Une série d’espionnage israélienne que les Américains ont achetée avant même la fin de son développement ? Incroyable, c’est presque comme si la formule de Hatufim/Homeland et Ta Gordin/Allegiance se répétait.
Hier soir, les festivaliers de Séries Mania pouvaient donc déguster le dernier « hit » israélien à connaître absolument, Shkufim. On va être honnête : je déplore que ce soit le genre de séries qui nous submerge au détriment des autres, mais je suis convaincue que Shkufim est extrêmement solide. En fait, c’est sûrement l’une des meilleures séries étrangères de la sélection de Séries Mania cette année !
Shkufim démarre sur fond d’acte de terrorisme doublé d’un incident diplomatique, alors que le ministre iranien de la Défense, le Général Farhad Suleimani, est kidnappé par 5 personnes dans l’hôtel où il séjournait, à Moscou. Or il apparaît, dans les heures qui suivent l’enlèvement, que ces 5 personnes sont des personnes résidant en Israël, ce qui forcément fait l’effet d’une détonation dans le monde arabe. Pire encore, les 5 auteurs présumés de l’enlèvement se sont servis de passeports qui ont été identifiés, et rendus public.
Imaginez donc le choc, au petit matin en ouvrant le journal, de Benny Rafael, un Israélien d’origine grecque ; Natalie Alfasiya, d’origine française, Arsia Brinditch, d’origine russe ; Shon Tilson, un Israélo-britannique ; et Emma Lipmann, elle aussi britannique. Ils sont en apparence des citoyens comme les autres, et soudainement, on leur reproche l’acte le plus discuté dans les médias internationaux.
C’est d’abord sur Benny « Ben » Rafael que s’arrête la série ; père de deux enfants, bientôt trois, il travaille pour une entreprise de chimie et a un emploi qu’il juge totalement banal. Il a un fils aîné qui fait son service militaire, une petite fille qui va à l’école, et une vie parfaitement normale. Ce matin-là, quand sa fille l’alerte sur l’apparition de sa photo à la télé, il n’y croit qu’à moitié : on va forcément réaliser que ce n’est pas lui, que son identité a simplement été volée. D’ailleurs, personne n’est venu l’arrêter, donc bon.
Natalie « Nati » Alfasiya (incarnée par Magi Azarzar, déjà vue cette semaine au festival dans Betoolot) est quant à elle à quelques heures de sa cérémonie de mariage, et se prépare avant d’aller rejoindre son fiancé Yuval pour la cérémonie. Yuval, qui travaille avec le procureur, essaye de la protéger des informations qui commencent à filtrer, et fait promettre à la demoiselle d’honneur de Nati de tout faire pour que la cérémonie ne soit pas gâchée pour Nati. Hélas, il n’est pas possible indéfiniment de lui cacher la vérité, et Nati, d’abord ébranlée par la nouvelle et tentée d’annuler le mariage, finit par montrer au spectateurs un comportement ambigu.
Arsia Brinditch prend la nouvelle… plutôt bien ! Ses rêves de grandeur et de célébrité sont en effet caressés dans le sens du poil lorsqu’elle apprend que la presse ne rêve de rien tant que de l’interviewer. Dans les heures qui vont suivre la publication de son passeport, la jeune femme va répondre à la radio, la télévision, et finalement aller fêter l’évènement avec des amis en boîte. Complètement inconséquente ? Peut-être, mais pour l’instant, elle semble trop idiote pour être soupçonnable.
C’est une autre histoire pour Shon Tilson, un musicien un peu hippie qui n’entend pas immédiatement parler de l’affaire internationale parce qu’il est en avion. Mais quand il reçoit un appel de son père sur le téléphone de la compagnie aérienne, le spectateur commence à lever un sourcil suspicieux : Shon a en effet peur que la ligne ne soit pas sécurisée et que les propos de son « père » (qui lui annonce que « notre ami a disparu ») ne l’expose. Sitôt raccroché, il se dépêche d’aller raser sa barbe et tailler ses cheveux, et atterrit avec un tout nouveau look.
Et puis, il y a Emma Lipmann, une Britannique qui, terrifiée par la nouvelle, se raccroche à la seule personne dont elle pense pouvoir obtenir des explications : Ben. Ce dernier est assez embêté à l’idée de la contacter, pour des raisons qui ne sont à ce stade pas explicitées. Ils ignorent que leur conversation téléphonique est écoutée par la police ; en fait, c’est la raison pour laquelle aucune arrestation n’a été faite avant que la presse ne relaie les passeports concernés : les autorités espèrent observer la panique chez les 5 cibles pour mieux comprendre ce qui s’est passé.
A raison : la plupart des protagonistes de Shkufim paraissent suspects. Mais bien-sûr, toute l’astuce, c’est qu’ils ne sont pas nécessairement responsables de l’enlèvement, et que leur secret peut-être ailleurs.
C’est encore une fois la question de la fiabilité de notre quotidien que Shkufim questionne au sens large : ceux que nous pensons être des personnes familières, que nous fréquentons chaque jour, pourraient aussi bien être des criminels internationaux, des espions, des terroristes… ou rien de tout cela. Mais pas ceux que nous croyons pour autant ! Nous les croyions de la plus grande banalité, faciles à déchiffrer, et soudain nos proches, au lieu d’être transparents, sont de la plus grande opacité. Cela angoisse forcément.
Le premier épisode met bien en place ces éléments, avec la façon dont l’entourage de chacun des 5 suspects commence à poser des questions, à demander des comptes, à recouper les dates. L’enlèvement a eu lieu le 15 avril, eh mais, au fait, tu n’étais pas là le 15 avril, je n’ai aucun moyen d’avoir la certitude que tu n’as PAS enlevé un général iranien ! L’atmosphère de paranoïa va probablement aller crescendo à partir de là ; tous les ingrédients sont en tous cas réunis à ce stade.
Qui exonérer de notre suspicion ? On a vite nos têtes à l’issue de ce pilote (Ben parce qu’il occupe tellement l’écran qu’on a du mal à ne pas croire à sa panique, Arsia parce qu’elle n’a rien entre les oreilles, etc.), et bien-sûr tout le jeu de Shkufim sera de nous détromper puis nous rassurer cycliquement. Mais il y a aussi de la place pour d’autres orientations de l’intrigue, et je verrais bien certains personnages sortir de la simple dynamique d’accusation qui est installée dans ce premier épisode. Car à force de soupçonner ses citoyens, un pays ne risque-t-il pas d’entamer leur loyauté ?
Tiens, un court fun fact pour finir, savez-vous pourquoi le titre international de Shkufim est False Flag ? Parce que la traduction littérale de son titre aurait donné… Transparent.