Cette année, Série Series propose un type de séance bien à part : « Ça tourne », où sont proposés des extraits de séries européennes en cours de production en présence de leur équipe. Pour les professionnels présents sur le festival, la valeur de cette projection tient dans le partage d’expériences diverses (production in-house, co-production internationale, etc.) sur des territoires où l’industrie est très différente. Pour les téléphages, l’aspect découverte est indéniable, à plus forte raison car certaines de ces fictions peuvent ne jamais nous parvenir autrement. L’avenir le dira avec précision, naturellement, mais pour certaines il n’y a pas grand suspense.
De toutes les façons, « Ça tourne » est une initiative fascinante, et je vous propose de revivre la séance d’hier, où 4 premières séries étaient ainsi présentées, au cas où vous soyez restés au frais pendant que je crapahutais à Fontainebleau. Voici donc un résumé de ce qui a pu s’y dire.
Panthers
(titre international : The Last Panthers)
Pays d’origine : France / Royaume-Uni
Chaînes de diffusion : Canal+ / Sky
Date prévue de diffusion : second semestre 2015
Estampillée « création originale Canal+ », Panthers fait en réalité partie du nombre croissant de fictions que la chaîne cryptée française lance en partenariat avec d’autres pays et/ou des scénaristes étrangers. Ici c’est le scénariste britannique Jack Thorne qui signe le scénario, sur une idée originale du journaliste français Jérôme Pierrat. A l’origine, Panthers devait être un film, avant que ses thèmes sombres n’encouragent les producteurs à en faire une série de 6 épisodes d’une heure.
Panthers arrive à cette présentation alors que la série a été intégralement tournée, entre octobre 2014 et mai 2015, et qu’elle est désormais en post-production. Cela confère sans aucun doute un côté très fini au trailer, que les autres séries présentées lors de ce « Ça tourne » ne pouvaient pas nécessairement égaler. Cette bande-annonce, remplie des ingrédients-clé des thrillers, crime dramas et autres séries d’action, détaillait d’ailleurs plus les thématiques de la série (relations entre personnage, plongée dans le crime organisé, etc.), que son histoire à proprement parler. Pour ce que j’en ai compris, cette histoire est celle d’un cambriolage qui a mal tourné et qui entraine le chaos dans la vie de ceux qui lui sont liés, de près ou de loin, mettant à nu les ramification du crime dans diverses sphères et sur divers territoires européens.
Le vrai défi de Panthers, on le sent, est contenu dans ce souhait d’internationalité. L’équipe de la série insiste sur le fait qu’une co-production entre deux pays doit être organique, inhérente à la série, au service de son sujet. C’est particulièrement évident dans le cas de Panthers, qui est produite (à parts strictement égales, insiste-t-on) entre 2 pays, et tournés dans 4 (le Royaume-Uni, la France, mais aussi la Serbie et le Montenegro) tout en faisant usage de 3 langues différentes (Anglais, Français et Serbe). Du propre aveu de la production, travailler avec ces impératifs géographiques et linguistiques complique passablement la tâche, mais Panthers semble bénéficier, pour ce que l’on a vu, de cette démarche.
S’il n’est pas forcément très facile de déterminer, à ce stade, quel genre d’histoire Panthers proposera à ses spectateurs, la série proposera, à tout le moins, une véritable expérience d’infiltration dans les coulisses de l’Europe du crime, ainsi, il semblerait, que dans une famille détruite par cet univers.
Anomalia
(titre international : Anomalia)
Pays d’origine : Suisse
Chaîne de diffusion : RTS
Date prévue de diffusion : février 2016
La production suisse est actuellement plutôt anonyme hors de ses frontières. Anomalia, qui est la seconde série suisse à être présentée en festival cette année après Station Horizon, pourrait bien changer cela, à plus forte raison parce qu’elle est une série fantastique. Sa bande-annonce nous embarque instantanément aux côtés de son héroïne, médecin qui vient d’être affectée dans une clinique privée aux côtés d’une des grandes figures de la profession ; jouant sur le mystère, ces premières images rendent parfaitement la confusion du personnage central, prise entre deux feux alors qu’elle se découvre d’étranges visions bien loin de l’univers stérile de son environnement professionnel. Ce qui frappe d’emblée dans cette mise en bouche, c’est le contraste entre, d’une part, l’inquiétude vécue à la clinique, où l’héroïne semble avoir du mal à trouver ses repères face à un patron froid et dans un décor immaculé jusqu’à s’en sentir oppressé ; et d’autre part, ces visions troublantes qui se déroulent le plus souvent dans une certaine ombre, et qui représentent des images du passé.
L’équipe de la série nous éclairera en nous expliquant que ce médecin va découvrir que ses visions lui indiquent les vraies origines des maladies dont souffrent les patients traités à la clinique. La thèse d’Anomalia est que ces afflictions sont en fait causées par des blessures dans le passé des personnages, plus précisément venant de leurs ancêtres, et que c’est ce qui commence à apparaître, un peu brutalement, à l’héroïne, qui a en fait hérité de don de guérisseuse. Ce clash entre sa formation rigoureuse et cet héritage surnaturel va être au centre de ses expériences dans la série.
L’esthétique de ces images ne laisse aucun doute quant à l’influence de la Scandiwave sur Anomalia (la danoise Riget, créée par Lars von Trier, est explicitement citée comme une inspiration), mais la série trouve en même temps son propre thème, sa propre culture. Ici pas de meurtre à résoudre, comme dans la majorité des séries scandinaves ayant traversé leurs frontières, mais une réconciliation à trouver entre modernité et rites ancestraux.
Anomalia est née d’une présentation de trois pages écrite par la scénariste Pilar Anguita-Mackay, qui ont suffi à convaincre un producteur, Jean-Marc Fröhle. Après que la chaîne RTS ait décidé d’avancer dans le développement de la série, tout le défi était ensuite d’écrire une série adéquate pour le primetime (Anomalia sera diffusée le samedi soir à 20h), tout en s’assurant que la peur et l’angoisse montent progressivement au cours des 6 épisodes. Actuellement, Anomalia est entièrement tournée, et est entrée en phase de montage depuis quelques semaines ; son 4e épisode a été bouclé vendredi dernier. Bien que « conçue comme un film de 6h » (une expression devenue peut-être un peu cliché), la série est aussi prévue pour durer plusieurs saisons ; la deuxième semble être bien partie en tous cas.
Nobel
(titre international : Nobel)
Pays d’origine : Norvège
Chaîne de diffusion : NRK
Date prévue de diffusion : 2016
Si vous fréquentez ces colonnes, vous savez que je vous ai déjà parlé de Nobel par le passé, et cette présentation en avant-première confirme qu’il y a de quoi se lécher les babines. La série nous était présentée alors qu’elle est encore en tournage, et n’avait « que » 8 semaines de bobine à nous montrer. Soyez assurés qu’il y avait déjà largement de quoi se piquer de curiosité pour le projet, quand bien même sa bande-annonce, un peu brouillonne, semblait aborder beaucoup de genres et de thèmes à la fois. Nobel raconte en effet le retour au pays de soldats d’élite après une mission en Afghanistan ; outre leur retour à la vie civile, très dramatique, la série ambitionne d’insérer ce qui ressemble à une conspiration, ainsi qu’une exploration de leur mission sur place via des flashbacks empruntant plutôt aux séries de guerre.
Nobel s’est donné une mission ambitieuse : amener sur la place public un débat qui ne s’y tient pas, quant au rôle des troupes norvégiennes envoyées en zones de guerre. S’y croiseront ainsi des soldats, mais aussi un ministre des affaires étrangères norvégien, des dignitaires de l’armée et du Gouvernement américains, et des civils Afghans. La créatrice de la série, Mette M. Bølstad (également présente sur le festival à l’occasion de la projection de Kampen om Tungtvannet), a ainsi longuement détaillé l’état de l’opinion en Norvège, où l’on est par principe opposé à la guerre, où être tué sur le front est moins grave que tuer, et où l’on considère que le débat est clos. Nobel veut ainsi interroger ses spectateurs sur leur pacifisme et leur demander jusqu’où, en tant que nation, ils se sentent prêts à aller pour préserver une certaine idée de la Paix.
A ce stade, Nobel n’a été tournée qu’en Norvège ; des phases de tournages sont encore prévues à Prague et au Maroc, par tronçons de 8 semaines. La série est donc loin d’être prête et pourtant elle a déjà un impact, comme le montrait un extrait de talk show norvégien projeté hier, pendant lequel l’un des acteurs principaux (incarnant un soldat) était confronté directement à la ministre norvégienne de la Défense.
Nobel va résolument être un projet à suivre à l’avenir, même si c’est aussi très nettement un pur produit norvégien et que son visionnage hors du contexte politico-social de son pays ne le rendra pas nécessairement très commercial. Reste que des séries décidées à créer des discussions sur des sujets faisant consensus sont rares, et que Nobel offre un changement de ton, de genre et de style par rapport aux fictions norvégiennes qui font d’ordinaire parler d’elles.
Labyrint
(titre international : Labyrinth)
Pays d’origine : République tchèque
Chaîne de diffusion : ČT
Date prévue de diffusion : automne 2015
Après la projection de la bande-annonce de Labyrint, sur laquelle je reviens dans une fraction de seconde, et alors qu’il allait commencer à nous parler de la série, Jan Maxa, directeur du développement de la télévision publique, nous demande avec un soupçon de défi dans la voix : « vous avez l’intention de regarder la télévision tchèque cet automne ? », avant de prendre sur lui de nous spoiler copieusement. Permettez que je partage, non sans regret, son pessimisme, et fasse donc de même.
Labyrint est une enquête criminelle parsemé d’éléments religieux, dans laquelle une mère a vu son fils se suicider en prison, et décide que pour sauver son âme (le suicide étant un gros interdit catholique), elle doit tuer ceux qu’elle juge responsables de son sort. Le trailer nous présente ainsi le corps d’un homme empalé sur le modèle de peintures religieuses (voir cette image issue du tournage). Bien-sûr, ce résumé délivre la conclusion de l’enquête, mais quelles sont les chances pour que vous regardiez la série, hein ?
Produite intégralement en in-house, Labyrint n’est pas tellement un défi au niveau de sa production (à l’inverse de Panthers ou Nobel et leur tournage international) ou son intrigue (comme Anomalia qui est la première série fantastique de RTS), mais plutôt dans sa tonalité. Inspirée par le genre « Scandi Noir », dont pourtant Maxa admet qu’il motive les spectateurs tchèques en petit nombre, Labyrint est une série à la tonalité bien plus sombre que les séries criminelles occupant jusqu’à la sa case future du lundi soir en primetime. Un risque créatif dont on saura s’il a payé dés l’automne, étant donné que la série est actuellement en train de finir la phase de montage. Quant à la saison 2, si elle n’est pas envisagée avec autant d’optimisme que celle d’Anomalia, elle serait tout de même déjà évoquée.
Si vous avez un peu de temps vendredi, vous pouvez assister à la seconde séance « Ça tourne » du festival, où seront présentées 4 autres séries : la Britannique The Frankenstein Chronicles (achetée cette semaine par Canal+), les Suédoises Boy Machine et Runners, et la Belge Beau Séjour. Une passionnante façon de s’intéresser à la télévision internationale, une bande-annonce à la fois.