Meat puppets

2 juin 2015 à 9:15

Faire-part. Par le passé, vous m’avez sûrement entendue dire quelque chose comme : « la série sur la télé réalité idéale n’existe pas encore ». Eh bien les amis, je crois qu’elle est née la nuit dernière. Sur Lifetime. Of all places.

UnREAL-650

Everlasting est une émission romantique dans laquelle un riche et séduisant célibataire est confronté à de nombreuses jeunes femmes espérant toutes ravir son cœur. Cette saison, c’est Adam Cromwell, un riche playboy britannique à la tête d’un empire hôtelier, qui va ravir le cœur de ces prétendantes. La mission de la productrice Quinn King et de son équipe, c’est qu’il ne trouve pas l’élue de son cœur avant le nombre d’épisodes réglementaire, et que dans l’intervalle, il fournisse de la « bonne télévision », c’est-à-dire de la télévision regardable en masse… malgré lui s’il le faut.
Pour cela, Quinn est entourée d’une nombreuse équipe, au milieu de laquelle on trouve Rachel, une assistante de production réputée pour son talent à extirper des confessions aux candidates, et pour son sens aiguisé du drama. Hélas pour elle, récemment Rachel s’est surtout illustrée pour un fiasco monumental, devant les caméras de la saison précédente d’Everlasting, manquant de ruiner la production, son casier judiciaire, et même sa relation à son petit-ami de l’époque, cameraman sur le show. Son retour en freelance sur Everlasting soulève donc quelques questions, et en agace plus d’un.

Et c’est sûrement parce qu’UnREAL se refuse à uniquement dépeindre une émission ou ses coulisses qu’elle réussit si bien. Everlasting n’est pas l’objet de la série, mais son support, son canevas, sur lequel UnREAL tisse toutes sortes d’approches. Quand on compare à Burning Love, par exemple, on voit bien le fossé énorme qui sépare les deux séries et leurs intentions respectives. UnREAL n’a que faire de se lancer dans un pastiche des émissions à la Bachelor, ou même d’en exposer les ficelles. On a désormais passé ce cap : tout le monde sait que ces émissions sont truquées, et expliquer en long et en large combien les participants sont hypocrites est dans le rétroviseur depuis longtemps.
En revanche, UnREAL veut rebondir là-dessus, sur le fait que nous savons que tout est pipé, pour aller plus loin encore. Et après une petite moitié de pilote bien tranquille pendant laquelle UnREAL nous explique non seulement que les dés d’Everlasting sont pipés, mais encore qui prend les décisions et sur quelle base, eh bien nous avons affaire à un vrai drama ambitieux, et particulièrement sombre.

Rachel n’est pas, comme nous avions été conduits à le penser, une pauvre sous-fifre sous-payée et surmenée, qui est retournée au boulot la mort dans l’âme, peut-être faute de mieux. Avec ses faux-airs de Liz Lemon de 30 Rock, Rachel a un peu l’air d’une pauvre fille qui a dû s’asseoir sur ses idéaux (elles arbore pendant tout ce premier épisode un splendide T-shirt « this is what a feminist looks like », ce qui dans l’émission où elle bosse est doublement un acte politique). Sa vie est lamentable et elle en ressent la moindre seconde désoeuvrante, c’est palpable. Elle méprise son job, bien qu’elle soit, effectivement, extrêmement efficace pour obtenir ce que Quinn attend d’elle. On la sent faire preuve d’empathie, plus que tout autre sur le tournage, parce qu’elle a cette cassure issue de son craquage et qu’elle semble vouloir éviter de faire du mal à « ses » candidates, celles dont elle a la charge. Mais progressivement, UnREAL dévoile que Rachel est bien plus que cela.
D’abord, Quinn lui a un peu forcé la main : la production d’Everlasting a porté plainte contre elle après son craquage de la saison passée, et Rachel est donc un peu obligée de faire ce qu’on lui dit. Et surtout, c’est une femme qui a un plan. Et à ce titre, la fin du pilote d’UnREAL est… irréelle.

Le job de Rachel, c’est maîtriser parfaitement le profil des candidates pour pouvoir obtenir l’émotion la plus télévisuelle sur commande. Elle doit aussi canaliser le candidat d’Everlasting, un riche emmerdeur qui est surtout là pour se faire de la pub et ne recherche évidemment pas de romance. Pour finir, Rachel doit veiller à ce qu’il y ait toujours une histoire, et c’est après tout la raison pour laquelle Quinn chante ses louanges : faire pleurer l’une, énerver l’autre, devant la caméra bien-sûr, tout ça avec le sens du spectacle… Eh bien c’est ce que Rachel va finir par faire.
Mais à l’insu de tous. Rachel est capable de jauger les gens, les situations, et de les manipuler pour obtenir ce qu’elle veut. Alors elle débarque avec son T-shirt trop large et ses cheveux mal peignés, son air de porter le monde sur les épaules et soupirs excédés, et elle se cache derrière l’identité de « pauvre folle » que ses collègues lui ont octroyé, comme ils octroient des rôles arbitrairement aux candidates d’Everlasting. Et elle va utiliser tout cela pour se venger de la production de la série, en retournant les règles de la télé réalité contre ceux qui la font. Pour cela, elle va utiliser les failles de chacun, et son don hors du commun pour obtenir des gens ce qu’elle veut devant une caméra.

UnREAL est une histoire raffinée de manipulation psychologique dans tout ce qu’elle a de dégradant. Mais pour une fois, il ne s’agit pas juste de dire « regardez comme les images de la télé réalité sont manipulées », mais bien de se servir des faux-semblants du genre pour permettre à son héroïne d’avancer masquer. Et non seulement Rachel apparaît de plus en plus perverse et glaçante, mais c’est tout le premier épisode d’UnREAL qui bascule progressivement dans le malsain. Sur Lifetime. Of all places !
Dans tout ça la performance de Shiri Appleby est incroyable. Je sais qu’elle a ses fans mais je n’aurais jamais pensé que quelqu’un pourrait la pousser dans ces retranchements-là un jour. C’est presqu’émouvant de se dire qu’elle a fait tout ce chemin sous nos yeux, depuis Roswell jusqu’à UnREAL, et qu’elle est en train de devenir très grande. UnREAL lui offrira, je n’en doute pas, plein d’opportunités de briller chaque semaine d’une lueur plus maussade encore, et j’ai très hâte de la voir repousser les limites de ce qu’elle a pu sortir jusque là. Constance Zimmer, plus dans sa zone de confort mais toujours aussi efficace à l’intérieur de ses limites, ne démérite pas non plus.
D’une façon générale, je crois que Lifetime tient là sa première vraie bête à concours, et punaise, ça fait un bien fou de voir que même une chaîne sur laquelle on ne compte pas peut sortir des monstres de potentiel comme ça. Je sais qu’on n’en est qu’au pilote, mais si les choses continuent dans ce sens, et à ce stade je n’ai aucune raison de penser le contraire, on pourrait bien avoir des Emmys au nom d’UnREAL d’ici quelques temps. Sur Lifetime. OF ALL PLACES !
Irréel, ce n’est rien de le dire.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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