier jour (qui sera sa seule journée d’introduction aux rouages de KBS sur le terrain avant de mettre la main à la pâte), il va découvrir combien ce monde est parfois brutal, et pourquoi il est nécessaire d’avoir du caractère.
Il est en effet affecté à l’émission Music Bank, dirigé d’une main de maître par la productrice Ye Jin Tak, une « PD » inflexible qui explique volontiers qu’il ne faut accepter de faire aucune faveur, toujours dire non aux demandes reçues, et se montrer inflexible avec les artistes venus pour l’émission. Toutes sortes de choses dont Seung Chan est absolument incapable, lui qui s’excuse pour un oui ou pour un non, puis qui s’excuse quand on lui dit de ne pas s’excuser.
En faisant le tour des bureaux de KBS pour la première fois, Seung Chan va aussi être confronté à de nombreuses célébrités : les So Nyeo Shi Dae (plus connues en Occident comme les Girls’ Generation) à la cafèt de la chaîne entre deux tournages, les Miss A qui sont prévues au planning de Music Bank ce soir pour un comeback, ou Cindy, une jeune chanteuse un peu difficile. Les deux premiers sont de véritables groupes, la troisième est fictive (bien qu’incarnée par la véritable chanteuse IU). Il découvre aussi lentement le monde des managers de ces artistes musicaux, des interlocuteurs avec lesquels, content ou pas, il faut parfois parlementer pour imposer ce que l’on veut.
Pendant ce temps, le premier épisode suit également Joon Mo Ra, l’obséquieux producteur d’une émission « lifestyle » sur le déclin, 1N2D (qui existe vraiment dans les programmes de KBS !), où quatre présentatrices plus toutes jeunes parcourent la Corée semaine après semaine à la découverte de lieux du terroir.
Théoriquement, Joon Mo est rodé aux rouages de l’administration de KBS, mais dans la pratique il est particulièrement méprisé, voire détesté. Pire encore, il est aussi régulièrement convoqué par la KCC (Korea Communications Commission, l’équivalent sud-coréen du CSA) pour l’utilisation de mots jugés de mauvais goût. Ses multiples convocations ne font rien pour le mettre en odeur de sainteté. En dépit de ses vains efforts pour tenter d’inviter Miss A à un prochain tournage cette semaine (malheureusement déjà bookées par Music Bank) et ainsi retaper un peu ses audiences, il va découvrir que 1N2D est annulée par KBS avec effet immédiat. A charge pour lui de plancher sur un nouveau projet à mettre à l’antenne dans 2 semaines, sans compter qu’il doit virer son staff et créer une nouvelle équipe de production/écriture. Il a la sécurité de l’emploi, pas ses subalternes… mais il a quand même un peu besoin de sauver sa peau.
Ce joyeux bordel de mélange entre réalité et fiction est vraiment le point fort de Producer quand on est capable de le distinguer (c’est votre cas maintenant).
Cela donne le sentiment de se plonger dans les vraies coulisses de KBS, bien aidé par le principe de mockumentary qui donne l’opportunité aux personnages de s’exprimer face caméra dans des « confessions » plus ou moins sincères. Cette impression est fausse, mais elle est si bien entretenue qu’on pardonne sans problème. Et en élargissant aux exécutifs, aux chanteuses, aux présentatrices, aux scénaristes, au managers, et ainsi de suite, la série démontre son audace dés le premier épisode : elle veut vraiment dépeindre le show business dans toute sa splendeur, avec ses différents rouages ; pas juste le boulot de producteur.
Et c’est génial parce que les séries asiatiques sur les coulisses du show business, surtout la télévision, c’est rarissime. On se rappelle que The Quiz Show s’y essayait, par exemple, et qui de façon un peu similaire à certains moments s’aventurait aux côtés du producteur de l’émission ; dans le domaine de la fiction, il y avait Geudeuri Saneun Sesang mais où le côté romcom était beaucoup plus marqué d’emblée.
Producer peut se permettre cette plongée, parce qu’en réalité elle n’est pas produite par le Département de la Fiction de KBS, mais par son Département des Variétés, et on sent que ça aboutit à une changement sensible dans le procédé de fabrication. Dans Producer, la romance, si elle n’est pas totalement absente, n’est pas autant mise en avant; les relations professionnelles des personnages priment largement, au moins dans ce premier épisode, sur les relations personnelles. Chacun arrive avec une personnalité (ou absence de ; pauvre Seung Chan) et des motivations claires mais intéressantes. On y décortique les relations entre les différents acteurs du milieu, en jouant parfois la carte de la satire, parfois celle de la comédie plus détendue. L’épisode ne perd jamais de vue son objectif de parler de la vie de tout le quartier (Yeouido) autour des bureaux de KBS, entre les managers qui partagent à la terrassez d’un café les potins sur les « PD » afin de savoir par quel sens les prendre, les staffs des émissions qui doivent composer avec un boulot prenant et très éphémère, les relations entre producteurs ou exécutifs qui prennent parfois un tour quasi-politique, et ainsi de suite. Rien dans Producer n’est prétexte à trouver un contexte professionnel pour rejouer les romcoms vues cent fois, les personnages vivent pleinement dans leur élément, presque pour eux.
C’est donc d’autant plus amusant d’assister à la conclusion de ce premier épisode, lorsque Seung Chan rentre chez lui après cette première journée éreintante et retrouve sa famille où la réalité est toute autre et où, ces histoires de télévision, franchement, on comprend pas tout mais c’est sûrement très bien.
Producer ? La série pour téléphage curieux, par essence.