Qu’elle était verte ma vallée

26 juin 2015 à 12:00

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Aujourd’hui je vous propose de parler de sagas familiales pour notre nouvelle journée consacrée aux westerns. Courage, on a passé le plus gros. Des sagas familiales de western, il y en a eu pas mal avec les décennies, et on a eu l’occasion de mentionner la raison de leur existence dans l’article de lundi. Elles prennent bien-sûr, au fil des ans, des formes variées, et je vous propose de regarder ce que The Big Valley a créé à partir de cette formule.
Pour vous resituer un peu la série : The Big Valley est un western orienté plus vers le drama que l’action (quoiqu’il y en ait ponctuellement) démarrant à l’automne 1965, avec un Lee Majors qui ne vaut pas encore trois milliards, une Linda Evans qui n’est pas encore mariée à un millionnaire, et Barbara Stanwyck n’a encore qu’un seul Emmy. Je sens que je parle hébreu aux spectateurs de moins de 30 ans, mais bon, au point où j’en suis cette semaine. La série se déroule dans un ranch qui appartenait autrefois à Thomas Barkley ; depuis son décès voilà 6 ans il appartient à sa veuve et leurs enfants. L’endroit est très créativement nommé le « Barkley Ranch ».

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Ces enfants, parlons-en. Ils sont au nombre de 4 : Jarrod, l’intellectuel ; Nick, l’homme de terrain ; Audra, la fille ; et Eugene, l’étudiant en médecine. Mais dans le premier épisode, ils vont apprendre qu’en réalité ils ont un demi-frère, Heath, un vulgaire cowboy qui réapparaît alors qu’il vient d’apprendre qu’il est le fils illégitime du riche Thomas Barkley. Dois-je préciser qu’il n’est pas exactement accueilli à bras ouverts ?
Mais les Barkley ont un plus gros problème : la compagnie de chemin de fer veut s’approprier les terres sur lesquelles se trouvent de nombreux ranchs de la région. Toute la vallée est en train de se faire exproprier, et le plus légalement du monde par-dessus le marché, grâce à quelque astuce juridique. Jerrod revient justement au ranch avec de bien mauvaises nouvelles pour son entourage : il va falloir se plier à la loi ; sans quoi, le patron de la compagnie a engagé 200 hommes de main pour liquider quiconque s’opposera au « progrès ».

Dans The Big Valley, on mélange le western classique (les pistolets pétaradent deux longues minutes vers la fin de l’épisode, on chevauche des équidés pour un oui ou pour un non, etc.) à une saga familiale sans vraiment savoir que choisir. Par moments, le pilote semble nous dire que faire vivre l’héritage de Thomas Barkley est sa priorité ; à d’autres, les interactions entre les personnages prennent les devants sans grande raison ni beaucoup de plus-value.

Ainsi, après qu’elle entende ses frères s’engueuler avec Heath après qu’il leur ait raconté comment il a appris être un Barkley (ce qu’ils mettent en doute), Audra se précipite en ville (manquant de se faire violer) et tente de séduire Heath ; l’idée sous-jacente étant que s’il lui résiste, ce sera parce qu’il est son frère, forcément. Une logique boiteuse mais qui lui appartient, et vu l’époque à laquelle elle vit, peut-être qu’elle n’a pas tort de penser ainsi, après tout. Mais cette séquence est totalement inutile, à part pour donner à Linda Evans quelque chose à faire en-dehors d’être blonde ! Il ne sera rien appris de cette scène, sur personne. La série est de toute façon totalement incapable de l’employer autrement qu’en jouant sur une attraction physique avec le personnage de Heath, ce qui laisse un arrière-goût plutôt amer pour bien des raisons. Mais cela aide à meubler pour parvenir à un épisode de 50mn, je suppose… et The Big Valley se rend à plusieurs reprises coupable de ce genre de bavassages sans intérêt et de rebondissements stériles.
L’aspect dramatique est mieux géré lorsqu’il s’agit du personnage de Victoria ; bien qu’elle ait assez peu de temps d’antenne, Barbara Stanwyck a là l’opportunité de jouer un personnage charismatique, respecté, intelligent et observateur. L’épisode n’en fait pas des tonnes sur l’intrigue de Heath en ce qui la concerne : on ne verra pas sa réaction (on devine qu’elle a entendu la confession du cowboy mais ça s’arrête là), et aucun suspense artificiel n’est bâti autour des questions trop évidentes (comment l’a-t-elle pris ? va-t-elle, comme, Nick accuser Heath d’avoir fabriqué son histoire afin de toucher l’héritage des Barkley ?). On nous délivrera simplement une scène d’une très grande noblesse dans laquelle elle va non seulement accepter sans broncher que Heath soit le fils illégitime de son mari, mais aussi l’aider à s’intégrer dans la famille en lui inculquant les valeurs fondatrices des Barkley.

Outre ces luttes familiales, il y a aussi… tout le reste. Cette inquiétude qui ronge les propriétaires de la vallée, lorsqu’ils apprennent de Jerrod que la loi ne leur sera d’aucun secours. L’abattement, en apprenant que la seule façon de conserver leurs terres… est de les acheter (et de rassembler cette somme en quelques heures). Le découragement croissant alors que même le shérif avertit qu’il ne pourra qu’être du côté de la loi. L’horreur, aussi, en voyant les menaces mises à exécution. The Big Valley ne s’appesantit pas de la même façon sur tous ces différents éléments, mais ils sont indubitablement présents, et racontent une histoire bien différente que « le chemin de fer est notre ami pour la vie », qu’on peut trouver dans beaucoup d’autres westerns (certes souvent antérieurs à The Big Valley).

Dans The Big Valley, les personnages centraux sont riches (une garantie de glamour et de luttes soapesques), mais ils sont aussi des « petits » à la merci de dangers divers (ce qui permet de quand même garder l’affection du public). Pour preuve : l’épisode s’achève sur une conclusion positive en ce qui concerne les espoirs d’intégration de Heath ; alors que les choses sont plutôt austères pour ce qui est de l’expropriation.
Les propriétaires de ranchs ont en effet refusé la saisie de la première propriété de la vallée, et ont dû se battre contre les 200 hommes de main de la compagnie de chemin de fer… qu’ils ont vaincus (tuant le shérif au passage). Mais la loi étant toujours de l’autre côté, cette victoire est forcément de courte durée… Pourtant, The Big Valley, comme la plupart de ses contemporaines, n’est pas une série profondément feuilletonnante ; elle fonctionne selon le principe d’un danger par semaine, avec légèrement plus de continuité dans les affaires personnelles des Barkley, mais sans plus. Vu sous cet angle, faire le choix que ce premier épisode s’achève ainsi est donc une véritable profession de foi, indiquant que les Barkley, pour riches qu’ils soient, existent dans un monde tourmenté. Leur mode de vie est en péril, et leur prospérité tient à peu de choses. On est bien loin de la quête enthousiaste de « The Coming Thing ».

En-dehors de cet étrange déséquilibre entre son ange et son diable d’épaule (qu’on pourrait résumer caricaturalement par un côté Rick Hunter, et un autre Brothers & Sisters ; je laisse à votre appréciation qui porte l’auréole), The Big Valley se distingue aussi par son côté très théâtral, et les mouvements amples et parfois ridicules. Allez, puisque j’en suis aux comparaisons hasardeuses, c’est un peu Empire par moments : over-the-top, mais bien décidé à assumer. Cela fait partie de son charme, cette façon qu’ont les personnages de s’énerver comme dans une tragédie grecque, avec peut-être juste un peu trop d’emphase, et elle ne le renie pas. The Big Valley embrasse sa mise en scène exagérée, comme beaucoup de séries de l’époque ; on veut y faire du théâtre, on veut y faire du cinéma, on veut y faire du divertissement grand public aussi, et de cela, jamais le pilote ne s’en excuse. L’expérience est belle, quelque part, parce que bien que la série se veuille mainstream, elle expérimente finalement pas mal.
Ça rend ce premier épisode tantôt difficile à prendre au sérieux, tantôt plus moderne que d’autres westerns présentés cette semaine. Mais allez, on n’en est pas à un paradoxe près.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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