Ce midi on parlait de femmes s’aventurant dans l’Ouest en dépit de leur éducation protégée ; mais toutes les femmes de westerns ne sont pas nécessairement dans ce cas. Loin de là. Cependant, beaucoup des femmes ayant grandi et toujours vécu dans cet univers restent des personnages secondaires de séries dont le héros est un homme.
Il n’existe qu’une exception à cette règle : Annie Oakley, une série d’aventures née pendant le boom de la première moitié des années 50, et qui est le seul western de l’époque à ne pas mettre en scène un homme dans le rôle principal. En dépit de son titre, Annie Oakley n’est pas du tout un biopic ; la série tire partie de la notoriété de la célèbre tireuse du même nom… mais invente absolument tout le reste. La seule caractéristique que la série retient est l’aptitude d’Oakley à tirer mieux que personne.
Ainsi, Annie Oakley est dans la série qui porte son nom une orpheline qui élève son jeune frère Tagg, et ils ont été recueillis par leur oncle, le shérif Luke MacTavish. Elle est également très proche de l’adjoint de son oncle, Lofty Craig.
Annie est, de notoriété publique, une tireuse d’excellence, et tous dans la série s’accordent sur ce point sans jamais le discuter : elle est meilleure que tout le monde, c’est-à-dire, meilleure que les hommes. Ce point n’étant jamais contesté, la série est contrainte à quelques contorsions scénaristiques pour ne pas présenter les hommes de la série comme des incapables ; pour cette raison, Annie ne brille qu’en matière de tir… mais dés qu’il y a un combat à mains nues, elle est gentillement écartée à la fois par les scénaristes et les personnages masculins sur place, pour que les hommes les vrais puissent se battre (pas forcément pour de bonnes raisons, mais ce n’est pas l’important).
Il reste qu’en dépit de ces ponctuelles tentatives de rappeler à Annie qu’elle n’est qu’une femme, même dans la série qui porte son nom, elle est tout de même l’héroïne. Annie a le dernier mot de façon régulière, et n’a besoin de l’aide de personne pour prouver qu’elle est totalement capable de faire ce pour quoi elle est célèbre.
Pour preuve, chaque épisode est précédé, comme c’est régulièrement le cas dans les séries des années 50, par une sorte de trailer de l’identité de la série ; cette introduction, toujours la même, sert en gros à rappeler au jeune spectateur (présumé masculin) pourquoi il regarde une série avec une fille dans le premier rôle. Dans le cas d’Annie Oakley, cette courte autopromo consiste donc à promouvoir Annie comme une héroïne d’aventures impressionnante.
Comme ses contemporaines, Annie Oakley est donc conçue comme une série de western forte en scènes d’action… mais en parallèle, elle reste (là encore comme ses contemporaines) une série pour enfants. C’est ce qui explique la présence de Tagg dans ses aventures, qui n’a aucune excuse pour participer aux intrigues si ce n’est le fait qu’il sert de point d’identification pour le spectateur.
Dans le tout premier épisode de la série, Annie Oakley and the Brass Collar, une attaque de train cause la mort d’un machiniste, et Annie Oakley est tout naturellement la première personne appelée à la rescousse par Haywood, le réponsable de la voie ferrée dans la région. Malheureusement, cette attaque n’étant pas la première, le propriétaire de la compagnie ferroviaire a également fait le déplacement. Or, c’est un homme rigide qui n’est pas du tout disposé à remettre la sécurité des rails entre les mains d’une femme. Soutenue par les hommes de son entourage, Annie balaie ces affirmations de la main et prouve dans les minutes qui suivent qu’elle mérite largement sa réputation de tireuse exemplaire, et de justicière locale fiable. Il lui arrivera même, au cours de l’aventure, de sauver Lofty alors qu’il était prêt à se lancer dans une bataille contre les hors-la-loi bien qu’étant dans une situation à son désavantage.
Tout au long de cet épisode, Annie Oakley se présente comme quelqu’un de raisonnable, mais capable ; elle évite de se battre pour se battre, et ne fait usage de son arme qu’en cas de nécessité. Ce trait de personnalité est celui de tous les héros de western de son époque (on se rappelle du Cowboy Code d’Autry ; la série est d’ailleurs produite par lui, bien qu’il eût préféré produire des films avec une héroïne plutôt qu’une série). Mais il est plus que surprenant qu’Annie puisse bénéficier de ce trope étant donné qu’elle est une femme, et qu’à ce titre elle ne porte aucun badge, aucun titre militaire, aucune responsabilité officielle, ce qui est la norme pour les séries de son époque.
En outre, Annie Oakley propose dans sa première demi-heure d’existence quelques cascades impressionnantes, par exemple lorsque deux personnages (Annie et Lofty) montant à bord d’un train en marche depuis leur cheval dans deux scènes différentes. Il y a également toute une séquence de combat sur le toit dudit train opérée par Lofty, tandis qu’Annie se glisse dans la locomotive pour conduire elle-même l’engin ! Franchement je ne m’attendais pas à ça…
Annie Oakley durera au total 3 saisons, mais son succès ne sera jamais dupliqué ; elle restera la seule série de western d’action et d’aventures à mettre en vedette une femme, et l’actrice Gail Davis la seule femme à avoir tenu pareil rôle. En dépit de la légende laissée par la véritable Annie Oakley, le personnage ne sera plus vraiment réemployé à la télévision, si ce n’est dans la mini-série en deux parties Buffalo Girls, où elle apparaîtra alors sous les traits de la chanteuse de country Reba McEntire (ça s’tient) face à Anjelica Huston dans le rôle de Calamity Jane, en 1995.