Rétrogradation

1 juin 2015 à 19:08

Aquarius-650

Avec Aquarius, mon cœur balance : j’hésite entre l’envie puissante de lapider la série jusqu’à son retrait de l’antenne, et laisser pisser parce que c’est tellement nul que je vais pas me rende malade pour une connerie comme celle-là.
Evidemment ce serait beaucoup plus sain de ne pas m’énerver, mais en même temps, si j’écris des reviews, c’est aussi, parfois, pour des saloperies comme Aquarius. Au-delà de la mission de découverte que je me suis fixée, parfois, il y a un autre objectif tout aussi important : essayer d’avertir quand une série est vraiment minable, et que la tenter reviendrait à une grosse perte de temps. Et à une époque où on ne peut pas cliquer sans qu’il tombe quinze séries à regarder, pardon, mais vous avez autre chose à foutre que perdre votre temps sur Aquarius.

Je vous le dis tout net, au début je pensais expliquer ça sur le ton de l’humour. Parce que déjà que la série est nulle, alors si en plus on peut pas se moquer… Mais non. Non parce que plus j’y pense, plus je trouve Aquarius grave sur le fond. Elle m’envoie des frissons de rage pas très éloignés de ceux que Bad Judge, pour ceux qui se souviennent. Les deux séries ont exactement le même problème : derrière le délire de faire une série pas chiante parce qu’elle repose sur des concepts familiers (ici Aquarius, c’est un flic qui va faire son possible pour arrêter un psychopathe ; donc Hannibal dans les années 60, en gros), on a une fiction qui se complait dans des idées encore plus datées que l’époque pendant laquelle elle se situe.

Il faudrait qu’on arrête de penser (en particulier chez NBC, mais je n’exclus pas les autres networks de cette conversation) qu’une série pas compliquée doit forcément être profondément réactionnaire ; on peut se divertir sans annuler la moindre once de progrès social obtenue à la force du bras. Obtenue, et c’est sacrément ironique, notamment grâce aux mouvements des années 60, donc l’époque d’Aquarius. Vous admettrez qu’il faut être sacrément bouché à l’émeri pour avoir réussi à tomber dans pareil écueil, quand même. Mais vaillamment, Aquarius ignore totalement tout ça… alors que quand une série veut exploiter la même époque que Mad Men et éventuellement récupérer quelques uns de ses spectateurs en profitant de l’appel d’air, ça semblerait logique.
En fait non, ce n’est même pas une question de Mad Men, à la limite : sans même parler de mettre la barre à ce niveau (qui n’est même pas toujours ultra-haut, on l’a dit dans la review dédiée), ce devrait être le B.A.BA de toute série que de recréer un univers social autour. C’est pourtant la base : il faut expliquer le contexte dans lequel l’action se déroule, les mentalités des gens, ce qui est admis ou pas. Comment emmener les spectateurs dans un univers qui n’a pas de codes ? Mais Aquarius s’en fout, du B.A.BA : tout ce qui l’intéresse c’est de jouer sur le folklore. L’imaginaire de la fin des années 60, c’est ça son kif, et ça se résume à la drogue. Au-delà de ça, Aquarius n’a rien à dire sur son époque, et si ce n’était pour quelques détails vestimentaires et/ou capillaires, et la drogue, eh bien Aquarius pourrait aussi bien se dérouler de nos jours qu’on ne verrait pas la moindre différence. En se rendant coupable de ce défaut de construction d’univers, Aquarius, du coup, s’entête à ignorer tout contexte, et se raccroche également à une sorte de folklore sociétal : les hommes blancs sont des gens d’action, les femmes blanches sont des victimes, et les personnes de couleur n’existent absolument pas. Le fait que l’amour libre se soit développé à cette époque ne vient pas une seule fois s’immiscer dans les interrogations du pilote non plus, alors qu’a priori la question y est centrale dans l’entourage de Manson.
Non, Aquarius c’est cette espèce d’image d’Épinal d’une société figée dans les représentations qu’on s’en fait ; ignorant totalement que, par exemple, ce n’est pas parce que les personnes de couleur n’avaient pas droit au chapitre à l’époque, qu’elles n’existaient pas du tout. De ce fait, Aquarius n’est pas une série sur la fin des années 60 : c’est une série qui aurait pu être produite à la fin des années 60, si ce n’est qu’on voit une pipe en primetime sur NBC. Enfin, « voit ». A peu de choses près, ce sont Les Rues de San Francisco, pour tout vous dire, mais comme Aquarius est a priori une event series, on aura fort heureusement pas besoin d’aller jusque là pour le vérifier.

Aquarius, c’est donc l’histoire d’un flic dont on ne sait rien (il est en train de divorcer et il a un fils, si ça ne définit par une personnalité, ça !) qui, parce qu’une faible femme le supplie et qu’il l’a jadis… fréquentée, décide de se mettre à la recherche d’une adolescente qui a disparu, Emma. C’est d’ailleurs plutôt cool, la police dans les années 60 : en gros c’est comme les détectives privés, ils travaillent à la commande, ils ne reçoivent pas d’ordre de leur hiérarchie, juste le tout-venant qui peut leur demander des trucs, à l’aise.
Et pourquoi Emma a-t-elle disparu ? Parce qu’elle a 16 ans et qu’elle est conne, voilà. Posez donc pas des questions comme ça. On ne va quand même pas se faire chier à lui inventer une personnalité (vu qu’on n’a déjà pas pris cette peine pour le héros monolithique incarné par Duchovny de façon encore plus monolithique), et puis de toute façon elle n’est qu’un prétexte ! Ah, c’est la victime ? Bon bah ça va, c’est pas un personnage : c’est une victime ! On s’en fout alors de ce qu’elle pense. Si elle pense, d’ailleurs. Et quitte à tomber dans tous les clichés possibles pour le « montrer », eh bien soit, Aquarius va les égrener comme un chapelet. Par exemple, si la gamine a compris quoi que ce soit au speech de Manson, bah franchement je dis bravo. Ça va qu’elle n’existe pas vraiment, qu’elle est juste là pour que Manson l’utilise, parce que si c’était une personne, je pense que j’aurais presqu’envie de la sauver rien que pour avoir réussi à comprendre ce que Manson a voulu dire à propos de « serpent électrique ». Mais après c’est sûr ça compliquerait. On imagine qu’Emma le regarde avec de grands yeux en pensant en son for intérieur : « mais t’es complètement pété Manson, moi j’ai tiré 2 secondes sur un malheureux joint, je vais pas comme ça partir parce que tu me parles d’un symbole phallique électrique et de changer le monde, ça va quoi ». Mais dans Aquarius les gens n’ont pas de for intérieur, surtout pas les femmes : soit elles sont des victimes, comme Emma ou, par ricochet, sa mère éplorée ; soit elles sont des dévergondées qui taillent des pipes à la commande, comme dans la clique de Charles Manson ; ou alors, comme on le voit vers la fin du pilote, elles sont des femmes qui acceptent de jouer le rôle de victime pour permettre aux hommes de boutiquer entre eux, comme Charmain la fliquette le démontrera. A part ça, elles n’existent pas.

Et bien-sûr quand elles existent en tant que victimes, elles ne sont pas des personnes non plus : elles sont des vagins. Emma n’est charmée que parce que Manson va clairement essayer de se la faire, et par-dessus le marché, de la déflorer (on le voit via l’insistance du début du pilote à nous dire qu’Emma repousse les avances de son petit ami). Si Emma Dumont (charmante actrice qui fait regretter Bunheads pour une raison supplémentaire) ouvre si grand les yeux, c’est parce qu’elle a environ zéro occasion d’ouvrir la bouche, les dialogues écrits pour son personnage étant réduits à leur plus simple expression dés que possible parce qu’on ne va quand même pas la laisser jacqueter, c’est une victime. Les seules fois où on veut bien qu’elle s’exprime, c’est pour nous rappeler son statut de victime, par exemple quand elle ne consent pas à un acte sexuel à plusieurs alors qu’au départ elle s’était laissée charmer (et c’est hélas bien le verbe, « laisser ») par Manson uniquement. Aquarius lui laisse juste le temps de dire non pour lui voir confisquer son droit au consentement, parce que c’est une victime vous vous souvenez ? Et hop, après on s’en fiche, elle redevient un vagin.
Idem pour la mère d’Emma, Grace (je vous le dis tout net sans IMDb je ne connaitrais pas son nom, la série s’appesantit peu sur elle), qui n’existe que parce que le personnage de Duchovny était jadis son petit ami et qu’elle s’est mariée à un autre depuis, Ken Karn, avec lequel elle a eu Emma. Si ce n’est pas se distinguer uniquement par son vagin, je ne sais pas ce que c’est.
Même chose pour Charmain qui est utilisée comme appât mais pour laquelle son collègue parle entièrement à sa place, et même agit à sa place. Mais promis, nous assure Aquarius, elle s’est éclatée. On ne sait pas pourquoi ni en quoi, mais avant de lui donner l’opportunité de l’expliquer, Aquarius fait sortir le personnage : qu’est-ce qu’on s’en tape après tout, elle a rempli son boulot. Dans la vie, Charmain fait vagin ; c’est d’ailleurs pour ça que la seule autre chose qu’on sait d’elle, c’est qu’elle fouille les femmes au poste de police.

Et le plus dur à avaler dans tout ça, c’est qu’Aquarius finit l’épisode en nous démontrant que même le semi-kidnapping d’Emma n’a rien à voir avec elle : c’est uniquement parce qu’elle est la fille de Ken Karn et que Manson veut se venger de lui. Si Karn avait eu un labrador au lieu d’une fille, Manson aurait kidnappé le labrador.
Le vagin est donc uniquement un outil pour régler les comptes entre hommes ; on s’en doutait un peu vu la très fine motivation du personnage de Duchovny, mais alors là ça dépasse tout. Plus femme-objet que ça, ça va être très, très difficile. Mais pas impossible, hein, Aquarius a toute une saison derrière pour s’y essayer.

A tout cela il faut encore ajouter que les spectateurs auront droit non pas à une, mais à deux scènes de viol dans le même épisode, l’une sur Emma, l’autre sur un homme, son père, parce que le viol sur les femmes est devenu tellement courant à la télévision qu’après tout il faut bien faire dans la surenchère. C’est supposé nous dire que Manson utilise le sexe avant tout comme un outil de pouvoir, mais le seul effet produit est que c’est totalement navrant. De la part d’une série aussi peu fine qu’Aquarius, la manœuvre apparaît pour ce qu’elle est : une tentative de choquer à peu de frais. Parce que maintenant si t’as pas des viols dans ton pilote, t’as raté ta vie.

Alors écoutez, moi je sais pas. Est-ce qu’on attend que ça passe ? Aquarius ne durera que 13 épisodes, après tout. Pourquoi gaspiller notre énergie ! Moi je suis en plein marathon Kaamelott, je suis tombée follement amoureuse du pilote de Mr. Robot, je profite du retour de Halt and Catch Fire, je déguste mes épisodes de Mother Game, je tente de finir Hanyeodeul, et j’attends la saison finale de Falling Skies plus tard ce mois-ci : je suis téléphagiquement très occupée, alors est-ce que ça vaut bien la peine de perdre du temps à râler ? Ou bien est-ce qu’à un moment on tape du poing sur la table et on admet que ce genre de séries à la con, on n’en veut plus ? Parce qu’à un moment, ça suffit ces conneries.
J’hésite toujours. Mais je me demande si à force d’hésiter, on ne laisse pas aussi ces séries continuer de naître et de polluer les écrans année après année, même si en apparence c’est une event series à la fois.

par

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. mabo dit :

    Ouh ben dis donc ça donne vraiment pas envie ! C’est soulant les séries qui tentent de faire un truc dans le passé en zappant complètement toute la société de l’époque… Ca a l’air très malsain tout ça en plus !
    A force de regarder des séries il faut bien en sélectionner et comme on a de jolis coups de coeur je me dis que ça sert à rien de s’évertuer sur des séries qui ne nous font pas ressentir un dixième de ce que les bonnes séries nous font ressentir ^^ Mais il faut bien tester pour de temps en temps tomber sur une perle, c’est le jeu des sériephiles ^^
    Par contre ton coup de coeur sur Mr Robot m’intrigue, il faudra que tu nous dises comment ça évolue tout ça, si tu continues à aimer ou pas ^^

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