On lui doit une des séries les plus engagées de la sélection de Séries Mania cette année. Le Finlandais JP Siili (il prononce « JP » à l’anglaise lorsqu’il est à l’étranger) est un habitué des visites françaises ; après tout, il présente une fiction chaque année à Cannes. Il est également rodé aux projections en festival, hélas pas toujours devant autant de public qu’espéré, comme il aime à le raconter (il y a 3 ans à Shanghai, il s’était déplacé pour présenter l’un de ses films devant un parterre de… 12 personnes).
Mais il fait cette fois, le scénariste et réalisateur est venu pour présenter une série qui lui tient vraiment à cœur, Tellus… même s’il est absorbé dans l’écriture de la saison 2 (il a fini d’écrire un épisode dans sa chambre d’hôtel parisienne, quelques heures avant la projection !). Il a envie de présenter Tellus avec passion aux spectateurs internationaux. Une série qui en fait est plus qu’un projet télévisuel : un projet politique.
Note : il n’est pas inutile d’aller jeter un oeil à la review du premier épisode avant de m’accompagner dans cette interview.
Jukka-Pekka « JP » Siili à Séries Mania
lady – Après la projection des deux premiers épisodes de Tellus, l’un des spectateurs a réagi de façon plutôt vive. Il trouvait qu’on parle assez de terrorisme comme ça à l’heure actuelle sans ajouter l’écoterrorisme. Était-ce quelque chose qui était présent dans votre esprit pendant l’écriture, avez-vous eu envie de prendre de la distance avec le terrorisme « classique » ?
Jukka-Pekka Siili – Oui et non, dans le sens où je voulais… (pause) Là en ce moment, j’écris la saison 2, et je veux que le public comprenne en profondeur les personnages, et la mission qu’ils se sont trouvée. Je veux que les spectateurs comprennent pourquoi ils font ce qu’ils font. Ils n’ont pas besoin de l’approuver, mais je veux vraiment qu’ils comprennent. Et si ça, ça se produit, je pense que j’aurais amené le public au bon endroit et que ce ne sera pas qu’une question de terrorisme. Pour apprécier la série et savourer la narration, il faut être capable (et avoir envie) de tendre un miroir à leur façon de réfléchir aux problèmes profonds en jeu. Si ça fonctionne, la série aura fait de son mieux.
lady – Comment est venue l’idée d’écrire sur l’écoterrorisme ?
Jukka-Pekka Siili – Moi, j’ai commencé à écrire la série parce que j’ai réalisé un jour… que je ne m’intéressais pas du tout à tout cela. Je n’en avais rien à foutre.
lady – Et maintenant, c’est important pour vous.
Jukka-Pekka Siili – Oui.
lady – Est-ce devenu important à mesure que vous avez écrit dessus ?
Jukka-Pekka Siili – Ce dont je me suis aperçu, c’est que j’avais repoussé ces problèmes loin de moi. Quand je me suis laissé pénétrer par ces questions, qui sont évidemment d’une importance critique pour les gens qui vivent aujourd’hui, et les générations futures, eh bien l’importance de ces problèmes faisait que c’était plutôt facile de se motiver à écrire à leur sujet. Maintenant que j’ai déjà bien travaillé sur ce thème et cette série, (je suis sur Tellus depuis 3 ans maintenant, et je suis toujours dessus), je suis vraiment à fond dans cette problématique.
lady – A quel point ? Vous posez des bombes, ou vous vous contentez de recycler ?
Jukka-Pekka Siili – J’essaye de faire de petites choses. Mais pour moi, ainsi que pour la plupart des gens qui vivent dans le monde occidental en fait, je m’aperçois que nous sommes bien habitués à notre style de vie. Alors les changements que j’ai réussi à introduire dans ma vie, personnellement, ne sont pas aussi grands et imposants qu’ils devraient l’être. Vous voyez, par exemple j’ai pris l’avion pour venir ici, depuis Helsinki, pour cet évènement ; et je le reprends demain. Et je prends l’avion pour les vacances, ce genre de choses, ce qui est… eh bien, je ressens le besoin de compenser pour tout ça. Pour le moment, je pense que la plus grosse partie de cette compensation est pour moi d’écrire et de réaliser des histoires sur le sujet, comme celle de Tellus. C’est mon action, ma contribution.
lady – Diriez-vous, comme l’un de vos personnages le dit implicitement, qu’on est toujours l’extrémiste de quelqu’un d’autre ?
Jukka-Pekka Siili – Oh oui.
lady – Comment décririez-vous l’extrémiste écolo au sommet de la pyramide ? Parce que les personnages de Tellus sont dans l’escalade : ils sont plus extrêmes que d’autres militants modérés, mais ils peuvent encore faire plus radical. En somme, jusqu’à où ça peut aller en théorie ?
Jukka-Pekka Siili – Ça peut aller jusqu’au meurtre. [SPOILER] D’ailleurs, l’histoire se dirige par là. J’écris actuellement la saison 2 et ça va vraiment loin. Aussi loin que possible. Ils en sont à tuer des gens.
lady – Au tout début du premier épisode, le groupe Tellus est en train de discuter dans un bar, et quelqu’un lance « peut-être qu’on devrait s’éteindre en fin de compte ! », plus tard l’un d’entre eux évoque le suicide également (pour une palette de raisons). Pourtant ce n’est pas vraiment une idée pour eux, de simplement en finir ?
Jukka-Pekka Siili – Non… C’est important, d’une importance cruciale pour le groupe en fait, que ce qu’ils font ait un effet profond sur les gens. Ils commencent à réaliser que leur ligne de conduite n’était pas suffisante, et ils ont donc le choix : soit tout arrêter, soit faire quelque chose de différent, de plus grave. Alors ils trouvent un moyen… ce qui, bien-sûr, va les détruire. Mais moralement, pas physiquement.
lady – Tout ce mode de vie (pas de relations, pas vraiment d’amis, même pas pouvoir en parler à leur famille, rien), cela rappelle un phénomène, je ne sais pas si vous le connaissez : le VHEMT. C’est un mouvement qui pense que nous devrions nous éteindre volontairement, ne pas avoir d’enfants, simplement laisser l’humanité mourir… Est-ce quelque chose dont vous étiez familier, et est-ce quelque chose qui effleure les personnages de Tellus ?
Jukka-Pekka Siili – En fait, j’en ai entendu parler très récemment. Les membres de Tellus sont beaucoup plus optimistes que ça. Ils veulent préserver la planète pour des générations futures, et ils croient que la race humaine mérite de survivre.
lady – Cela rejoint la façon dont ils sont dévastés, dans le premier épisode, par la découverte qu’ils ont tué quelqu’un même si ce n’est pas exprès (à ce stade ?). Vous avez fait de grands efforts pour montrer qu’à leurs yeux, la cause n’était pas plus importante que les êtres humains.
Jukka-Pekka Siili – Mais justement, c’est quelque chose qui change progressivement. Ils ont besoin de se motiver pour aller vers des actions plus extrêmes, et cette motivation transforme leur cause, peut-être pour de bon. Mais en tous cas, pour eux, la cause est plus grande qu’eux-mêmes. Ils se sacrifient, pas au point d’organiser une mission suicide, mais ils décident que la mission de sauver la « terre mère » est plus grande que le groupe, plus grande que les membres du groupe. Et ils deviennent prêts à sacrifier leur moralité et leur éthique. Il leur aut accepter qu’ils sont détruits en tant que personnes, pour le bénéfice des générations futures.
lady – Est-ce que cela reflète votre rapport à l’écriture ? Vous disiez qu’écrire la série était une façon pour vous de contribuer à cette cause qui est devenue importante à vos yeux…
Jukka-Pekka Siili – Dans une moindre mesure, mais, oui. D’une certaine façon, choisir ce sujet, et choisir cette histoire, plutôt qu’autre chose, c’est un engagement… mais j’espère que cela cause plus de bien que ce qu’ils font eux.
lady – Pensez-vous qu’il existe quelque part des activistes comme ceux de Tellus ? Pas forcément en Finlande, mais quelque part dans le monde ?
Jukka-Pekka Siili – Deux choses à ce sujet. J’ai dit dans la salle de projection qu’il n’y avait pas de groupe d’écoterrorisme en Finlande, ce n’est pas tout-à-fait vrai. Depuis 30 ans maintenant, il y a eu des opérations… mais de plus petite envergure. Généralement elles étaient liées aux droits des animaux. Des magasins de fourrures, des attaques sur des fermes d’animaux, ce genre de choses. Mais aussi quelques petites actions comme remplir les réservoirs des véhicules avec du sable, des petites choses de ce genre. Ça se produit encore. Ils n’attirent pas trop les médias et on ne parle pas beaucoup d’eux. Mais ils existent. Quelques opérations un peu plus importantes se sont plus rarement produites avec les années, essentiellement des incendies, mais sans vraie consistance. L’autre chose, c’est que lorsque je préparais mon synopsis pour l’histoire, j’ai entendu parler d’un documentaire américain qui apparemment a reçu un Oscar, If A Tree Falls. Et ça parle d’un groupe d’éco-activistes qui font ce genre de choses illégales d’envergure, même si ça reste généralement des incendies. C’est ce qui m’a donné la confiance de continuer ce que je faisais, en particulier mentalement et éthiquement. Cela reflétait ce que je développais.
lady – Le personnage du flic dans Tellus, lui aussi il s’inquiète de l’écologie. Il n’est pas un antagoniste à la cause du groupe… Et dans ce cas ça pose la question : mais qui pour les stopper, finalement ? Certainement pas le policier.
Jukka-Pekka Siili – Personne. (pause grave) Dans la deuxième saison, on verra, mais dans la première : personne.
Tellus : tous écolos, aucun dans le même camp.
lady – Vous avez travaillé pour le cinéma, bien-sûr, mais aussi pour la télévision depuis de nombreuses années…
Jukka-Pekka Siili – …Vingt années et quelques.
lady – …De quelle façon pensez-vous que la télévision finlandaise a évolué récemment ?
Jukka-Pekka Siili – Depuis environ les 5 dernières années, il y a eu des changements assez radicaux en fait. On avait l’habitude de faire des dramas, et des dramédies. Pas grand’chose d’autre. Enfin si, ok, quelques séries d’enquêtes criminelles, généralement avec un homme de la police qui tentait d’arrêter les criminels. C’était tout ce qu’on avait. Maintenant, la technologie a évolué, ce qui nous a apporté notamment la possibilité d’ajouter des visuels numériquement, ou des effets spéciaux, et de créer des choses. Et en même temps il y a une nouvelle génération de créateurs au cinéma et à la télévision, qui aiment explorer des fictions « de genre ». Alors maintenant, on a beaucoup plus de variété. Ça c’est vraiment une chose qui s’est produite dans le panorama finlandais, ces 5 ou peut-être 7 dernières années. Et je vois vraiment ça d’un bon oeil. Je vois que ce genre de séries se produit de plus en plus souvent. L’une des raisons pour cela est que les dramas, ou les dramédies, ne voyagent pas beaucoup, voire pas du tout ; mais les séries « de genre » se portent mieux. La façon dont je vois les choses, c’est qu’on s’insère un peu dans la vague de fictions scandinaves, « Scandi Noir », on s’engouffre dans la brèche ouverte par les autres pays.
lady – La deuxième saison de Tellus devrait être prête… à la fin 2016, donc ? Est-ce un rythme habituel pour la télévision finlandaise ?
Jukka-Pekka Siili – Pour les diffuseurs finlandais, c’est même plus rapide que cela ne devrait. Ils n’ont pas l’habitude de faire les choses rapidement. C’est moi qui les pousse pour aller aussi vite que possible, et là ils sont « au max ». La saison pourrait être finalisée en septembre, octobre 2016, mais sûrement pas avant. Alors ça nous donne plus de temps de préparation, ce genre de choses, mais bon, j’aurais aimé tourner dés cette année.
lady – J’étais dans la salle un peu plus tôt, et vous disiez qu’il n’y avait eu aucune réaction en Finlande. Quelles réactions attendiez-vous, et quelles réactions vouliez-vous ?
Jukka-Pekka Siili – Bonne question. J’attendais deux sortes de réactions. Une des réponses aurait été que le sujet lui-même soit discuté ; pas juste la série, mais le sujet ; c’était en fait ce que je voulais, plutôt que ce que j’attendais. Mais d’un autre côté, ce que je craignais était que la discussion porte sur « le créateur de ce drama télé veut promouvoir le terrorisme ». Bon, la discussion n’est pas allée aussi loin… vu qu’elle n’est allée nulle part.
lady – Yle n’a pas promu la série, mais ils l’ont renouvelée. Alors quel est le problème ?
Jukka-Pekka Siili – Ils ont encore un problème avec… en fait il y a un problème d’indépendance journalistique à l’intérieur de la chaîne. C’est-à-dire que les talk shows, mettons, ont le pouvoir de décider qui ils veulent accueillir et promouvoir… alors que ça pourrait être Yle qui leur dise « c’est important pour nous, prenez ces types dans votre talk show ». Et ça ne fonctionne pas toujours. En parallèle, le problème est que la chaîne Yle touche une partie de la population finlandaise avec aisance, mais il y a plusieurs segments, parmi les populations jeunes en particulier, avec lesquels Yle n’a aucun contact du tout. Alors il n’est pas possible de promouvoir les séries à ces jeunes, qui ne regardent aucune chaîne publique. Et les médias commerciaux font tout ce qu’ils peuvent pour ne pas aider.
lady – Vous avez travaillé avec les deux : public et privé. Auquel va votre préférence ?
Jukka-Pekka Siili – Oui, en fait j’aime mieux… (pause) A vrai dire, les projets sur lesquels j’ai travaillé pour les chaînes commerciales, ce n’était pas écrit par moi, je n’étais que réalisateur dessus. Yle s’est montré plus accessible pour mes sujets, mon ton, ma voix. Donc ça va bien jusque là.
lady – Vous pensez que dans ces conditions, Tellus pourrait continuer longtemps ? Une troisième, éventuellement une quatrième saison ?
Jukka-Pekka Siili – Peut-être une troisième saison, oui. Mais je ne pense pas que je l’écrirais. C’est quelque chose que je délèguerais à d’autres personnes. Parce que travailler sur un projet signifie que je ne peux pas travailler sur d’autres. La pile de choses à faire grimpe et je veux pouvoir faire d’autres choses. On entre en production, on finira à la fin 2016, et après je pense qu’il sera temps pour moi de passer à de nouveaux projets. J’ai deux idées de séries en tête. J’ai deux idées assez brillantes, j’ai hâte de pouvoir commencer à les développer.
lady – Et dans ce cas, comment cela marche en Finlande, est-ce vous qui pitchez aux chaînes, ou au contraire, est-ce que les diffuseurs viennent vous voir en vous disant « voilà, on cherche quelque chose comme ça… » ?
Jukka-Pekka Siili – Ah chez nous, ce sont des pitches ! Les diffuseurs n’ont aucune idée de ce qu’ils veulent. Ils ne seraient pas capable de passer commande si on ne leur donnait pas d’idées. Le système finlandais repose sur le pitch, et tant mieux : ça donne plus de liberté.