Une série d’explosions, et les visages ravis de 5 jeunes gens, derrière leurs masques. Alors que la plupart d’entre eux rejoignent leur véhicule, à l’arrière, reste une dernière membre du groupe : elle badigeonne d’une peinture jaune un pochoir qui imprime le mot « TELLUS » à l’arrière d’une citerne. Embrassant du regard une dernière fois avant de partir son glorieux fait d’arme, elle remarque derrière une vitre, se dessinant à peine parmi les flammes, la silhouette d’un homme paniqué. Il lui faut moins d’une demi-seconde pour prendre la décision d’aller l’aider, mais rien à faire : la vitre est incassable, il est bloqué. Bientôt les flammes l’avalent tout-à-fait…
Le groupe Tellus rassemble 5 écoterroristes convaincus que frapper les pollueurs là où ça fait mal permettra de sauver la planète. Jusque là ils n’avaient causé que des dommages matériels ; ils viennent sans le vouloir de faire leur première victime. La jeune femme qui a assisté, impuissante, aux derniers moments de cette victime, c’est Eevi, la vingtaine, et un peu fragile psychologiquement. Lorsqu’elle raconte à ses compagnons ce qui vient de se passer, tous sont accablés. Leur carrière d’écoterroristes vient de prendre un tournant, bien malgré eux.
Sur leur piste depuis des années, mais incapable de trouver le moindre indice permettant de les identifier, le flic Taneli Lokka tente comme il peut de poursuivre l’enquête. Celle-ci n’a pas été facilitée par son récent AVC, qui l’a forcé à prendre un peu de distance avec le dossier ; à son retour au travail, Maria Majamaa, l’enquêtrice qui avait assuré l’intérim, est désormais sa partenaire. Elle pensait qu’il avait raté quelque chose, mais non : le groupe Tellus est bel et bien insaisissable. Jusqu’à maintenant ?
Dans Tellus, tout le monde prend à cœur les questions d’écologie. Le groupe d’écoterroristes du même nom, bien-sûr : en suivant Eevi, nous allons découvrir leurs convictions, leurs pratiques, leurs méthodes. Mais la série insiste pour décliner leur cause sur tous les modes.
Ainsi, les premières personnes interrogées par la police après le décès à l’usine sont des dirigeants de mouvements écologistes modérés. Le Président d’une de ces associations, Alex, est même assez proche de l’enquêteur Lokka, avec lequel il échange parfois des informations. Alex est un pacifiste, qui essaye d’imposer des règles éthiques à ses membres, même si cela signifie parfois ne pas faire d’action coup d’éclat, mais plutôt une simple petite manif. Et à vrai dire, même le flic Lokka est attentif à l’environnement ; on le verra à plusieurs reprises faire la leçon à son fils sur le tri sélectif, le gaspillage alimentaire, ou encore le végétarisme.
Chacun à un degré différent veut la même chose. Parce que Tellus ne questionne à aucun moment la nécessité écologique, comme la plupart des fictions cherchant à vous convaincre que la planète est en danger : cela tombe sous le sens ! La vraie question de la série, c’est comment obtenir une planète plus propre et donc plus vivable à long terme. Et c’est sur ce point que personne ne semble d’accord, et que certains peuvent basculer.
Après avoir appris qu’ils ont tué quelqu’un, les membres de Tellus sont découragés… mais finissent par conclure qu’ils ont simplement passé un pallier, et que désormais leurs actions seront plus impressionnantes encore. Mais jusqu’à quel point ? Les tabous tombent progressivement et les gentils amoureux de la Terre deviennent réellement inquiétants.
Là encore, Tellus n’est pas dans la caricature. Grâce à son personnage central, Eevi, la série montre que l’engagement de ces 5 personnes est profond, presque de l’ordre du spirituel. Pour mener une vie de terroriste sur son propre sol, il faut se fondre dans la masse, ne pas se faire remarquer et surtout pas ensemble, cacher ses véritables actions y compris aux proches (voire tout simplement n’avoir pas de vie personnelle, pour ne pas prendre de risque).
Beaucoup de séries nous ont montré des personnages mener une double-vie au nom du crime, mais on est ici dans le registre supérieur : les membres de Tellus ont une mentalité de fer et se dédient entièrement à leur cause, sacrifiant leur individualité au nom du bien commun. Comme auto-endoctrinée, Eevi raconte ainsi, comme un refrain lancinant répété pour se convaincre, que malgré la solitude et les défaillances psychologiques (Eevi voit sa mère lui apparaître dans son appartement, alors qu’elle morte il y a plus d’une décennie ; ou bien elle a des conversations imaginaires avec les membres de Tellus lorsqu’elle a besoin de prendre une décision), à quel point sa rigueur est capitale. Tous les membres de Tellus se surveillent eux-mêmes, et gardent un oeil sur les autres, pour voir si l’un d’entre eux flanche. Ce petit groupe quasi-sectaire vit, par voie de conséquence, ses rares interactions sexuelles uniquement à l’intérieur du groupe, et s’est totalement coupé du monde.
La force de caractère requise pour qu’Eevi poursuive la mission presque divine qu’elle s’est fixée depuis des années n’impressionne pas : elle fait peur. Il ne faudrait pas grand’chose pour qu’elle s’effondre, d’autant qu’elle mène aussi une vie « normale » d’élève en médecine, avec gardes et tout et tout… Ce petit quelque chose va prendre l’apparence d’Alex, qu’elle croise et qui l’attire, mais comment concilier ces sentiments naissants, interdits par ses propres règles de vie, avec son obligation de silence et sa vie ascétique ?
Tellus saisit ce portrait, et plusieurs autres, pour créer un patchwork non seulement de personnalités, mais surtout de mentalités. Chacun de ses protagonistes se pousse au-delà de ses limites : Alex quand il tente de juguler les membres les plus agités de son association modérée, Eevi en se conduisant comme un robot alors qu’une vague d’émotion s’apprête à la submerger, ou encore Taneli Lokka, qui suite à son AVC, tient un secret à l’abri des regards de sa hiérarchie…
Tellus n’a peut-être pas suscité beaucoup de discussions sur l’écologie en Finlande (au grand regret de son créateur et réalisateur JP Siili), mais au-delà de ses frontières, d’autres ont su reconnaître l’originalité à la fois de son sujet, de son intrigue et de son ton. D’abord parce que SVT en Suède et NRK en Norvège se sont associés au financement de la série ; ensuite parce que, et c’est une sacrée nouveauté, l’allemande ZDF a également mis la main à la poche. En devenant co-productrice de Tellus, ZDF est ainsi en passe d’être la première chaîne d’outre-Rhin à diffuser une série finlandaise. Il y a quelques jours à peine, c’était au tour du Bénélux d’acheter les droits de diffusion…
Pour continuer cette success story encore rarissime pour une série finlandaise, idéalement, il faudrait qu’une chaîne française aussi fasse ses emplettes. C’est difficile de ne pas avoir envie de faire du lobbying quand on voit l’ambition et l’originalité de Tellus. Mais plus important encore, Tellus est une série appréciant avant tout la nuance, la subtilité, et exigeant de ses personnages comme de ses spectateurs qu’ils ne cherchent pas à ranger les gens dans des cases. Celles-ci sont mouvantes, à plus forte raison parce que l’urgence écologique se fait sentir de façon pressante. Tellus n’a tout simplement aucun équivalent à travers le monde (et c’est moi qui vous le dis !).
Nous sommes abreuvés de fictions nous disant que la nature est en danger. Tellus va plus loin, et nous raconte ce qui se passe quand un groupe de jeunes gens décide de retourner le danger contre les pollueurs, quitte à perdre pied avec la réalité.
Je ne vous cache pas que j’imagine mal M6 sortir son porte-monnaie : c’est clairement une mission pour arte. Donc voilà : on attend. De pied ferme… Ne nous obligez pas à nous monter en groupe télé-terroriste.
Bonjour,
Merci pour l’article, et l’interview de JP Siili. J’étais à la projection, un peu déroutée au tout début avec le petit problème technique. Cette série ne m’a pas particulièrement marquée, dans le sens coup de coeur, bien qu’intéressante, au niveau du thème et de la rigueur des personnages pour mener leur mission. En fait, ce ne sont pas des fanatiques, quoi que celui qui essaye le pistolet à un moment a l’air plus prompt à aller plus loin, mais, comme le disait JP, des jeunes qui ont décidé d’agir. Malgré tout, mener cette vie n’est pas sans conséquences. Et comme toi, si une chaîne française devait la diffuser, ce serait Arte…
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