En ce moment, CBC est vraiment en feu. Entre Strange Empire, la co-production The Book of Negroes, et maintenant X Company, la chaîne publique canadienne vit une plutôt bonne saison (oui, j’omets volontairement de me rappeler de Schitt’s Creek).
X Company fait partie de ces séries qui ont senti l’ère de la série d’espionnage arriver, et qui ont décidé d’en profiter pour faire leur truc dans leur coin. Car s’il y est question d’espionnage, sans aucun doute possible, X Company trouve également le moyen, parce qu’elle démarre en 1942, d’être aussi une série de guerre.
Ses héros, formés dans le Camp X (qui a réellement existé et qui était, d’ailleurs, le titre de développement de la série), se présentent à nous alors qu’ils sont en plein cœur d’une mission « de terrain » avec de lourds enjeux, par opposition à une mission d’intelligence pure qui consisterait à trouver un microfilm ou un truc du genre. Et dans le panorama du moment, c’est quand même plutôt nouveau, alors que beaucoup de séries d’espionnage actuellement mettent l’accent sur le mensonge, le secret, et l’identité double voire triple. Pensez The Americans ; pensez Ta Gordin/SPY/Allegiance ; pensez, sur le papier au moins, au Bureau des Légendes (le plus proche actuellement serait peut-être Marvel’s Agent Carter, et encore).
Cela peut, naturellement, évoluer au cours de la série, et les missions de la compagnie ne ressembleront sûrement pas toutes à la première, mais on est en tous cas introduits dans un univers d’espionnage où le ressenti est différent.
C’est LA belle originalité de ce premier épisode : créer un contexte où l’espionnage devient une pratique paramilitaire, et dont le glamour est totalement absent. Au point que l’équipe de X Company, bien qu’ayant déjà un peu d’expérience, va trembler de trouille pendant le développement de la mission, commettant parfois même des erreurs uniquement dues à l’émotion et l’angoisse. Ces erreurs peuvent être coûteuses, et transformer le résultat de la mission ; et même si dans une certaine mesure, l’objectif donné aux protagonistes dans ce premier épisode est rempli, on n’a pas l’impression qu’ils sont infaillibles, et qu’ils se sortiront vainqueurs de tout. Le sentiment est plutôt rare à la télévision de ne pas être certain que les scénaristes vont leur sauver la mise.
Les espions de X Company sont plutôt bons, et ils ont des qualités, mais ils ne nous sont pas présentés comme des surhommes et femmes qui ont toujours la bonne idée, le bon réflexe, le bon geste. Ici on a affaire à des humains, très vulnérables même s’ils sont entraînés, qui vont parfois trembler, bégayer, hésiter, et ainsi de suite.
Un traitement qui fait une sacrée différence, donc. Et qui est totalement assumé : lorsque le chef de la compagnie, Sinclair (incarné par Hugh Dillon qui après Durham County et Flashpoint, est en train de devenir un trésor national de la télévision canadienne), présente à une nouvelle recrue les éléments qui forment l’équipe qu’il va rejoindre, c’est en soulignant à quel point ces personnes étaient plus ou moins quelconques. « Noone is born knowing what they can do » (personne ne naît en sachant de quoi on est capable) est le crédo de la série. C’est parce que l’opportunité est là, mieux : parce que l’impérative nécessité est là, qu’il faut se lever et faire de son mieux, tout humain désespérément faillible que l’on soit. C’est le genre de chose qui me parle.
Dans ce contexte, les capacités de chacun sont donc importantes, parce qu’elles présentent autant de qualités que de défauts. Sinclair recrute, dans ce premier épisode, un nouveau venu, qui est synesthésique : c’est un avantage sur bien des plans, mais c’est aussi un handicap dans la mesure où l’assaut permanent des sens a un rôle non-négligeable sur l’équilibre mental. Les démonstrations de ces capacités, ainsi que de la mémoire du protagoniste en question, sont un peu classiques dans un panorama télévisuel où on a déjà rencontre 712 enquêteurs surdoués et avec des capacités mentales « hors du commun », mais au contraire, en rappelant régulièrement le fardeau que cela entraîne, X Company parvient à dire quelque chose quand même.
X Company s’offre même le loisir d’éviter le piège du syndrome « revers de la médaille » en insistant sur les contradictions internes du personnage, partagé entre sens du devoir, peur de le remplir, conscience de ses capacités et lucidité sur les inconvénients. Je vous accorde que la ligne à ne pas franchir est fine, mais pour le moment, X Company trouve un équilibre.
Malgré tout, l’épisode laisse toutefois assez peu de place aux personnages. Ça peut sembler paradoxal.
En fait, leur background est peu étayé hors des quelques faits énoncés par Sinclair dans leur présentation, leur personnalité est un peu lisse pour le moment, on est par contre plus au fait de leurs capacités (qui parle plusieurs langues, qui est l’ingénieur du groupe, etc.). Et vu que leur ressenti est souvent similaire pendant une même situation, à savoir la nervosité, la peur, et ainsi de suite, eh bien pour l’instant, les personnages ne se détachent pas spécialement les uns des autres. Ce sera, à n’en pas douter, de moins en moins un problème à mesure que la série se développera.
Oh bien-sûr, on a LA fille, incarnée par Évelyne Brochu (Orphan Black). Comme elle est la seule femme du groupe, toutes les autres femmes du Camp X étant dans des bureaux, elle a forcément un enjeu amoureux… Mais pour le moment on ne sait pas trop ce que ça va donner. (attention spoiler : le pilote de X Company introduit-il la version masculine de la damsel in distress ?! j’apprends d’ailleurs que ça s’appelle un « dudemar »)
En tous cas pour l’instant, ce premier épisode de X Company me convient plutôt bien (j’aime la plupart des fictions de guerre en général ; ça aide). 50% des recrues du Camp X ne reviennent pas des opérations lancées, nous dit-on. Et en imposant un vrai contexte de danger, et de danger ressenti qui plus est, en rappelant que la mort est potentiellement partout, en faisant de ses protagonistes des personnes éminemment imparfaites, la série trouve un ton juste.
Elle introduit aussi de véritables questions autour de la guerre elle-même, comme dans ce pilote avec un personnage allemand secondaire, qui peuvent former un thème de fond intéressant s’il est développé. Le moment venu, quel soldat et/ou quel espion serez-vous ?
Merci pour cette découverte, j’étais justement à la recherche de séries d’espionnage en attendant la fin de Marvel’s Agent Carter ! L’ambiance est évidemment bien plus grave ici, mais on est très vite happé par l’épisode, même si le syndrome de « LA fille » que tu mentionne m’a un peu agacé ! Je regarderai sûrement la suite !