Pour cette semaine spécialement dédiée aux séries et aux comics, j’avais très honnêtement le comble du choix en matière de héros et d’héroïnes américains… mais aussi d’ailleurs. J’ai par exemple caressé l’idée de revenir à mes premières amours de pré-adolescente et de vous parler de Sailor Moon et/ou de Bishoujo Senshi Sailor Moon, sa version live ; mais je me suis ravisée pour vous proposer ce qui sera, j’en suis sûre, une véritable découverte : une superhéroïne philippine !
Elle s’appelle Darna, et je vous ai glissé quelques mots à son sujet dans un article que vous n’avez pas lu alors qu’il s’insère fantastiquement dans notre quête cette semaine : Drawn this way, un historique des komiks philippins de leur naissance à nos jours, en passant par la case télé et en touchant bien plus que vingt mille. C’est vraiment une lecture recommandée aux amateurs tant de bande-dessinée que de séries, et aux téléphages curieux en général…
Aujourd’hui point d’historique, je vous rassure, mais une review de l’épisode inaugural de Darna, dans sa dernière incarnation en date. L’héroïne est en effet apparue au format papier en 1947 (d’abord sous le nom de Varga puis, pour des raisons de droits, de Darna à partir de 1950), avant de s’inviter au cinéma… et, bien-sûr, à la télévision, dont déjà deux fois depuis l’an 2000 ! Ici nous nous attaquons donc à la version de 2009, où l’héroïne créée par Mars Ravelo est incarnée par Marian Rivera, une superstar qui doit l’essentiel de sa renommée à la télévision. D’ailleurs, l’année précédente, elle était l’héroïne d’une autre adaptation de komiks, Dyesebel, dont nous avons déjà amplement parlé dans Drawn this way ainsi que dans sa propre review. Incidemment, le komiks Dyesebel est également une création de Mars Ravelo !
That’s not how shadows work. That’s not how any of this works.
Mais contrairement à une majorité de séries de superhéros, Darna est loin d’être une affaire répétitive dans laquelle un nouveau défi se dresse avant d’être réglé (la tête haute et à coups de superpouvoirs psioniques, ça va de soi) avant la fin de l’heure. Au contraire, la série est profondément feuilletonnante. Ceci qui est dû en partie au fait que la plupart des séries philippines sont créées au format telenovela, avec une propension rare au renouvellement (c’est le cas de cette version de Darna, qui a duré deux saisons en raison de ses audiences de folie). Mais l’autre partie de ce choix, on le doit au matériau d’origine.
Parce qu’elle présente en détails la genèse du personnage de Darna, l’origine de ses pouvoirs mais aussi son destin (forcément) tragique, la série décide de raconter cette histoire depuis le début. Ici point de flashback, surtout pas ; d’ailleurs le flashback est plutôt rare à la télévision philippine… ce qui rend ces fictions particulièrement rafraîchissantes par les temps qui courent ! Darna va pousser ce choix très loin ce choix chronologique, vous allez voir…
L’épisode commence ainsi dans les années 40 ! Une nécessité narrative mais aussi une élégante référence aux origines du komiks, qui est apparu environ à la même époque.
La série s’ouvre sur un village qui est mis à feu et à sang par quatre créatures dont nous ignorons tout, si ce n’est qu’elles sont terrifiantes. Je vais vous aider un peu en trichant : il s’agit de Babaeng Impakta, une jeune femme née bossue, mais dont la bosse s’est révélée en grandissant être un jumeau démoniaque à la force surhumaine, avec un bras extensible armé de griffes qui peuvent transpercer un humain ; Babaeng Lawin, une femme-cyborg ailée ; Babaeng Tuod, une femme-arbre contrôlant la flore, capable de changer de taille et dotée d’une immense force ; et enfin Babaeng Linta, une liche qui se nourrit de sang, d’énergie vitale ou de pouvoirs, mais qui peut aussi créer une armée de liches avec son corps qui peuvent alors infiltrer des humains. Tout cela est fort peu ragoûtant, vous en conviendrez. A noter que Babaeng signifie « femme » en tagalog, donc les héroïnes pourraient s’appeler respectivement la Femme-Démon, la Femme-Aigle, la Femme-Arbre et la Femme-Liche. Et toutes les variations anglophones qui vous sembleront plus cool à l’oreille, genre Hawk Woman, éventuellement Leech Girl, et ainsi de suite.
Leurs pouvoirs comme leur apparence doivent énormément, vous l’aurez peut-être deviné, au mythes et légendes philippins. Et si chacune a une backstory, pour le moment nous n’en savons rien et les regardons simplement tuer les villageois.
Babaeng Power !
Dans tout cela, une habitante du village ne cède pas à la panique, et, tenant à la main une pierre particulièrement lumineuse, elle essaye de trouver un recoin au calme pour avaler le caillou et se transformer en Darna ! Vous avez bien lu : il faut avaler la pierre. Je suis étourdie par le choix de blagues scato que je pourrais faire ici et maintenant.
Sans même voir le résultat de la transformation et moins encore le combat qui s’en suit, tout cela nous est aussitôt expliqué, par une utilisation très littérale du komiks d’origine : en nous montrant ses pages pour nous raconter l’origine de la pierre.
Nous apprenons donc que la jeune villageoise, quand elle était enfant, a trouvé une météorite qui venait de s’écraser sur terre, et a déniché dans les gravats la fameuse pierre luisante, portant l’inscription « Darna ». De peur que ses camarades ne la lui volent, elle l’a donc naturellement avalée (je… mon Dieu, quelle plaisanterie de mauvais goût choisir ?!). Plus tard, en racontant l’histoire à sa grand’mère, elle se souvient du mot gravé sur la pierre, et en le disant à voix haute, « Darna ! », elle s’est aussitôt transformée en une puissante guerrière. Depuis lors, elle combat le mal aux quatre coins de la planète, et on peut effectivement voir les cases où elle défait les quatre Babaeng ci-dessus.
Cette introduction se clôt par une révélation : si la première Darna a réussi à se débarrasser des quatre monstrueuses Babaeng, les forces du mal sont sur le point de faire leur retour, et il faut une nouvelle Darna pour prendre le relai. Et, de fait, en finissant son récit sur cette note, la Darna originale vient de réaffirmer que la narration est purement chronologique : cette introduction n’a lieu que parce que de nouveaux évènements se préparent.
C’est une vraie bonne idée, l’introduction de ces planches pour raconter l’histoire de la première Darna. Le message est clair : le sujet de la série n’est pas elle, mais la seconde Darna ; c’est la seule raison pour laquelle on prend son histoire en cours de route.
Mais c’est aussi, et surtout, un formidable rappel de la raison pour laquelle les spectateurs (philippins en tous cas… et nous cette semaine) sont devant la série à cet instant : parce qu’il s’agit d’une adaptation d’une histoire ancrée dans la popculture et issue d’un komik incontournable.
Paradoxalement, ce retour aux sources n’en est pas exactement un.
D’abord parce que normalement, il n’y a qu’une Darna, celle qui a trouvé la pierre ; mais allez raconter à des spectateurs modernes que la superhéroïne vit dans les années 40 sans perforer le budget…
Ensuite, il est intéressant de noter que ce ne sont pas seulement les illustrations d’origine qui apparaissent à l’écran pendant ces explications. Pour une partie, oui, mais de façon recolorisée, ce qui n’était pas le cas lors de la publication initiale du komiks. Et pour une autre partie de ces vignettes, ce sont tout simplement des images inédites ! La raison essentielle tient dans les costumes des personnages, en particulier les Babaeng qui ont été largement modernisées et qui pouvaient difficilement être montrées sous leur ancienne forme. Vous pouvez par exemple constater, ci-dessous, que Babaeng Lawin a subi d’énormes changement qui rendaient les planches de Mars Ravelo totalement inutilisables dans le contexte de l’exposition de l’histoire !
A gauche, une couverture datant de 1952 ; à droite, le costume de 2009. Attention c’est subtil.
Chronologique, d’accord, mais rien n’empêche un petit saut dans le temps. Hop ! on avance jusqu’en 1985, alors qu’une procession catholique avance dans une rue.
Le cortège festif porte une figure de la Vierge Marie qui, conformément à la tradition, s’apprête à être bénie par un curé ; les fleurs de son dais sont alors, selon la superstition, capables d’exaucer le vœu de toute femme qui souhaite tomber enceinte. La procession est, évidemment, très prisée par les femmes du coin, et en particulier par trois d’entre elles : les voisines et amies Alicia, Angge et Consuelo. Angge a même amenée deux de ses enfants pour attraper le plus de fleurs possibles, c’est vous dire l’excitation qui règne autour de cette croyance.
Hélas, au moment de se précipiter vers la figure sacrée et se saisir des fleurs, Alicia remarque une vieille femme qui a été poussée par terre ; elle l’aide et lui offre sa propre fleur pour la consoler, mais du coup se retrouve les mains vides, tandis qu’Angge a fait main basse sur tout un bouquet. Fort heureusement, Simon, le mari d’Alicia, participait à la procession et a pu sauver quelques fleurs de la razzia. Mais l’effet n’est pas le même.
C’est loin d’être une introduction innocente, puisque Darna, pour nous amener où elle le souhaite, essaye de nous raconter avant tout les histoires de fertilité de ces trois femmes : Angge, qui pond des enfants comme une poule (ce sont ses propres termes !), Consuelo qui est enceinte de son premier enfant, et Alicia qui continue d’échouer à tomber enceinte. Angge promet qu’elle connaît et utilise une recette miracle pour tomber enceinte, à base de lézard bouilli (c’est aussi chouette à avaler qu’à attraper, visiblement), signe que la superstition est le dernier recours. Hélas peu de temps après cette confidence, Consuelo fait une fausse couche et Alicia apprend qu’elle est stérile. Lorsque quelques mois plus tard, pendant le baptême de son dernier-né, Angge confesse à ses amies être à nouveau enceinte, les deux femmes sont au bout du bout et prêtes à accepter toutes les solutions. Angge, qui est décidément pleine de ressources, leur parle alors d’une vieille femme qui ferait un peu de sorcellerie et pourrait sûrement les aider ; la vieille leur explique qu’il existe, non loin du hameau où elles vivent, une grotte magique qui pourra exaucer leur souhait à condition d’exercer un petit rituel à minuit pile, et de sacrifier un poulet.
Ce qui fût dit, fût fait, et les deux femmes, bras dessus bras dessous, se mettent en chemin en dépit des périls prédits par la vieille femme, se hâtant pour atteindre la grotte pour minuit. En chemin, elles croisent une autre vieille femme qui appelle au secours ; Alicia, qui comme on l’a vu a le cœur sur la main, enjoint son amie d’avancer tandis qu’elle aide la femme ; promis, elle rattrapera le chemin dés qu’elle aura fini de lui venir en aide.
Las, les choses ne se passent pas du tout comme prévu. Devant la grotte, Consuelo offense l’étrange créature qui est à l’intérieur avec sa pauvre offrande de volaille. Capturée par une immense queue reptilienne, elle se réveille un peu plus tard, sonnée et en désordre. Tandis qu’Alicia, en sauvant la vieille femme, a en fait donné la preuve de sa bonté à une créature qui n’est autre que l’âme de la première Darna ! Celle-ci lui confirme alors qu’elle va non seulement être enfin enceinte, mais en plus, qu’elle va donner naissance à une élue qui sera amenée à utiliser la pierre magique pour lutter contre le mal.
Les soupçons de tout spectateur attentif se réalisent vite, lorsque les deux femmes s’avèrent enceintes simultanément (mais quelle horreur, Consuelo aurait été violée par un… serpent ?!), et donnent naissance comme par hasard le même jour à leur bébé respectif. Alicia et Simon sont alors parents d’une adorable petite fille qui ne pleure même pas tant elle est sage. Ils décident de la nommer d’après la pierre qui a été remise à Alicia, et qui porte l’inscription « Darna »… que ce pauvre Simon lit incorrectement, et la petite est donc appelée Narda. Ce sont des choses qui arrivent, avec l’émotion.
Au même moment, la sage-femme de Consuelo découvre que celle-ci a donné naissance… à une petite gorgonne !
So… that’s happening.
La sage-femme n’en finit pas de hurler, d’autant que la naissance de l’horrible enfant a ameuté tous les serpents du coin (et tout ce petit monde vit au bord d’une rizière, donc…). Elle finit mordue par l’un d’entre eux. Seuls les premiers cris poussés par Alicia (fessée par la sage-femme d’Alicia) éloignent les reptiles, laissant Consuelo et son époux Nestor devant l’atroce réalisation de l’enfant qui vient de naître.
A partir de là, les choses ne font qu’empire pour Consuelo (si, c’est possible). D’abord son mari décide de fuir et de mettre le feu à leur maison, où se trouve le cadavre de la sage-femme et donc du seul témoin de l’ignominie. Ensuite Nestor, dévasté par cette naissance et à bout de nerfs parce que le bébé pleure en permanence, se saoule constamment et finit par être violent avec Consuelo, qui ne peut décidément pas souffler une minute dans cette histoire. Finalement, il la plaque et elle reste seule avec la… chose.
Consuelo est incapable de tuer son enfant, bien que l’envie ne lui en manque point. Il faut dire que celle-ci est protégée par les serpents sur ordre de la créature de la grotte, dont on aperçoit cette fois un doigt (mais quel horrible chose a donc violé cette pauvre Consuelo ?!). Cela n’arrange évidemment rien. Au bout du bout, Consuelo décide de retourner à la grotte et de proposer à la créature à l’intérieur, un nouveau deal…
L’épisode se finit tragiquement pour la pauvre Narda, qui en plus d’avoir un prénom de déodorant, finit entre les mains de Consuelo… je vous laisse découvrir comment. Eh oui, vous l’aurez compris, le premier épisode de Darna se conclut en 1986, et on n’est vraiment qu’au tout début de l’histoire de la superhéroïne ! En fait, Narda ne se transforme pour la première fois en Darna que dans le 4e épisode de la série, c’est vous dire si on a le temps (accessoirement, cet épisode a battu tous les records d’audience à l’époque). Ce sont les risques du métier lorsqu’on regarde une série purement chronologique qui commence 40 ans avant la naissance de son héroïne, après tout…
Ne nous mentons pas : comme nombre de séries philippines, les effets spéciaux de Darna sont, euh… inférieurs à ceux de Xena (la nostalgie en moins), disons diplomatiquement. Ou pas. Le surjeu y est aussi récurrent pour plusieurs personnages, même si on s’en fiche un peu puisque la plupart ne figureront pas dans la série à mesure que la chronologie avancera ; reste que ce n’est pas nécessairement génial à regarder. Et pour finir, musicalement, c’est un peu lourdingue. Et pour que moi je remarque les musiques d’une série, il s’en faut, pourtant.
Mais sur le fond, Darna réussit son pari : raconter l’épopée d’une superhéroïne, fut-elle remise au goût du jour grâce à quelques procédés tordus comme l’apparition d’une « première » Darna avalant la pierre magique (l’histoire ne dit pas quel goût elle a après plusieurs décennies d’utilisation, HA !!! Désolée ça fait depuis tout-à-l’heure).
Darna se veut tout à la fois : une origin story fantastique, une série dramatique, et un enchevêtrement des deux. Son utilisation élastique du matériau d’origine lui permet de s’étendre à volonté sur certains points, quitte à créer peu ou pas d’action à certains moments. L’essentiel n’est pas qu’une superhéroïne en tenue courte, très courte en fait, batte des méchants monstres à chaque épisode, mais bien de décrire tout un univers, de revenir sur chaque backstory, celle de Narda bien-sûr, mais celle, aussi, des gens qui l’entourent, à mesure qu’elle rencontre les personnes-clés de son existence. Pas à pas. Année après année, ou quasiment.
Ce pari chronologique, je vous avais prévenus, est particulièrement fidèle au matériau d’origine : celui-ci raconte effectivement l’histoire de Narda avant de décrire les exploits de Darna. Avec une précision telle que l’une des backstory avait tellement occupé Mars Ravelo à l’époque, que pendant deux mois aucun komiks hebdomadaire n’avait fait apparaître l’héroïne-titre de la saga, devenue trop encombrante pour pouvoir raconter l’histoire d’un autre personnage tranquillement ! Deux mois à lire Darna sans y trouver Darna, vous imaginez le trip ? Il faut vraiment se captiver pour la narration chronologique pour en arriver là.
Cela écarte, d’ailleurs, toute possibilité de prequel, puisque tout est dit à mesure que cela se passe. La chose est devenue rarissime en matière d’adaptations de bande-dessinées ! Où serait Tom Welling aujourd’hui sans Smallville, tiens ? Euh oups, mauvais exemple. Mais vous saisissez l’idée, amis qui suivez Gotham.
Même quand le matériau d’origine est détaillé et complet, vous le voyez, il est encore possible de s’offrir une marge de manœuvre en matière d’adaptation, et c’est ce que fait ici Darna en inventant une « première » Darna (qui a trouvé la pierre comme dans le komiks et mené certaines de ses batailles), puis une seconde (dont la genèse dramatique est totalement originale, mais forte en rebondissements et permettant d’introduire progressivement les personnages de l’univers pour vivre certaines batailles). Vous pouvez donc ajouter Darna à ma liste d’adaptations qui ont gagné le mérite d’exister ! L’entreprise ne manque pas d’audace, quand bien même je reconnais que la fiction philippine n’est pas pour tout le monde.
Mais je vous le dis et vous le répète, c’est aussi pour ça que j’ai un faible pour elle : la télévision philippine, ce qu’elle n’a pas en pognon, elle l’a en idées. Et même quand elle propose la 712e adaptation d’un komiks supra-connu, elle parvient encore à innover, à sa manière et avec les moyens du bord !
A gauche, la page du komiks original ; à droite, la version colorisée au début du premier épisode de Darna.
Voilà, j’espère que ce petit voyage au pays de Darna vous a emballés ; si vous voulez poursuivre l’expérience, sachez que toute la première saison de Darna est disponible sur Viki ! Gardez simplement mes quelques mises en garde à l’esprit, ok ?
Et demain, qu’est-ce qu’on fait ? Comme tous les jours, ami téléphage : tenter de téléphager le monde !