Parti prenant

25 avril 2015 à 9:00

Oubliez tout ce que la fiction américaine a tâché de vous faire entrer dans le crâne, sortez-vous les idées préconçues de la tête, et accueillez les séries étrangères avec l’esprit ouvert. C’est bon, vous y êtes ? Alors bienvenue dans De Fractie, la série politique et dramatique… dont les épisodes font à peine une demi-heure.
Bien-sûr que c’est possible. Et c’est bien.

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D’ailleurs, si jamais vous avez aussi des idées préconçues sur la fiction politique, De Fractie apporte vraiment un angle nouveau au genre. Ici, pas question de parler du chef de l’État conduisant les affaires du pays (A la Maison Blanche), d’une personne souhaitant s’accaparer un maximum de pouvoir politique (House of Cards), ou même d’une campagne électorale locale (Dan For Mayor). Car De Fractie se traduit par « le parti », et s’intéresse donc à un groupe politique de l’opposition, qui tente de laisser son empreinte dans la politique du pays. Un aspect de la vie politique que beaucoup de séries ont évoquées, mais rarement avec un regard aussi soutenu qu’ici.

La série démarre alors que Tim Snel, un parlementaire, vient de changer de parti pour rejoindre désormais le VPN (pour Vrijzinnige Partij Nederland, le parti libéral néerlandais). La nouvelle est forcément l’actualité du jour en matière d’information politique et très vite, la presse suit de très près ce transfert, d’autant qu’il s’est fait pendant la pause de la session parlementaire des fêtes de fin d’année. Inutile de préciser que les journalistes sont très critiques, soupçonnant Tim d’avoir retourné sa veste et de n’avoir aucune idée politique, que de l’ambition.
Mais il a bien d’autres soucis auxquels penser pour ce premier jour. Lorsqu’il se présente auprès de Marise Collee, la présidente du parti, celle-ci lui offre un accueil tiède ; en fait, elle n’a même pas été consultée lorsque le chef historique et fondateur du parti, Jan Leusingh, a discuté avec Tim de cette arrivée au VPN. Le reste de l’équipe l’accueille assez fraîchement aussi, de Michaël (qui doit lui laisser son bureau ; c’est forcément très symbolique), franc et aigri, à Dara, dont les idées ne collent pas vraiment avec celles de Tim. Parce que c’est vraiment son domaine, Tim hérite des affaires financières du VPN, ce qui ne plaît pas beaucoup non plus car on l’imagine être très proche des banquiers.

Cependant, ces bisbilles internes sont vite mises de côtés lorsque Marise apprend en réunion de staff que le VPN a négocié avec le Gouvernement une avancée incroyable : désormais, la garde de tous les enfants de plus de 2 ans sera intégralement gratuite dans tous les pays. Cela faisait partie des engagements du parti, et avoir réussi à amener le Gouvernement sur ce terrain est une avancée formidable !
…Bon, il y a quand même juste un truc : en échange, Marise a promis que le VPN ne critiquerait pas les forages de gaz dans la province de Groningen, ce qui va menacer d’expulsion environ 20 000 personnes. Ces forages, dans une région souvent touchée par des séismes, permettront de produire suffisamment de gaz pour être vendu et donc alourdir les caisses de l’État, ce que Marise justifie en disant que cet argent couvrira ainsi le fait de rendre la garde d’enfants gratuite. C’est même plus que ça, pour tout dire : le VPN va carrément soutenir officiellement les forages.
Pour son premier jour, Tim n’a pas l’air de s’inquiéter de se faire des amis, car il critique immédiatement le plan de Marise : ce n’est financièrement pas faisable. Certes, c’est une avancée sociale pour des millions de gens, mais rapidement, de tête, là, comme ça, si on ajoute en plus la relocalisation et l’indemnisation des habitants du Groningen qu’il va falloir déplacer pour forer, eh bien gentillement, ça fait une dépense d’1,4 milliard d’euros. Autre détail que Tim soulève : une fois les réserves de gaz épuisées, comment on fait ? Marise balaie officiellement son idée de la main (« le plan n’est pas parfait, mais c’est un investissement pour le futur et une incroyable opportunité »), mais les dommages sont faits : le plan gaz est déjà vu d’un mauvais oeil au sein du parti. D’autant qu’au VPN, il y a Corinne, dont toute la famille est originaire du Groningen, et qui vit très mal l’annonce.
Essayant de ne pas se laisser démonter, Marise demande à Tim de préparer un plan économique à présenter en conférence de presse l’après-midi même, et a carrément l’audace de demander à Corinne de diriger les débats sur le gaz au nom du VPN.

Mais lorsqu’elle se retrouve devant la presse, deux choses se produisent : soit les journalistes ne s’inquiètent que du sort de Tim… soit son idée est mise à mal. Pire : pendant que Marise s’exprime devant les journalistes politiques, le conseiller presse du VPN, Vincent, lâche un hashtag supposément officiel (#metbeidebenenopdegrond, les deux pieds sur terre) dont il n’a jamais parlé à Marise… par contre, Tim a aimé l’idée. Mais questionnée à ce sujet devant les cameras, Marise passe un peu pour une idiote à la langue de bois, parce qu’elle a dû improviser.
Oui, dés son premier jour, Tim s’est mis sa présidente de parti à dos, même si c’est bien involontairement. Et même si Jan aime bien Tim, il va falloir redoubler d’efforts au parlementaire pour se faire une place au sein du VPN.

Et pourtant, le plus gros problème de Tim dans tout ce bazar, c’est qu’il vient de perdre son père (à un journaliste qui lui demande si son changement de parti est en rapport avec le drame, il répond « quand on perd un parent, tout y est lié »), et qu’il essaye tant bien que mal de faire vivre les idéaux de feu son géniteur. Car Tim, dans le fond, a bien plus de convictions que ce que semble penser le reste de la planète. Il a certes un cerveau pour les chiffres, mais il est surtout poussé par l’envie de bien faire.
Exténué à la fin de cette première journée très forte en émotions, il va s’énerver contre une proche qui critique son appartement dépouillé (il vient aussi de déménager !), et débiter, furieux : « Oui j’ai des priorités, je veux que les gens croient que leurs enfants ont une vie meilleure qu’eux. C’est révoltant que les opportunités dans la vie de quelqu’un soient déterminées par son adresse. Tout le monde devrait avoir des opportunités. Dans l’éducation, dans l’art, dans le travail, dans la retraite. C’est ainsi que les gens pourront retrouver la confiance dans les autres, et en eux-mêmes. Libres de l’oppression et de l’humiliation. Qu’ils soient simplement libres ».
Cette tirade, sortie presque avec violence après une journée passée à marcher sur des œufs tout en prenant son nouveau poste à cœur, donne envie de suivre De Fractie. Parce que Tim sait bien que son pouvoir est limité, mais qu’en même temps il entend l’user autant que possible pour accomplir le plus de choses possibles.

De Fractie est la preuve que la durée des épisodes importe moins que leur qualité d’écriture, si jamais vous en doutiez. Le rythme est impeccable, l’exposition délivre les évidences sans omettre quelques subtilités, et la série en profite pour décrire un système où la politique est autant le fait des partis que du Gouvernement.
A bout de cette première demi-heure, de nombreuses dynamiques sont en place (mais déjà, on sent que certaines sont susceptibles d’évoluer au gré des évènements). Des idéaux sont avancés, mais, plus terre-à-terre, des réalités politiques sont déjà énoncées. Nous n’assistons pas aux tractations de Marise avec le bureau du Premier ministre Rutte, mais nous en voyons à la fois le cheminement et les conséquences au sein du parti, avant même d’exposer l’idée au public via la presse.

L’autre atout dans De Fractie, c’est aussi son incroyable réactivité et sa modernité, comme si la série avait parfaitement réussi à prendre le pouls de son monde pour en sublimer les palpitements. Le premier épisode, diffusé le 12 janvier 2015, fait une référence aux arrestations ayant suivi les attentats de Charlie Hebdo, par exemple. Plus largement, la façon dont la vie politique est interdépendante des médias (au sens large) se traduit par une utilisation bien intégrée des portables, mais aussi de Twitter, de Skype, et même d’un « newsfeed » qui apparaît sur l’écran de la salle de briefing pendant toute la réunion de cabinet du NPO afin de suivre et réfléchir à l’actualité en temps réel. Dans son irréalisme, cette façon de dépeindre un parti politique connecté, en prise avec l’immédiateté du monde, remplit aussi incroyablement bien son rôle de commentaire social.
Je ne reviens toujours pas de la référence à Charlie Hebdo ; je pense voir comment elle a pu être intégrée au dernier moment, mais je reste saisie par la façon dont De Fractie a réussi à se rapprocher aussi près que possible des questionnements bien réels du spectateur au moment du visionnage. On est dans la réactivité la plus totale, et malgré la surenchère technologique, on se retrouve à avoir une impression de réalité : peut-être que dans le fond, on votera pour Tim Snel aux prochaines élections.

Hélas, De Fractie fait partie des séries qui resteront confidentielles pendant Séries Mania, car elle était uniquement visible par la presse et les professionnels. Espérons que quelqu’un trouvera une petite case de 30 minutes pour la montrer intégralement, un jour.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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