Banished

28 juin 2015 à 12:00

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Si Into the West vous a donné du grain à moudre sur la place des questions raciales dans les westerns, alors vous allez être ravis de cette nouvelle journée de notre semaine thématique. Je vous embarque en effet dans un périple douloureux, mais nécessaire, en commençant par la review du pilote de The Outcasts, une petite série méconnue de 1968.

The Outcasts commence 10 ans après la Guerre de Sécession ; nous commençons par suivre Earl Corey, un cowboy qui arrive dans une petite ville de l’Ouest après que son cheval ait flanché, et dont on découvre progressivement qu’il est un ancien soldat confédéré. Il n’est pas spécialement bien reçu, eût égard au fait qu’il s’agit d’une petite ville où la Confédération n’avait pas de prise, et il est très vite encouragé à partir dés que possible. Hélas, sans argent pour acheter un nouveau cheval (ou alors des pesos, mais la banque où il pourrait les échanger est fermée), il est un peu bloqué. Il rencontre alors Jemal David, un ex-esclave qui semble s’être reconverti en chasseur de primes, et qui travaille sur un cas difficile pour lequel il aurait bien besoin d’un partenaire. David offre donc, à contrecœur car il n’éprouve aucune sympathie pour Corey, que les deux hommes traquent le criminel ensemble et se partagent la prime, avant de chacun partir de son côté du petit patelin paumé où ils sont si peu les bienvenus.
Chemin faisant, ils vont rencontrer des villageois antipathiques, des brigands, et un convoi de l’armée transportant une bien mystérieuse cargaison… la panoplie des westerns est là et bien là, pas de doute.

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D’emblée, The Outcasts donne le ton : l’animosité de la ville, le fait que la première conversation entre les héros se fasse alors que l’un a un flingue pointé sur l’autre, les regards en coin et les petites piques désobligeantes démontrant tout le mépris qu’ils ont l’un pour l’autre… On n’est pas ici dans une buddy comedy.
Et pour le prouver, The Outcasts va souligner combien leur race (ou plutôt leur passé racial) est en fait la seule caractéristique qui différencie les héros. Tout au long du premier épisode, les occasions seront multiples de prouver que Corey et David sont égaux devant l’usage de leur arme et de leurs poings. Aucun outcast ne peut surpasser l’autre, et ce n’est pas faute d’essayer ! Bien malgré eux, Corey et David sont la même personne au fond. Leur méfiance l’un vis-à-vis de l’autre (qui ne sera qu’à peine atténuée à la fin du premier épisode) est en fait l’une des choses qu’ils ont en commun : tous deux sont désabusés, tous deux n’ont aucune raison d’être à l’aise dans leur monde, tous deux entretiennent la même capacité à mentir ou voler lorsqu’ils décrètent en avoir la nécessité, tous deux partagent l’instinct de faire « the right thing » malgré tout (poussant par exemple Corey, un peu malgré lui, à s’en prendre à d’autres Blancs lorsqu’il estime que leur attitude envers David a dépassé les bornes ; et comme vous pouvez l’imaginer , il en faut !).
En insistant sur leurs points communs (qui sont en fait très irritants à leurs yeux !), The Outcasts insiste à sa façon sur la question raciale qui sous-tend la relation entre les deux personnages. A une autre époque, peut-être… mais certainement pas après une guerre qui a valu à l’un de perdre sa plantation, et à l’autre de trouver la liberté.

C’est un choix intéressant dans le contexte des relations raciales de la fin des années 60, et de l’évolution des représentations qui s’amorçait lentement à la télévision américaine dans la foulée : The Outcasts n’est pas exactement dans la réconciliation ni dans l’intégration « allant de soi » (à la Mod Squad, mettons), mais dans l’énoncé de ce qui crée à la base le fossé social entre Blancs et Afro-américains. Au lieu de désamorcer les tensions, la série les met en scène. Ma foi, si ses deux héros doivent se mettre sur la gueule pour se sentir mieux et évacuer leur rancœur, eh bien soit.
On n’imagine pas vraiment le pilote de The Outcasts être le prélude à une réconciliation à proprement parler entre ses deux héros et donc entre deux couches de la société américaine, tant la série établit clairement les origines de la discorde entre Corey et David et insiste sur l’amertume qui en découle. Il est des humiliations qu’on ne peut pas effacer, des souvenirs qu’on ne peut pas rayer de sa mémoire, des blessures dont, même cicatrisées, la trace ne disparaît jamais. Mais en créant ses héros strictement égaux, et capables de collaborer quand c’est nécessaire, la série envoie un signal clair : content ou pas, vous allez bien être obligés de vous respecter mutuellement.

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Don Murray, qui incarnait Earl Corey, expliquera dans l’une des quelques interviews de l’époque : « I believe it is sociologically important – so Negro children will have a hero of their own to watch, and because the abrasive relationship between the two men was the closest thing to realism that television had given us so far. It was artistically important. Hugh Benson assured me we wouldn’t pull any punches. Nor would we let the network water it down. Everything about civil rights then is as contemporary as today« .
Pas forcément le message que les spectateurs américains ont alors envie d’entendre (on est quelques mois avant l’assassinat de Martin Luther King), et la livraison brutale, mais réaliste, de cette réalité par The Outcasts ne fera pas spécialement d’émules. La série ne durera qu’une saison, avant d’être annulée sans grand bruit. En France, elle n’a été diffusée apparemment qu’une fois… par l’ORTF (sous le titre Les Bannis). Oui, ça date un peu.

En matière de westerns, The Outcasts est d’abord une pionnière, si vous me passez l’expression : elle est la toute première série de western dont l’un des rôles principaux est incarné par un acteur noir (peut-être encouragée à cela par le succès de I, Spy). Elle est aussi unique : si quelques fictions de western ont abordé la question des esclaves (généralement des esclaves affranchis, qui formaient la majorité des Noirs parvenant dans l’Ouest), ou ont implémenté un (parfois plus) personnage noir dans leur cast ou le temps d’un épisode, très peu se sont aventuré sur le terrain social, à plus forte raison avant la Rural Purge de 1969. Les décennies les plus récentes ont incorporé ces personnages de façon en apparence organique (The Adventures of Brisco County Jr., dont on parlait plus tôt cette semaine, met en place un chasseur de primes noir sans que le scénario ne semble distinguer sa couleur de peau ; Dr Quinn présente Robert. E comme un ancien esclave installé dans une relative quiétude à Colorado Springs, ainsi de suite), mais rarement en abordant, eh bien ma foi, le cœur du problème, soyons sincères : il a bien fallu que les Afro-américains s’installant dans l’Ouest, comme Jemal David, affrontent des Blancs nourris de préjugés, comme Earl Corey. Il y aurait peut-être, d’ailleurs, à l’heure où les networks « Black » s’intéressent à la commande de projets ambitieux, quelque chose à tenter par-là. Toujours est-il que pour le moment, The Outcasts reste absolument unique en son genre.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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