C’est très compliqué d’écrire sur les séries. Quel que soit le titre qu’on veuille se donner, c’est extrêmement compliqué.
Demandez à ceux que vous lisez, et je suis sûre que tous vous diront une variation de ceci : écrire ce qu’on pense sans interférences n’est franchement pas chose aisée.
Pour prendre un exemple concret et récent, c’est difficile pour moi d’écrire sur Wayward Pines. Pas parce que la série est d’une complexité folle (je vous renvoie à la critique du premier épisode), mais parce qu’au sortir de la salle, tout le monde a commencé à évoquer son avis. Certes cela se passe sous la forme d’échanges, ce n’est pas unilatéral. Et c’est évidemment avec toutes les bonnes intentions du monde. Moi non plus, je ne suis pas la dernière à faire un petit signe de menton, le regard vissé dans celui de mon interlocuteur, en glissant un « alors…? » curieux. Sur le moment, on sort du visionnage avec une impression et on a envie de la partager comme de la faire partager, ça n’a rien de plus naturel.
Mais beaucoup de séries mériteraient qu’on attende. Qu’on prenne le temps de faire retomber le petit twist de fin d’épisode, ou Autre.autre.
J’ai fini la projection Wayward Pines il y a quelques heures avec, au départ, une impression vraiment positive. J’ai trouvé ça bon. Pas parfait, loin de là, mais franchement méritant à plusieurs égards. J’ai commencé à parler avec les autres téléphages qui y avaient assisté, et la chose suivante, typique, s’est déroulée : l’un a partagé mon enthousiasme (et fait pervers, mon premier réflexe a été de… relativiser) mais immédiatement, plusieurs autres ne l’ont, mais alors, pas du tout partagé ! Et j’ai senti à chaque nouveau « alors…? » que ma propre réponse était de moins en moins positive.
Pendant l’une de ces conversations, soudain je me suis vue comme de l’extérieur et je me suis dit : « mince, t’avais passé un si bon moment, et maintenant tu ne te rappelles plus que des défauts, pas de ce qui t’a intéressée ». Et je me suis vraiment sentie triste. Pas pour Wayward Pines parce que ce n’est pas non plus comme si j’avais eu un coup de cœur, et puis je pense que M. Night Shyamalan s’en remettra, mais pour moi. Pour n’avoir pas eu le temps de rester en face à face avec moi-même et vraiment déterminer si ma négativité croissante était le fait des réactions souvent négatives de mes interlocuteurs, ou si j’y serais venue par moi-même, une fois le soufflé retombé, ce qui est entièrement possible et s’est déjà vu.
Et c’est pour ça qu’écrire sur les séries est extrêmement difficile. Parce que si on ne bénéficie pas de cette zone de tampon pendant laquelle on se retrouve en tête à tête avec nos impressions, pendant laquelle on peut relire ses notes ou revoir une scène qui semblait marquante (selon les outils qu’on a, et ceux qu’on aime déployer), pendant laquelle on peut ruminer tranquillement et prendre du recul, pendant laquelle, enfin, on ne partage qu’avec soi-même, eh bien sans cette zone sécurisée, parler de séries n’est pas vraiment en parler honnêtement.
Que ce soit à cause de conversations en personne (comme dans le cadre très exceptionnel d’un festival), ou sur internet par exemple via les réseaux sociaux, ne pas pouvoir préserver un espace où on se retrouve face à nos impressions rend extrêmement difficile d’écrire.
Ou disons que c’est possible mais ça a quand même beaucoup moins de sens.
J’ai de la chance : j’ai pris le réflexe de toujours prendre des notes en festival, pendant les séances, précisément parce que je sais que ce genre de choses arrive. Et que j’ai pas non plus envie de repousser les festivaliers avec une chaise pour me tailler un chemin jusqu’à l’ordinateur le plus proche et me rédiger ma review pépère avant de leur parler. Dans mes notes sur Wayward Pines, il y a, et heureusement, beaucoup de choses qui me permettent de vous dire ce que j’ai pensé sur l’instant.
Mais il y a aussi, et cela teinte forcément la review finale, le ressenti de l’après, moins optimiste.
Peut-être que de toute façon, j’aurais été beaucoup moins optimiste après avoir eu le temps d’y réfléchir tranquillement. Peut-être qu’en lisant mes notes j’aurais sursauté devant certains commentaires positifs sur une scène qui, en y repensant, est en fait réellement cliché. Peut-être que la ligne de dialogue que j’ai notée et décidé dans ma review de ne pas citer, je ne l’aurais pas citée même sans intervention extérieure. On ne saura jamais… c’est ça mon problème, en fait.
Dans l’absolu il n’est pas « préférable » de dire du bien de Wayward Pines, même en étant seul à le faire. S’accrocher à mes premières impressions n’est pas forcément bon. Mais j’en ai été séparée un peu tôt à mon goût et, quand je vois la review que j’ai mise en ligne, j’ai du mal à ne pas me demander : quelle review aurais-je écrite si je l’avais rédigée avant de parler à quiconque ?