De toutes les professions qu’on peut trouver à la télévision, et elles sont nombreuses même si elles nous semblent parfois être composées à 90% de membres des forces de l’ordre, il faut reconnaître qu’il y en a quelques unes qu’on s’attend assez peu à trouver à l’écran. Les physiothérapeutes en font partie, mais Frágiles relève le défi !
Cette série espagnole (qu’ABC a un temps envisagé d’adapter sous le titre Fragile… en changeant tout, heureusement qu’elle est ravisée) n’était pas forcément, je vous l’avoue, en haut de ma liste en matière de découvertes, mais elle s’y trouvait quand même ; l’occasion fait le larron, et je voulais tester le contournement les limites géographiques de DramaFever, qui justement propose la première saison sur son site. Voici donc une petite review du pilote…
Pablo est donc physiothérapeute, mais ce n’est pas son plus grand talent : c’est aussi voire avant tout un homme chaleureux et plein d’humour, qui se targue d’être très proche de ses patients. Et quand on touche les gens pour les soigner, c’est quand même primordial.
Le premier épisode se charge donc de nous dépeindre les différents cas que rencontre Pablo, tous, pour la première fois. Il va donc prendre en charge : une femme mariée qui après un accident a perdu l’usage de ses jambes, une jeune bibliothécaire souffrant du syndrome d’Asperger qui s’est bloqué le cou en voulant éviter tout contact avec quelqu’un, et un adolescent tire-au-flanc qui jure ses grands dieux à ses parents qu’une douleur à la main l’empêche d’étudier en classe (not pictured). En outre Pablo a aussi une vie privée complexe puisque, comme on l’apprendra dans la scène d’ouverture du pilote, il a trompé sa femme avec la sœur de celle-ci, et le pot-aux-roses a été découvert ; la belle-sœur fait toujours partie de la vie de Pablo et elle aura même droit à un massage dans cet épisode, parce qu’elle a mal au dos. Soit.
Mais ce qui est vraiment intéressant, c’est que Frágiles fait un choix narratif plutôt osé pour présenter toutes ces intrigues : la série décide de totalement se désintéresser du concept-même de chronologie ! Ainsi l’épisode montre Pablo prendre en charge ces cas (sauf sa belle-sœur) pour la première fois, mais rien n’indique que tous se déroulent le même jour. Et en tous cas, ils ne se déroulent pas du tout dans l’ordre chronologique. Ainsi une scène avec un patient A peut-elle être suivie par une scène avec un patient B, puis une interaction avec la belle-sœur, pour finalement revenir au patient A qui était toujours avec Pablo à son cabinet. C’est totalement décousu ! MAIS, et c’est sûrement le plus important, cela permet à l’épisode de n’avoir aucun temps mort, et de suivre toutes les intrigues en parallèle même si, en réalité, certaines se résolvent sur plusieurs jours.
En gros, cet épisode introductif de Frágiles a pour but de donner l’impression de suivre une journée-type de Pablo (il rentre chez lui, épuisé, à la fin de l’épisode, comme s’il avait vraiment accompli tout en moins de 24 heures), alors que la plupart des intrigues nécessitent plusieurs visites avec Pablo, et donc sûrement plusieurs jours.
Je vous rassure, à expliquer là, à froid, sur le papier, c’est pas super clair, mais devant l’épisode ça passe crème. En dépit de son indifférence totale pour la chronologie, le pilote de Frágiles est accessible et fluide.
Cela est également dû à une autre propriété de la série. Pablo étant un type très sympathique et aimant plaisanter en permanence, Frágiles est bourrée de conversations légères et rythmées qui, même quand en apparence il ne se passe pas grand’chose (le cabinet d’un physiothérapeute, c’est loin d’être 24…), eh bien on suit quand même avec plaisir. En cela, Frágiles est quand même plus un drama, voire une dramédie, qu’une série médicale.
En fait, Frágiles matérialise une qualité encore bien rare à la télévision française (je vous en parlais encore il y a peu) : les dialogues sont incroyablement vivants. C’est dû en grande partie à l’interprétation, parce qu’un membre de la distribution, celui qui joue l’ado, n’est pas aussi bon que les autres, mais cela relève aussi, clairement, de la direction d’acteurs et des choix de réalisation. Des acteurs qui s’autorisent à bafouiller, et qu’on autorise à bafouiller, dans certaines conversations ; des personnages qui s’animent et non pas simplement des acteurs qui débitent leur texte ; des interjections, des onomatopées ; donner et se donner la liberté de répéter certaines lignes de dialogue, et au diable l’aspect littéraire de l’écriture, parce que dans un moment d’émotion cela a du sens ; tous ces petits détails qui habitent les scènes… C’est d’autant plus vital pour Frágiles que la série repose sur la bonhommie de son héros, et sur la construction de sa relation avec ses patients. Il faut bien qu’il crée un lien humain avec le spectateur pour expliquer comment il peut devenir leur confident, les respecter dans sa pratique, les écouter et prendre en compte les facteurs non-physiques de leur état. C’est primordial en général, et en particulier.
C’est ce qui donne, en fait, du cœur à ce premier épisode. Sans la vie qui anime les dialogues, sans les plaisanteries plus ou moins réussies de Pablo (et il s’en amuse lui-même quand ses patients ne relèvent pas ses blagues, ce qui est au moins aussi important que la façon d’écrire ces blagues dans lesdits dialogues !), sans le travail sur le réalisme de ces échanges, Frágiles ne serait qu’une série où un physiothérapeute génial vient masser des gens et résoudre leurs problèmes personnels dans même mouvement. Ce serait, en fait, une série très moyenne, si elle n’était pas aussi animée et vivante, soyons honnêtes. D’ailleurs, au début et à la fin de l’épisode, quand elle tente d’utiliser une voix-off (très brièvement, mais elle tente quand même), elle se vautre totalement, parce que cela lui donne un air de drama feelgood sans intérêt.
En fait, ce qui plaît dans Frágiles est certainement ce qui la rend totalement impossible à adapter. Et c’est peut-être pour cela qu’ABC voulait tout changer (Fragile devait mettre en scène un chirurgie qui après une expérience de mort imminente, décide de raccrocher le scalpel et faire un métier de soin qui lui permette d’être proche de ses patients, bonjour le cliché, et bonjour le détournement total du twist de fin de pilote). Et c’est sûrement pour cela que la série n’a finalement pas abouti. Ouf !