Les festivaliers de Séries Mania s’apprêtent à découvrir (ou redécouvrir, pour ceux qui apprécient simplement l’expérience sur grand écran) le début d’American Crime, la série « coup de poing » d’ABC qui mérite qu’on parle de coup de poing. Je pense ne pas trop m’avancer en prédisant qu’il va sûrement y avoir un silence mortifié à la sortie de la projection.
Un appel dans la nuit : le 911 est averti d’un double meurtre. Suivi d’un autre appel dans la nuit : un homme est informé que son fils vient d’être assassiné.
Progressivement, le patchwork s’étend : au policier blanc qui accueille le père blanc sous le choc, à un couple mixte de toxicomanes en pleine idylle, à un adolescent hispanique au père sévère, à une petite frappe noire qui utilise la carte bancaire d’une des victimes, à la mère blanche de la victime, aux parents blancs de l’épouse de la victime, laquelle est toujours en soins intensifs et aurait été agressée sexuellement, à la procureure noire en charge de l’affaire…
Le rôle de chaque protagoniste, ainsi que sa situation dans la société et même le regard que celle-ci porte à son égard, vont être les véritables leviers d’American Crime.
American Crime soulève les évidences comme des cailloux, et y regarde de plus près, en-dessous. Ses personnages ne sont jamais irréprochables, on va progressivement découvrir à quel point ; il fait peu de doute à l’issue de ce premier épisode que cela ne fait que commencer.
Mais contrairement à tant de séries, surtout en ce moment, l’objectif n’est pas simplement de remuer la vase pour faire remonter les secrets de ses personnages, leurs meurtrissures, leurs actions passées, ou leurs choix condamnables. Le principe est surtout de rappeler qu’aucun n’est meilleur que les autres (et on n’a sûrement pas fini de relativiser le statut de chacun).
American Crime dessine dés cet épisode introductif les contours d’une société où, même s’il est clair que tout le monde n’est pas à pied d’égalité socialement, en tous cas personne n’est en position de supériorité morale. Seuls les flics et la procureure, pour le moment plus traités en outils qu’en protagonistes humains, semblent intouchés pour le moment, mais qui sait combien de temps ça durera. Ce traitement prend des formes diverses, bien-sûr, avec des « méchants » plus évidents que d’autres à pointer du doigt : les membres de gang, les drogués, les racistes, les adolescents irresponsables… Tous ne sont évidemment pas à mettre au même niveau, mais tous participent, inconsciemment, à une même société déséquilibrée, et sont à la fois la cause et la conséquence des évènements qui se déroulent progressivement dans ce pilote.
Tout cela apparaît clairement (quoiqu’avec certaines facilités, justement : tous les racistes ne s’identifient pas aussi distinctement que la mère de la victime), parce que l’objectif est de passer au crible la responsabilité de chacun dans la tragédie, au sens large. American Crime énonce son intention d’accompagner toute l’enquête, puis la procédure judiciaire qui lui suivra, dans les moindres détails. L’idée-même de la peine de mort pour la personne ayant tué est repoussée d’un geste ample de la main dans le pilote, parce que « on est encore très loin d’en être là » (écartant en même temps une grande partie des comparaisons avec The Divide).
American Crime promet non seulement d’appuyer là où ça fait mal, mais d’ensuite disséquer méthodiquement chaque plaie ainsi rouverte. La série ne s’arrêtera que lorsqu’elle aura fouillé et vidé chaque abcès.
Vu l’état de la société américaine, ça peut durer longtemps.
Vivement le spin-off Un Crime français, dites.