Preuve qu’Israël peut aussi nous envoyer des fictions où la sphère familiale peut être mise à mal sans l’intervention d’espions ni de terroristes, Mishpacha Tova était l’une des rares dramédies familiales proposées aux professionnels de Séries Mania cette année.
C’est un peu l’anti-Shkufim, pour être honnête : le concept est minimal, et la place laissée aux personnages est immense. Le principe est de suivre une famille dont les 4 enfants sont adultes, alors que la cellule familiale a 712 raisons d’imploser… et qui va effectivement le faire sous nos yeux. Pour, peut-être, mieux se recomposer ensuite ?
Pour en arriver à cette conclusion, cependant, il faut avoir vu l’intégralité de son premier épisode. Car pendant une demi-heure, les parents Bauman (qui sont pourtant assis sur le détonateur de la famille) vont être absents de l’action, n’intervenant que par le biais de coups de téléphone à leurs enfants, et généralement reçus par ces derniers avec une certaine dose d’agacement. A mesure qu’avance le pilote, on sait des parents Bauman qu’ils organisent un repas vendredi soir… comme à peu près tous les vendredis, alors pourquoi tant d’insistance sur la présence des enfants (…ou l’absence de leurs conjoints) ?
La marmaille Bauman a bien assez de soucis pendant la semaine qui précède le repas.
Shirley, une dessinatrice de bande-dessinée qui doit se contenter d’un job dans une librairie du centre-ville, vient par exemple de vivre ce qui est probablement le plus mauvais premier rendez-vous de l’histoire des premiers rendez-vous (qui pourtant ne manque pas d’exemples). Après avoir pris sur elle pour ne pas arracher la tête à son prince charmant (il dénigrait sa formation en école d’art et ses « petits dessins »), Shirley s’est rendue aux toilettes un instant… qui lui a suffi pour entendre une conversation téléphonique de son rendez-vous, convaincu qu’il allait se la faire dans moins de 10 minutes même si elle n’est pas très affriolante à son goût. Autant dire qu’il n’y aura pas de second rendez-vous.
De son côté, Yali est un jeune acteur dont la carrière dans un soap pour adolescent devrait lui permettre d’accéder à la gloire… sauf que ce boulot l’irrite au plus haut point par sa vacuité. Il n’a que faire de cette notoriété qu’il méprise, d’ailleurs il a déjà couché avec sa partenaire dans la série, et pense mériter bien mieux : il se considère avant tout comme un chanteur. Pas de bol, sa manager vient de lui décrocher un renouvellement de son contrat dans le soap, au lieu de lui laisser du temps pour enregistrer l’album de ses rêves.
Itamar n’est pas exactement dans la pire situation qu’il soit : sa carrière de danseur se porte relativement bien. En revanche, sa vie amoureuse est un peu complexe : il multiplie les aventures avec les hommes, refusant par principe de s’engager, mais il fait « l’erreur » de coucher deux fois avec le même, et commence sans vraiment le vouloir une relation un peu suivie.
La vie de couple d’Eran ne pourrait, en revanche, pas mieux se comporter. Il est le seul à être marié, avec Efrat, son épouse avec laquelle il forme une équipe plutôt solide et peut parler de tout. En revanche c’est son travail qui l’accapare : sa boîte d’informatique vient de se lancer dans un énorme projet dont il est le responsable. Eran n’a pas droit à l’erreur…
Mishpacha Tova met avant tout l’accent sur ces parcours individuels, connectés par le fil ténu des conversations au téléphone avec les parents (mais pas ensemble : c’est pas Brothers & Sisters ici, les enfants Bauman ne ressentent pas le besoin permanent de se tenir à jour les uns les autres sur leur quotidien). Ce qui compte, surtout dans un épisode d’exposition comme celui-ci, c’est surtout de situer chacun et de voir ce qui préoccupe les personnages personnellement.
Quand vient finalement le vendredi soir, et que tous les quatre sont en co-voiturage pour aller au dîner des parents, Shirley, Yali, Itamar et Eran sont soudain rattrapés par la pression de ce dîner. Que peut-il donc se passer de si important que leurs parents aient tant insisté pour qu’ils soient présents tous les quatre sans faute (et sans partenaire) ?
…Naomi et Noah veulent en fait leur annoncer qu’après plus de 30 ans de vie commune, ils se séparent. Que ce n’est pas soudain et qu’ils en ont parlé depuis un moment (Noah a même déjà trouvé un logement ailleurs). Et que c’était sûrement le dernier repas de famille des Bauman, en tous cas sous cette forme.
Naturellement, l’idée de Mishpacha Tova n’est pas révolutionnaire ; et les enfants adultes des séries modernes ont appris des choses bien plus surprenantes aux dîners familiaux (incidemment, les Bauman ont la même discussion paranoïaque, bien que plus courte, que les Pfefferman dans le pilote de Transparent). Il ne faut pas attendre de Mishpacha Tova de recréer les codes familiaux à partir de zéro, mais plutôt de parler de personnages plutôt réalistes, d’une famille réaliste, et de problèmes réalistes. Ce divorce sur le tard revient beaucoup dans les fictions, mais je ne suis pas certaine de l’avoir ressenti avec une telle authenticité que dans Mishpacha Tova.
Dés ce premier épisode, des commentaires subtiles sont déjà faits sur les Bauman et l’éducation qu’ils ont donné à leurs enfants. Naomi et Noah tiennent une pharmacie dans un quartier résidentiel de Jérusalem et semblent avoir vraiment encouragé leurs enfants à rêver « grand » ; pour preuve, seul Eran est dans l’informatique, les autres ont voulu se lancer dans des carrières artistiques. Ce que cela implique sur les parents Bauman au long des années est aussi fort que ce que cela dit de leurs enfants aujourd’hui. J’avais vraiment envie de suivre non seulement Shirley, Yali, Itamar et Eran, mais aussi Naomi et Noah, qui sont tous des personnages attendrissants dans leur genre (même s’il faut parfois gratter longtemps la surface pour quelqu’un comme Yali).
Évidemment, cette review finit en déplorant que des séries israéliennes comme Mishpacha Tova ne voyagent jamais. Pas parce qu’elle serait « trop israélienne » mais simplement parce qu’elle n’entre pas dans le spectre des séries obtenant un passeport international. Pitié, faites-moi mentir. Je les ai déjà à la bonne, ces Bauman.