Il y a quelques temps, j’ai eu une conversation hélas trop familière avec quelqu’un que j’avais rencontré peu de temps auparavant. Lorsque je lui ai mentionné ma passion pour les séries, et en particulier non-américaines, sur lesquelles j’essaye d’écrire… la réaction de mon interlocutrice a été d’être le contraire d’impressionnée. Elle a risqué une question polie : « quoi, par exemple ? ». Alors je lui ai parlé de mon dernier article Tivistory en date à l’époque, sur les séries religieuses dans le monde, pour lui expliquer les variations d’un pays à l’autre, d’une époque à l’autre, de genres et de tons. Sa réaction ? « Mais on parle bien de séries ? ». Oui, l’ai-je assurée ; il me semblait sur le moment que c’était une bonne façon de déjouer le cliché lui était apparu, que les séries sont un passe-temps décérébré.
Malgré tous les articles et livres qui paraissent sur « les séries sont à prendre aussi sérieusement que le cinéma » (grognements dans le public de téléphages), il existe toujours une frange non-négligeable de personnes, généralement se prétendant intellectuelles, pour penser que la série est un genre inepte, et que la regarder n’apporte rien, si ce n’est du temps de cerveau disponible.
J’aurais pu parler à mon interlocutrice des bienfaits de la fiction, en particulier internationale, dans le domaine de l’Histoire.
C’est vrai : je ne suis pas, moi-même, une grande fan de séries historiques (et c’est encore plus vrai lorsque ces fictions s’intéressent à des époques antérieures au 20e siècle), mais il faut leur reconnaître, outre leurs qualités intrinsèques de narration, de réalisation et d’interprétation, un véritable mérite. Plus on en regarde, plus on en apprend ! Alors bien-sûr, ce qu’on apprend se fait par le biais de la fiction, et donc est à prendre avec une certaine mesure, un peu d’esprit critique et du recul (…comme chaque fois qu’on consomme quelque bien culturel que ce soit), mais tout de même.
La fiction internationale nous aide souvent à combler nos lacunes ou à nous rafraîchir la mémoire ; en multipliant les expériences téléphagiques historiques, on peut essayer d’obtenir une vue d’ensemble d’une époque ou d’un évènement par la fiction. Objectif que nous n’atteindrions pas autrement, ou pas sans nous plonger dans des bouquins un rien rébarbatifs. Or, qui a envie d’étudier l’Histoire sur son temps libre, si ce n’est les amateurs d’Histoire… qui n’ont de toute façon pas de lacunes ou si peu ? Les séries historiques permettent de démocratiser l’accès à l’Histoire du monde, à leur façon. Et sans être une fin en soi, l’apport de telles découvertes a bien des vertus.
Par exemple, que savez-vous de la Seconde Guerre mondiale ? Eh bien, vous en avez probablement, comme moi, appris une portion non-négligeable en cours, au collège et au lycée… mais essentiellement du point de vue de la France. Vous avez appris la carte de l’expansion allemande en Europe, peut-être, mais n’en avez retenu que la division nord-sud de la France occupée et le statut de quelques pays-clé.
A partir de là, c’est sûrement la fiction qui a fait le reste pour vos connaissances, au ciné ou à la télévision. Et il y a des séries sur la Seconde Guerre mondiale, bien-sûr : Hitler a eu son biopic (Hitler: The Rise of Evil), il y a des séries de guerre genre Band of Brothers, et puis, sur l’Occupation allemande et la Résistance, il y a bien-sûre Un village français et plus récemment Résistance. Bien, mais ensuite ? Plus largement ? Au-delà de ce qui s’est passé si près de nous ?
C’est là qu’intervient la fiction internationale, et on a eu l’occasion de parler de la situation en Pologne avec Czas Honoru, ou de l’aventure de Kampen om Tungtvannet en Norvège. Aujourd’hui, allons glisser un oeil en Yougoslavie (c’était son nom à l’époque) grâce à la série serbe Ravna Gora.
Band of Half-Brothers.
Et je parie que vous aviez oublié que la Yougoslavie avait fait son possible, pendant les deux premières années de la Seconde Guerre mondiale, pour rester neutre. Lorsque Ravna Gora démarre, cependant, on est le 5 avril 1941 et les choses s’apprêtent à changer.
Le général Bora Mirković, quelques semaines plus tôt, a organisé un coup d’État contre le Gouvernement yougoslave, qui avait signé des accords avec Hitler. Mirković fait désormais partie des proches du Gouvernement mené par le Premier ministre Dragiša Cvetković, installé au pouvoir avec l’argent des Britanniques et prenant maintenant les décisions pour le pays (le jeune prince Pavle à l’époque n’est âgé que de 17 ans).
Le général dîne en cette soirée d’avril avec un représentant britannique, justement, duquel il apprend la stratégie militaire. La Couronne a hélas décidé de ne pas apporter de soutien militaire à la Yougoslavie, et de retirer ses rares troupes de la frontière du pays pour les déplacer en Grèce afin d’y stopper l’invasion allemande. Ce n’est ni plus ni moins qu’un abandon du royaume yougoslave aux Allemands, et Mirković vient annoncer cette sombre nouvelle à Cvetković qui a réuni son cabinet en pleine nuit étant donné la situation de crise. Et vu que Hitler semble se refuser à recevoir Cvetković ou une quelconque délégation de son Gouvernement, et même simplement leurs appels téléphoniques, les négociations sont au point mort voire pire. Il est presque minuit, et le petit groupe voit les choses de façon bien sombre…
Cette annonce et les discussions avec le Premier ministre Cvetković occupent quasiment toute la première moitié de l’épisode inaugural de Ravna Gora. La série a une réalisation impeccable, mais elle l’utilise pour une scène particulièrement longue de discussions dans la salle de crise du cabinet de Cvetković, d’une vingtaine de minutes quasiment ! Entre micro-agressions au sein du cabinet (le général Mirković n’est pas fan de certains autres conseillers du Premier ministre) et interrogations à voix haute, sans compter les quelques politesses, on a l’impression de perdre un peu de temps sur ce qui pourrait être dit bien plus rapidement quant à la situation actuelle de la Yougoslavie.
Pourtant, bien que très lente, cette exposition est évidemment primordiale pour nous expliquer à la fois le contexte et le basculement qui se produit en très peu de temps à partir de là.
Dans les deux heures qui vont suivre, les choses vont en effet s’emballer : mouvements de troupes yougoslaves, mouvements de troupes allemandes, débarquement de bateaux allemands sur les côtes yougoslaves, et finalement, un premier affrontement, loin de tout, à peine remarqué par les autorités. Tout cela, constaté par des anonymes, dont on ignore pour le moment dans quelle mesure ils seront ou non les héros de Ravna Gora. Mais on n’est plus à l’exposition, maintenant, plus du tout, et les personnages retardataires sont priés de tenir leur introduction au minimum pour qu’on comprenne que le 6 avril 1941, le pays a déjà basculé dans la Seconde Guerre mondiale.
Il est à peine 6h du matin quand les premières bombes allemandes frappent Belgrade, réveillant le jeune prince Pavle qui n’a que 17 ans. Tandis que son entourage le supplie d’aller immédiatement se réfugier dans un abri, les dégâts sont vite considérables pour la capitale qui n’est absolument pas protégée. Le bombardement a pris tout le monde par surprise, et désormais, la Yougoslavie ne sera plus jamais la même.
Car plus que de la guerre elle-même, Ravna Gora parle de la division de la Yougoslavie, qui s’apprête à être occupée par pas moins de 4 nations. Divisé également politiquement, le pays va subir toutes sortes de pressions, qui sont en réalité l’objet principal de la série.
Ravna Gora se voulait, lorsque son tournage a démarré en 2012, une série « objective » (rictus cynique de la téléphage). Cette période de l’Histoire ayant fait l’objet de propagande communiste pendant longtemps, la chaîne publique promettait de proposer un nouveau regard sur les évènements. C’est ce que souligne l’utilisation d’images d’archives pour articuler les actes entre eux, montrant d’abord un pays libre et insouciant, loin de la Guerre, puis tard, dépeignant le choc des attaques.
Las, Ravna Gora est truffée d’erreurs et contre-vérités historiques… dés son tout premier plan :
« Belgrade – Serbie, le 5 avril 1941 ».
D’accord très bien sauf que ce jour-là, Belgrade est en Yougoslavie, la Serbie n’existant pas encore. Oupsie.
La faute de frappe est corrigée dans la suite de l’épisode, mais ça reste tout de même malheureux. Et surtout, ça se poursuit avec toutes sortes de libertés prises avec la réalité, du jour de la semaine (le 6 avril était un dimanche, on voit pourtant à la fin du pilote des ouvriers arriver dans une usine pour commencer leur journée) à des personnages historiques qui sont à Belgrade alors qu’ils devraient être en exil à l’étranger, comme notre général Mirković. Des peccadilles, sûrement.
De fait, Ravna Gora était conçue comme une trilogie en trois séries de 15 épisodes chacune, et finalement seule la première a été tournée (mais amputée), les historiens ayant déjà fort à faire pour relever toutes les bévues des 10 premiers épisodes. A la place, le scénariste et réalisateur Rados Bajic a décidé de simplement se tourner vers le cinéma pour monter un biopic sur Dragiša Cvetković, et puis c’est marre.
Ces questions sur la réalité historique de Ravna Gora n’enlèvent rien à ce que je disais plus haut sur les mérites de la fiction historique. En fait, c’est le contraire.
Ce pour la simple et bonne raison que, si vous lisez ces lignes (oui vous, lecteurs, tous les deux), c’est que vous avez découvert via Ravna Gora un pan de l’Histoire, sur la Seconde Guerre mondiale en Yougoslavie et plus largement dans les Balkans, et que c’est déjà énorme considérant ce que je pense pouvoir présupposer de vos connaissances avant cet article (en tous cas si elles sont du niveau des miennes). Plus encore, le simple fait de tester la série, puis de parler de ses… inexactitudes dirons-nous, m’a donné l’occasion de faire des recherches sur le sujet, de lire sur ce pan de l’Histoire, de confronter ce que j’ai vu aux critiques que j’ai lues et aux relevés d’erreurs. Rien que de chercher l’orthographe exact des noms des figures historiques a conduit à un peu d’instruction.
Les séries, et notamment les séries historiques, ne sont pas une fin en soi, bien-sûr. Elles ne l’ont jamais été. Si tous les clichés de l’univers vous parlent de la petite lucarne comme d’une « fenêtre ouverte sur le monde », c’est pour une bonne raison. Il s’agit avant tout d’aborder de nouveaux points de vue, de partager de nouvelles émotions, de dépasser le monde connu pour aller plus loin. C’est pour ça que je regarde des séries du monde entier, et que j’enjoins, autant que possible, les autres à en faire autant. Dans le cas présent, Ravna Gora a été traduite (certes maladroitement ; la connaissance du Russe a été un plus dans ce cas précis) et postée sur Viki. A bon entendeur !
…ah et, promis, je n’ai pas écrit cet article juste pour l’envoyer plus tard à mon interlocutrice ci-dessus.