Quel étrange premier épisode que celui de Banished…
Pour ceux qui attendaient une fresque historique en tous cas, puisque la série s’intéresse peu à reconstituer les débuts de l’Australie coloniale, à l’époque où elle est avant tout une destination pénitentiaire pour les forçats britanniques. Ici, pas d’insistance sur la survie en milieu hostile, ni même les conditions de travail des prisonniers. Bien qu’évidemment abordés dans cet épisode inaugural (et difficiles à ignorer !), la série les tient pour acquis par les spectateurs et n’adresse ces sujets qu’en survol, pour aller plus loin.
Nous sommes en 1988 et le premier Gouverneur de Nouvelles-Galles du Sud, le capitaine Arthur Phillip, est plutôt un directeur de prison qu’un homme politique : tous ses administrés sont soit des bagnards, soit les soldats qui les gardent. Les rares civils sont ceux qui administrent avec lui, comme le pasteur, ou leur famille, comme son épouse ou celle du pasteur justement. L’Australie n’est donc vraiment qu’une vaste prison, certes à l’autre bout de la planète, et sûrement pas un pays sous quelque acception que ce soit du terme.
Dans ce cadre, Banished aurait pu être une série carcérale un peu atypique, avec des intrigues à la Oz sur les rivalités, les violences, les tortures, en les transposant à une autre époque. C’est la mode des séries carcérales après tout, sur tous les tons et tous les modes, d’Orange is the new black aux USA à Wentworth en Australie-même, en passant par Crims en Grande-Bretagne ou prochainement Block B puis Im Knast en Allemagne. Il se prépare même une autre série en direction vers l’Australie pénitentiaire, Iron Belly ! Alors franchement, ce ne serait pas étonnant que quelqu’un cherche à exploiter un territoire peu exploré pour y asseoir un drama. Mais non, ce n’est pas non plus ce que cherche à faire Banished.
Écrite par Jimmy McGovern, Banished veut parler avant tout de choix moraux. Le décor particulier que la série s’est choisi est là pour distribuer aux personnages des rôles a priori simplistes, avec d’un côté les forçats (hommes et femmes), de l’autre les soldats, et avec à leur tête le Gouverneur. Chacun devrait tenir sa place dans la chaîne alimentaire, mais Banished insiste sur le fait que la condition d’une personne ne devrait pas prédéterminer son sort, ni la façon de rendre la Justice.
Ainsi nos trois amis ci-dessus sont des détenus, mais leurs intrigues personnelles vont poser de sérieuses questions morales au Gouverneur et ses adjoints. Tommy Barrett et Elizabeth Quinn sont profondément épris l’un de l’autre ; mais le règlement impose aux détenus de ne pas approcher les détenues, et certainement pas de dormir ensemble, ce qui est précisément le cas du couple au début de l’épisode. Comment les punir, sachant que la mort est le sentence pour la plupart des conduites ? James Freeman, leur ami, a quant à lui des soucis avec le maréchal-ferrand qui lui vole sa pitance ; déjà qu’il y a peu à manger, mais accomplir des travaux forcés sans rien dans le ventre est la mort assurée. Là encore, comment administrer une prison où les vols sont constants, mais difficiles à prouver ?
Dramatiquement, Banished a des héros classiques : le triangle formé par Tommy, Elizabeth et James passe par toutes sortes de clichés romanesques, de l’amour tragique à la romance impossible, avec tout ce que le milieu de la prison (et ses gardes à la moralité élastique) peut rajouter de terrible. Par-dessus le marché, les prisonnières sont perçues comme une commodité, un avantage laissé aux gardes pour les dédommager des conditions de vie désastreuses, et cela ajoute évidemment toutes sortes d’obstacles terribles.
Mais sans se contenter de raconter ces histoires, Banished interroge le Gouverneur, le pasteur, certains officiers, le spectateur enfin, sur le sentiment d’injustice constant. Pour la série, il ne s’agit pas tant de raconter la vie de ces hommes et ces femmes, mais surtout d’interroger sur la condition humaine. Sur cette nouvelle terre, loin de tout, toutes les lois doivent-elles être respectées ? Pour bagnards qu’ils soient, ces gens ne méritent-ils pas d’être traités en humains ? Pour cette raison, Banished peut sembler un peu bavarde dans sa façon d’aborder ces problématiques, le capitaine Phillip tenant conseil avec ses officiers, allant réfléchir en bord de mer, s’entretenant avec le pasteur ou la femme de celui-ci pour prendre une décision la plus juste possible, étant donné les circonstances. C’est parfois longuet, et ça nous dit finalement assez peu de choses de la colonie pénitentiaire… mais tellement de la colonie telle qu’elle est en train d’être fondée sans que personne n’y prenne garde. Tous sont arrivés là de façon temporaire, pour servir une peine ou pour surveiller les prisonniers, mais au terme de ce pilote seront quand même apparus les premiers citoyens australiens, l’air de rien.
C’est portée par un élan et un traitement bien spécifiques que Banished s’attèle à la tâche de nous raconter comment l’Australie, ou plutôt l’esprit de l’Australie, a vu le jour. Ce n’est peut-être pas aussi impressionnant que certaines autres fictions historiques autrement plus léchées à première vue, mais sur le fond, c’est une absolue réussite.
et il y a les grandes oreilles charmantes de Russell Tovey! 😉