Rares sont encore les séries africaines à s’inviter dans les festivals comme Séries Mania. C’est en coulisse, parmi les séries proposées uniquement aux professionnels, qu’on trouve la seule et unique exception de l’année : Waga Love. Ce drama ne connaîtra aucune opportunité d’être présenté aux Parisiens curieux cette année, mais lors du FESPACO (le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou), il y a deux ans, il a retenu l’attention du jury qui lui a remis un Prix spécial.
Evidemment, les moyens techniques (et sûrement financiers) des séries burkinabé auraient un peu de mal à soutenir la comparaison avec d’autres fictions de la sélection Séries Mania ; et puis, les différences culturelles sont nettement palpables. Mais je persiste à penser, toute seule dans mon coin s’il le faut, qu’il faut bien commencer à un moment par regarder la fiction internationale pour ce qu’elle est ce qu’elle a à offrir. Cela semble infiniment plus sain que de l’ignorer en attendant qu’elle semble « attrayante pour le grand public », c’est-à-dire, en attendant qu’elle ressemble à tout ce que l’on connaît déjà.
La valeur de Waga Love montre bien que l’intérêt de la curiosité téléphagique dans ce qu’elle a de plus essentiel. La série met en effet au centre de son intrigue deux jeunes femmes qui ont décidé d’ouvrir une agence matrimoniale en plein milieu d’un quartier populaire de Ouagadougou. Pour cela, elles ont trouvé une maison à louer, qui appartient au fils d’un de leurs désormais voisins.
Sauf que le voisin en question ne savait pas quel genre de commerce elles allaient y installer. Et il est ulcéré à l’idée que ce genre d’entreprise s’installe dans la maison de son fils. Il n’est d’ailleurs pas le seul : la majorité des gens du quartier voient l’agence Waga Love s’installer dans la rue.
…Tout simplement parce que la plupart d’entre eux pensent qu’il s’agit en fait d’une maison de passe. L’agence matrimoniale, « ça ne se fait pas », tout simplement, dans un univers où les femmes sont courtisées par des prétendants, ou pas, et un point c’est tout. Chercher l’amour, ça sonne un peu désespéré, un peu sale, peut-être même dépravé. La coiffeuse (qui elle non plus ne voit pas l’agence d’un bon oeil) décrit ainsi le public qu’elle s’attend à voir dans l’agence : « des putes, des bordels, des salauds ». Alors forcément, Waga Love n’est pas accueillie chaleureusement par les commerçants du coin.
Ca ne désarçonne pas vraiment ses deux créatrices, pourtant. Les premiers clients potentiels se présentent, et ils ont la surprise de tomber sur la secrétaire et réceptionniste Brigitte, qui ne les prend pas spécialement dans le sens du poil. Pas d’argent ? Dehors. Pas assez précis dans les attentes ? Dehors. Pas envie que son identité soit prononcée à voix haute ? Vous n’avez qu’à aller chercher l’âme sœur par vos propres moyens. On ne peut pas dire que Brigitte soit obséquieuse, disons. Et lors de l’entretien avec la première cliente sérieuse de l’agence, elle va lui sortir des horreurs avec le plus grand des calmes : elle est trop difficile, elle devrait se satisfaire du premier venu… Ou encore, au moment de prendre une photo pour le catalogue de l’agence, je cite textuellement (parce que j’ai pouffé comme une gamine) : »une photo, ça dépend surtout de l’original, hein, mais bon on fera avec ». Pas trop le sens commercial, l’amie Brigitte, donc.
Mais cela permet à Waga Love de parler d’amour et de rencontres avec les pieds bien sur terre : ne pas exiger l’impossible, et s’attendre au pire, sont en gros les deux ingrédients d’une vie amoureuse réussie.
Plus loin dans le processus, Sandra, qui met en relation les couples (forcément hétérosexuels, au passage), fait preuve de plus de patience et d’écoute. Mais son crédo est le même : le réalisme avant tout. Et on la verra mettre en garde sa première cliente qui élimine les hommes du catalogue sur des critères superficiels tels que la taille.
Au final, et à ma grande surprise, Waga Love, dans ce premier épisode, discute des relations amoureuses sans en montrer une seule. A travers les discussions du voisinage (même les femmes qui ne s’opposent pas à l’agence précisent bien qu’elles n’en ont pas besoin, elles : c’est pour les autres), ainsi que les échanges avec Brigitte et Sandra, se dessine toute une carte du pas tendre sur les rencontres burkinabés. Le romantisme n’est pas à l’ordre du jour, il est supplanté par le pragmatisme. On y a peur du sexe et de l’image sulfureuse qui l’entoure (mais on en fait quand même, hein !). On regarde de travers les célibataires, mais aussi ceux qui cherchent à ne plus l’être (on questionne leurs motivations). On s’y interroge sur le mariage, à mi-chemin entre pression familiale et réalité du « marché » amoureux. On s’y fait aussi sévèrement rabrouer quand on rêve d’un sosie de présentateur télé ou qu’on n’a pas honnêtement fait le point sur les échecs amoureux passés.
Ça n’a pas l’air d’être facile d’avoir une vie amoureuse au Burkina Faso. Des milliers d’heures de fiction américaine ou européenne en attestent : ce n’est pas forcément plus facile plus près de nous. Mais c’est difficile différemment, en tous cas. Waga Love semble affirmer avec assurance (et ce malgré ses dialogues un peu maladroits ou ses réponses un peu raides, et sa réalisation sans chichis) que personne n’est bien loti, finalement. On ne sait pas trop s’il faut être rassuré ou déprimé !
Il y a sûrement, sans aucun doute, des fictions africaines plus léchées visuellement et plus subtiles scénaristiquement, que Waga Love. Notez qu’on ne les voit pas non plus en festival, et moins encore ailleurs.
Alors je veux bien que Waga Love ne soit pas forcément la série qui va remplacer The Wire ou Les Soprano dans le cœur des critiques de télévision « qui se respectent ». Mais je suis un peu fâchée que, pour une fois qu’une série africaine nous parvienne (autrement que sur TV5 Monde, qui l’a diffusée mais que personne en France ne semble regarder), le public n’y ait pas accès.
A vrai dire, je n’en veux pas à l’organisation Séries Mania, qui a déjà plus de séries que le cœur ne désire à caser dans ses quelques salles de projection, et des séries autrement plus facile à « vendre » aux festivaliers qu’une série burkinabés. Mais enfin, bon, justement : il faut bien commencer quelque part ! C’est surtout à notre absence à noustous d’ouverture sur le monde, sur les séries du monde, que j’adresse ma petite colère d’aujourd’hui. On aime bien se dire qu’on a fait la queue sur 50m pour aller à la soirée Deutschland 83, ce serait cool si une prochaine fois, on pouvait surmonter nos préjugés sur la fiction africaine aussi.
Ne serait-ce que pour se rassurer sur le fait que, côté vie amoureuse, tout le monde en chie.