Si vous n’êtes pas sur place, laissez-moi tenter de décrire à quoi ressemblent 10 jours à Séries Mania. Disons que c’est… la folie. Il y a les projections de séries de la planète entière (ou presque), les rencontres avec les équipes des séries, les débats sur des sujets transversaux ; mais il y a aussi les rendez-vous avec les téléphages qu’on ne connaît que de Twitter, les moments où on se croise par surprise au détour d’un couloir, ou encore, pour quelques veinards munis du précieux badge, une « salle des collections » proposant des séries qui ne sont pas projetées au public.
Dans tout cela, chercher à se faire un emploi du temps rigoureux et s’y tenir relève de la gageure.
Comme j’avais raté la séance de La Vie Devant Elles, une série dramatique de France3 projetée en avant-première de son lancement, à cause de papotages intempestifs, j’ai donc décidé de me tourner vers la salle des collections pour un rattrapage vite fait.
Tout ça pour vous prévenir que la review que vous vous apprêtez à lire est donc, hélas, dénuée de l’éclairage donné par l’équipe de la série à la suite de la projection. Mais enfin, je me suis dit que c’était mieux rien. Et puis c’est pas tous les jours que j’ai la motivation pour une série française, comme vous le savez…
On ne sait pas trop comment présenter La Vie Devant Elles, en fait. Teen drama sur 3 adolescentes ? Period drama sur les années 70 ? Drame humain aux faux airs de Germinal ? Ou peut-être même, au-delà du premier épisode, un thriller social, un mystère…?
Sûrement un peu de tout cela à la fois.
A Chambries, dans le Nord-Pas-de-Calais, Solana et Caroline sont les meilleures amies du monde. Dans cette ville qui ne vit que de la mine, la vie n’est pas très excitante, et les rêves d’avenir s’arrêtent aux clôtures des corons. Les deux jeunes filles, pourtant, caressent le rêve d’aller « faire de la mode » à Paris. Elles ont découvert un concours qui pourrait leur en donner l’opportunité, mais personne d’autre qu’elles n’y croît beaucoup… Elles se retrouvent régulièrement dans le café tenu par les parents de Caro, où le père de celle-ci (un joueur invétéré) lui passe ses caprices pendant que sa mère (à l’esprit pratique et réaliste) tente de lui mettre un peu de plomb dans le crâne. Solana, elle, est la fille unique d’un mineur d’origine espagnole, ayant fui l’Espagne de Franco ; tous deux visitent régulièrement la mère de Solana, placée dans une institution en raison de son état catatonique depuis des années.
Alma n’est pas très proche des deux rêveuses, mais elle fréquente le même lycée à Chambries. Sa vie familiale vient d’être bouleversée par le départ de sa mère, qui a décidé de quitter sa famille très modeste pour une vie meilleure aux côtés de son amant, un chef d’entreprise. Alma n’est que colère : contre sa mère qui est partie, mais également contre son père qui n’est pas en colère, lui. Et même contre ses camarades lorsqu’elle est moquée à l’école pour sa situation familiale. Malgré cela, on découvre progressivement qu’elle a envie d’aimer la vie dans cette ville ouvrière, d’abord parce qu’elle n’a absolument pas honte de sa condition modeste, mais aussi parce qu’elle ne connaît rien d’autre.
La Vie Devant Elles fournit de gros efforts pour mettre en place une exposition exhaustive de ces personnages et de leur entourage, tout en gardant une vue d’ensemble sur ce qui est, en fait, les derniers jours de gloire de l’industrie minière. C’est un mode de vie un peu vite oublié à peine 40 ans plus tard qui revit sous nos yeux, au rythme des descentes dans la mine et des coups au comptoir du café du coin.
Ce n’est pas toujours très subtil (essentiellement à cause de dialogues pas très fins et trop explicites sur les sentiments et intentions des personnages ; un peu syndrome Paris, mais sans les problèmes d’interprétation et de mise en scène), mais La Vie Devant Elles opère avec ce premier épisode toute la magie nostalgique dont elle est capable pour nous présenter des personnages qui ont l’air vrais, et pas simplement de personnages. La démarche fait un peu penser, de loin en loin, à celle de Tiger Lily : faire revivre toute une période chère à la cible visée par la série, à grand renfort de hits pop de l’époque (Avec les filles je ne sais pas, J’ai encore rêvé d’elle, Les mots bleus, etc.), de pattes d’eph et de papier peint maronnasse ; jouer sur les souvenirs pour imposer un contexte, au lieu d’essayer de décrire en profondeur la façon dont il fonctionne (on ne sait pas trop, dans le comportement de Caro et Solana notamment, ce qui est du domaine de l’interdit ou non dans leurs actions d’adolescentes, par exemple).
L’univers semble un peu caricatural par moments, mais en tous cas, il est posé, sans aucun doute possible
Mais vers la fin du premier épisode, les choses prennent un tournant différent. S’éloignant de l’aspect de chronique pure, La Vie Devant Elles introduit un incident (que j’ai trouvé poignant dans le silence qui lui a succédé ; si peu de séries françaises maîtrisent le silence, avez-vous remarqué ?) qui va changer la donne narrative. Ce revers n’a rien de soudain (on l’a vu progressivement monter dans l’épisode inaugural, par petites touches rapides et généralement tenues hors de portée des 3 héroïnes) mais il implique d’énormes changements dans les enjeux. Au lieu de simplement voir comment Caroline, Solana et Alma vont construire leurs vies et aller vers l’âge adulte, La Vie Devant Elles fait le choix d’un secret qui devrait leur être progressivement révélé, ensemble, les forçant à gérer l’après seules contre tout Chambries.
C’est un joli pari, d’ailleurs : ça nous change du drama de papa sur une période douce-amère, ou des tribulations de jeunes femmes en devenir (pour ceux à qui ça manque, personne n’empêche de se refaire L’Esprit de Famille). Mais c’est aussi un peu le saut dans l’inconnu, et il est un peu difficile de prévoir si le résultat sera à la hauteur du changement de direction.
L’avantage, c’est que je suis un peu curieuse, du coup. Prudente, mais curieuse.