Le taux de disparitions à la télé devient alarmant, et il est grand temps que quelqu’un se penche là-dessus parce qu’au rythme où vont les choses, d’ici 2031, un personnage de série sur deux se sera évaporé sans laisser de trace. Ami téléphage, ce à quoi nous assistons en ce moment nous fait ricaner en coin, parce que nous jouons les blasés chaque fois qu’une nouvelle enquête pour disparition démarre sur nos écrans, mais croyez-moi quand je vous dis que c’est le début de la fin.
Alors bien-sûr, en ces temps troublés, c’est un réconfort que de constater que toutes les séries sur des disparitions ne sont pas des copies carbone les unes des autres ; certaines ont encore un angle relativement original. Mais le Dieu de la Téléphagie seul sait combien de temps ça durera.
Prenez La Casa del Mar, série argentine disponible dans la Batcave de Séries Mania… à ne pas confondre avec La Casa, projetée au public pendant ce même festival Séries Mania. Son sujet est la disparition d’une jeune fille, Laura, qui n’est autre que la fille du sénateur Rogelio Ramos. Et je vous entends déjà soupirer, non, non, je vous arrête : ce n’est pas tout-à-fait cliché. Vous allez voir pourquoi.
La Casa del Mar démarre en effet deux semaines après la disparition de Laura ; l’enquête bat donc son plein et on n’aura pas droit aux habituels premiers relevés de preuves et interrogatoires des proches qui ont jalonné ses premiers instants. Le flic qui dirige l’enquête, l’inspecteur Jorge Pelazas, est sur le coup depuis le début. Quelle qu’ait été sa première impression sur l’enquête, elle nous est totalement épargnée. Désormais il est convaincu que la jeune fille est passée par la ville balnéaire de Mar del Pinar (qui à ma grande déception, ne signifie pas « mer de pinard »), où il espère la retrouver.
Ce n’est pas franchement l’enquête de Pelazas qui occupe l’essentiel de l’épisode inaugural, pourtant, mais Daniel « Dani » Johnson, un écrivain qui passe un peu de temps pour écrire, dans une petite maison de Mar del Pinar, en retrait du monde. Cela fait une semaine qu’il est là lorsque de deux ses amies le rejoignent pour passer ensemble un peu de temps pendant la période hors-saison. C’est alors que frappe à leur porte l’inspecteur Pelazas, qui pense qu’ils ont pu entrer en contact avec Laura.
La Casa del Mar se moque bien de savoir si nous avons tout compris de la timeline de l’enlèvement, dans un premier temps (ce qui prouve combien la série se désintéresse de l’enquête en elle-même). Les flashbacks et les fast forwards s’y succèdent, rendant la narration, si ce n’est brouillonne, au moins un peu complexe à suivre. On a beau nous balancer des dates à la figure (Laura a disparu le 18 avril, depuis 2 semaines donc, Pelazas arrive à Mar del Pinar le 30 avril, ça fait 2 semaines que Daniel est sur place, moins de 24h que les filles sont arrivées, etc.), rien à faire, on ne s’en sort pas. A croire que c’est fait exprès.
…Et c’est bien possible. Car la question que se pose Pelazas trouve une réponse avant la fin de l’épisode inaugural. Effectivement, Daniel a bien rencontré Laura (elle ne s’est simplement pas présentée avec ce prénom, et a prétendu s’appeler… Daniela), qu’il a hébergée une nuit, ayant remarqué qu’elle essayait de s’introduire dans l’abri de jardin de la maison de Mar del Pinar. Et c’est cette rencontre que La Casa del Mar veut avant tout chroniquer, avec ce qu’elle a de parfois dérangeant, d’étonnant, et parfois, de suspect.
Au fur et à mesure que nous passons du temps avec Dani et Daniela, nous pensons tour à tour qu’il n’a rien à se reprocher, que l’erreur est humaine, qu’avoir hébergé une ado en fuite n’est pas un crime, qu’il pensait sincèrement l’aider, que… qu’il a gardé des effets personnels ? Qu’il a menti en prétendant que Daniela n’avait passé qu’une nuit à la maison sur la plage ? Qu’ils ont… peut-être couché ensemble ?!
Bien plus que si on suivait les évènements du point de vue du flic Pelazas, vivre ces moments de rencontre entre Dani et celle qui est en fait Laura permet de vivre un véritable suspense. Ce sont véritablement les évènements, et plus la façon dont la police peut enfin les révéler au spectateur, qui changent notre perception de Daniel en tant que suspect potentiel. C’est très fort !
Et surtout, nous n’avons pas la sensation que Laura a vraiment disparu. Elle est là, sous nos yeux, en train d’interagir (ô combien) avec Daniel, de prendre des décisions, de parler d’elle (ou d’éviter de le faire), et grâce à La Casa del Mar, la disparue n’est pas seulement une victime, ou une énigme. C’est une personne que nous apprenons à connaître, bien vivante, par elle-même et non au travers des témoignages de ses proches émus par sa disparition. Ici l’essentiel de l’émotion vient de Laura/Daniela elle-même, de sa vulnérabilité non à un crime terrible, mais plutôt aux raisons de sa fugue, car c’en est clairement une.
Bien-sûr, certains clichés sont voués à se reproduire tout de même (Pelazas trouve par exemple des preuves matérielles, au cours du premier épisode, indiquant que Daniel et Laura se sont effectivement croisés, faisant de lui son suspect principal sur place ; les amies de Daniel, et notamment Ana avec qui il a eu une aventure un peu plus tôt, commencent à le regarder en coin ; etc.), mais pour l’essentiel, l’angle choisi par La Casa del Mar est rafraîchissant. Et en 4 épisodes, il y a quand même assez peu de chances pour que le concept ne dégénère.
C’est du coup dommage que chaque acte de l’épisode soit séparé du suivant par un panneau indiquant le titre de la série… avec le corps d’une jeune femme se noyant en eau profonde… Bien-sûr, on ne voit pas son visage et une surprise n’est pas exclue, mais c’est quand même un cas rare de série se spoilant elle-même…
La Casa del Mar est, chose intéressante, sur le point de commencer en Argentine ainsi que dans plusieurs autres pays d’Amérique du Sud où DirecTV est établie. C’est la première fois que la filiale sud-américaine de la chaîne commande une fiction originale (well, well, well !), mais pour se lancer dans l’aventure, elle n’a pas choisi n’importe qui. La Casa del Mar est en effet la gagnante du Series de Ficción Federales del Incaa (dont je vous ai souvent parlé dans ce colonnes), et a été produite par Cisne Films, déjà responsable de Perfidia, l’une des rares séries argentines de la télévision publique à avoir été achetées par Sundance Channel Latin America pour une diffusion sur tout le continent.
Parce que La Casa del Mar débute lundi, sa chronologie est, en outre, parfaitement intégrée dans le calendrier (presque au jour près), ce qui en fait une affaire plutôt bien pensée à de nombreux égards. En gros, le seul défaut de La Casa del Mar, c’est que son décor, Mar del Pinar, ne s’appelle pas Mer de Pinard. Et peut-être aussi qu’elle n’ait pas mis son idée de traitement originale à profit d’un pitch plus original que « une adolescente disparaît ». Mais bon, à l’impossible nul n’est tenu.