Le chant timide du Colibri

19 avril 2015 à 12:00

Tout destinait Martin Rauch à être recruté par les services d’espionnage est-allemands. Tout, sauf lui.

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Après avoir fait son service militaire, il était entré à la police des frontières, où son dossier a été exemplaire ; son zèle (un rien enfantin) pour confisquer des produits importés illégalement de l’Ouest fait des étincelles. C’est que Martin est un pur produit de la RDA, qui a parfaitement assimilé le discours sur les bienfaits du socialisme, ainsi que le danger que représente la RFA et, au-delà, les États-Unis.
Alors, quand sa tante Lenora, une femme influente qui travaille pour la Stasi, apprend qu’on aurait besoin d’un type dans la vingtaine, pour une mission bien précise d’infiltration à l’Ouest, elle pense tout de suite à Martin. Elle et son supérieur viennent d’abord lui demander poliment, puis, devant son refus, décident tout simplement de le droguer et de l’envoyer à en RFA sans plus lui demander son avis.

Lorsqu’il se réveille, Martin n’est plus Martin, mais « Colibri », son nom de code. Et Colibri doit endosser l’identité du nouvel assistant personnel du général Edel… c’est-à-dire l’ennemi. Avec un entraînement minimal assuré par son seul contact de confiance en territoire inconnu, un certain Tischbier, Martin est devenu un espion et doit désormais découvrir les plans de l’Ouest en matière… d’armement nucléaire. Excusez du peu.

De la même façon que Martin est briefé très rapidement par Tischbier sur ce qu’il doit accomplir, et surtout comment, le spectateur n’a pas des masses de temps pour appréhender la situation de départ de Deutschland 83. Il faut tenir quasiment pour acquis que ce garçon est compétent (c’est sa tante qui le dit), et dans une moindre mesure, imaginer qu’il est attaché à sa petite amie Annett avec lequel il partage un quart de scène dans le premier épisode. En fait, c’est à cause d’Annett mais surtout sa propre mère que Martin se montre hésitant à partir au loin : il est en effet son fils unique, et elle est gravement malade ; son seul espoir est une greffe, mais en Allemagne de l’Est, se procurer les médicaments post-opératoires pour une greffe relève de l’impossible… Lenora n’est pas si sentimentale, et une fois Martin sur le terrain, elle lui promet monts et merveilles une fois qu’il aura accompli sa mission et sera repassé à l’Est : un appartement et une voiture pour sa vie de couple avec Annett, et l’inscription sur la liste très restreinte des greffes, pour sa mère. Devant ce chantage émotionnel, Martin n’a plus qu’à se plier au bon vouloir de la Stasi.

C’est ce qui intéresse le plus le démarrage de Deutschland 83 : voir comment, abandonné à lui-même (les outils de communication sont évidemment rares dans ce contexte), il va essayer de faire ce qu’on attend de lui, un peu par sentiment patriotique et surtout parce qu’on lui a promis que juste après, il pourrait rentrer chez lui. Or, Martin n’a justement pas beaucoup d’entraînement et encore moins d’expérience pour accomplir sa mission.

S’abimant dans la contemplation des hésitations de Martin, dans ses tentatives, ses méthodes, ses bourdes souvent aussi, Deutschland 83 est une série d’espionnage un peu classique. Elle se montre efficace certes (bien qu’inégale au niveau du rythme), possède une réalisation propre et un bon cast (Jonas Nay, qui incarne Martin et occupe l’écran 90% du temps, est solide). Mais ce n’est pas franchement une révélation de forme, et très peu de fond. Ce dernier point peut évoluer avec les épisodes (j’espère que la façon dont Colibri s’adapte avec tant de facilité au confort de la vie à l’Ouest va être le point de départ d’un peu plus d’ambivalence qu’actuellement). Pour le moment, la série rechigner à questionner le sujet qui pourtant lui tend les bras : l’endoctrinement de chaque côté du Mur ; en passant de l’Est à l’Ouest, Martin est pourtant en première ligne pour regarder l’envers du décor et prendre du recul. Pour le moment, le pauvre, il en est encore à se prendre les pieds dans le tapis, espérons qu’il se bouge un peu.

Deutschland 83 st LA série allemande dont on parle en ce moment, pour moitié parce qu’elle est bonne, pour moitié parce que c’est la seule série allemande dont on parle, tout court. Depuis sa projection à la Berlinale, plus tôt cette année, elle a tapé dans l’œil de tout le monde, dont les Français (Canal+ a acheté la série à peine cette semaine) et les Américains (Sundance la diffusera dans quelques mois). Et vous savez comme moi qu’une fois que les Américains vous ont adoubé, c’est gagné.

Est-ce à raison ? J’ai envie de dire « oui, mais ».
En elle-même, Deutschland 83 est une série d’espionnage plutôt réussie. Ce n’est pas la plus grande fiction d’espionnage de tous les temps, en revanche, si j’en juge par ses deux premiers épisodes. Une part non-négligeable des critiques positives que reçoit la série sont dues… à une parfaite ignorance de ce qui se fait en matière de fiction télévisée allemande. Il s’y fait certaines choses très bien, mais qui ne traversent pas les frontières, n’ont pas droit au bouche à oreille international, et ne finissent pas avec la bénédiction de Saint Sundance.
Alors oui, aimons Deutschland 83 pour ce qu’elle est… et ce qu’elle est honnête donc tant mieux ! Mais faisons aussi d’elle la première de nombreuses autres séries allemandes à stimuler les conversations et les acquisitions (et pas juste une promesse vide à la Unsere Mütter, unsere Väter). Histoire qu’une série soit appréciable pour ce qu’elle est, et pas pour ce qu’on ignore de toutes les autres. Je tiens une wishlist à disposition des chaînes françaises, au besoin !

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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