Du vécu

12 février 2015 à 12:00

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Les spectateurs de la série du jour comptent définitivement parmi les plus âgés de la frange à laquelle nous nous intéressons cette semaine. J’ai évoqué Yizo Yizo par le passé : cette série essentiellement destinée aux adolescents les moins favorisés (elle se déroule dans un lycée au milieu du township de Daveyton) a été un phénomène pendant sa diffusion. C’est des caractéristiques de ce phénomène médiatique mais aussi éducatif et social, ainsi que de son histoire, dont j’ai pu vous parler.
Un article de contexte dont la lecture n’est pas impérative pour comprendre ce qui va suivre… mais forcément idéale !

Aujourd’hui, le point de vue va être radicalement différent. Car aujourd’hui, je vous propose une review du pilote lui-même. Quelle est la série pour ados la plus importante de l’histoire de la télévision sud-africaine ? Yizo Yizo ; et voilà comment tout a commencé…

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Dans Yizo Yizo, pas de place pour le fantastique, l’idéalisé, ou le chaleureux ; pas de place pour la métaphore non plus. On y parle des difficultés de l’adolescence dans un quartier difficile sans chercher à atténuer le choc de la réalité. Comme son titre l’indique (c’est de l’argot qui signifie « c’est comme ça » ; Yizo Yizo est aussi la première série à avoir introduit le parler de la rue dans une série sud-africaine), la série veut essayer d’être la plus terre-à-terre possible sur ce que peut vivre son public-cible. C’est son contrat de départ.
Et pour symboliser ce dur retour à la vie de tous les jours, Yizo Yizo commence à la mi-janvier, alors que démarre le premier jour de cours ; les trimestres scolaires sud-africains suivant en effet le calendrier civil.

Ce n’est évidemment une bonne nouvelle pour personne à Daveyton, à bien des égards. D’abord et évidemment, parce qu’aucun adolescent n’est ravi de retourner en classe, mais aussi et ce n’est pas un détail, parce qu’étudier coûte de l’argent. Entre le coût des livres, les frais d’inscription, et potentiellement le prix de l’uniforme (le port de l’uniforme étant obligatoire, comme dans tout établissement scolaire d’Afrique du Sud), apprendre a un prix, ce qu’illustre assez bien ce premier épisode dans lequel ces problématiques vont être évoquées de façon plus ou moins appuyée par différents personnages. Qui plus est, il semblerait que l’achat de livres soit obligatoire préalablement à l’inscription, malgré les combines et les prêts que tentent les élèves entre eux pour économiser quelques rands. Rien à faire : l’accès à l’école est onéreux.
Pourtant Supatsela High School n’est franchement pas un établissement de haute volée, ne serait-ce que de par sa situation géographique dans un township ; et pour mieux nous le prouver, la série s’ouvre sur un aperçu de tags tous frais qui ornent les murs du lycée, ajoutés pendant la nuit par un groupe d’élèves et découverts au petit matin par le responsable de l’entretien et le proviseur. Cela décrit, aussi, la spirale dans laquelle l’établissement peut rapidement s’enfoncer : moins le lycée paie de mine, plus ses élèves sont enclins à le délabrer.

Très conscient de ce fait, le proviseur M. Mthembu tente de mener le lycée d’une poigne de fer, et avec une devise : « vêtements formel, propreté et discipline ». Il insiste sur les deux premiers points grâce au dernier, directement aidé par une trique qu’il utilise sur les élèves… bien qu’officiellement les châtiments corporels soient proscrits. La simple vue de cet engin de torture, ou le fait de le sentir pointé dans leur dos quand ils sont surpris par leur proviseur, suffit aux élèves à craindre M. Mthembu ; c’est palpable pendant ses très rares scènes d’interaction avec eux. Après tout, il l’énonce clairement à ses professeurs : les élèves « doivent apprendre à obéir sans réfléchir ». Un bel objectif pédagogique ! Mais dans la peau d’un administrateur qui ressent la vie de son lycée comme un état de siège permanent, pas franchement étonnant.
Outre ses propres étudiants à tenir en respect (assez littéralement, donc), M. Mthembu doit également repousser les personnes de l’extérieur qui tenteraient de s’introduire dans l’établissement ; c’est le cas de la graine de gang qui a quitté son établissement et qui ne peut s’empêcher de venir y parader, musique à fond les ballons, dans une voiture venant se garer au beau milieu de la cour. Repoussant ces « attaques », qui ne sont ni plus ni moins qu’un marquage de territoire, le proviseur doit seul faire la police à l’intérieur de ses murs.

Yizo Yizo ne dépeint pas, en soi, une situation sortant de l’ordinaire : nous avons tous entendu, lu et/ou vécu des témoignages similaires sur la vie dans un lycée, a fortiori dans une communauté défavorisée. Son but n’est évidemment pas de donner dans l’extraordinaire ou l’extrême, mais bien de prendre des situations expérimentées par tous, et, par la force de la fiction, de les faire toutes se produire, en même temps, dans un même lieu. C’est plus une expérience de pensée ; il s’agit de recréer dans un microcosme tout ce qui peut être du vécu, et d’extrapoler les résultats par la force de la fiction.

Cela se traduit par l’évocation de plein d’autres sujets encore : le mélange des langages au sein de l’école, le harcèlement scolaire (un certain Papa Action est un véritable tortionnaire en herbe), le trafic de drogues (et autres produits plus ou moins légaux), les avenirs avec plus ou moins de débouchés (généralement moins), le retour en classe d’élèves très âgés (un jeune homme de 23 ans tente de trouver une place en cours dans le pilote), différences de classes dans le corps enseignant (et donc leurs valeurs), et ainsi de suite.
En-dehors de quelques spécificités sud-africaines, finalement assez cosmétiques (les uniformes, par exemple), le quotidien de Supatsela High School pourrait très bien avoir lieu près de chez nous. Yizo Yizo atteint une certaine universalité avec les thèmes qu’elle aborde, ce qui est d’autant plus épatant vu que sa mission première est au contraire de s’adresser spécifiquement à un public qui n’a jamais eu de fictions dédiées jusque là : les jeunes noirs des townships.

Et ces élèves alors, quelle place ont-ils dans tout cela ? Le pilote de Yizo Yizo, parce qu’évidemment il doit faire de la place à sa mission d’exposition, est finalement très retenu quand il s’agit de mettre en place des personnages. Plus intéressé par ses thèmes que par ses héros, l’épisode nous introduit assez peu les protagonistes et leur background ; hors un petit groupe de jeunes garçons, et une poignée de jeunes filles, cet épisode inaugural passez assez peu de temps à faire les présentations, et moins encore à étudier les acteurs de la tragédie qu’il veut jouer. C’est essentiellement via le non-dit et/ou dans des scènes très brèves que se jouent les introductions : le prof qui est patient, la nouvelle prof toute fraîche sortie de la fac, la fille qui se fait siffler par les garçons pour son premier jour dans un nouvel établissement, l’élève âgé qui veut juste étudier en paix… la plupart ne sont pas nommés, ou vraiment en passant. Ce qui compte, c’est le rôle qu’ils jouent dans les dynamiques de l’établissement, pas franchement le reste. Le reste, ce sera peut-être pour plus tard, ou peut-être même pas, dans le fond ce n’est pas si important. L’important, c’est ce que chacun peut contribuer à la vie du lycée, ce que chacun en retire ; en cela Yizo Yizo n’a pas beaucoup en commun avec Skins, par exemple, bien que leur mission essentielle d’authenticité soit à peu près la même. En gommant ainsi, autant que faire se peut sans virer à la caricature, l’identité de ses héros, Yizo Yizo s’assure une vision d’ensemble, tout en permettant à chaque spectateur de se trouver un avatar dans la série sans trop de peine.

Savoir que la violence va être de plus en plus difficile à contenir (parce que la fin du pilote l’annonce, parce que le générique est assez explicite à ce sujet… et parce que je me suis spoilée en vous écrivant l’article précédent sur Yizo Yizo !) change probablement mon point de vue sur ce premier épisode, cependant. Il est probable que je n’aurais pas forcément relevé l’intégralité des moments de flottement, l’impression d’étau qui se resserre, le sentiment de désespoir qui se dessine derrière les rires dans la cour de récré. Ce que Yizo Yizo met en place ici peut devenir très violent, mais ce n’est pas nécessairement palpable d’entrée de jeu ; et pourtant, on sent se dessiner, au bout de ce premier épisode, quelque chose d’aussi étouffant que dans un Klass – Elu Pärast ou un Shkola, quelque chose qui dit qu’il n’en faudrait pas tant pour que tout dérape…
On est alors tenté de se cacher les yeux avec les mains : « oh non, je ne veux pas voir ça ! »… tout en écarquillant les doigts. Mais le public-cible de Yizo Yizo ne peut pas éviter de regarder cette réalité dans le blanc de l’œil. Quinze ans après le début de sa diffusion, Yizo Yizo sonne toujours terriblement vrai et nous rappelle qu’une série pour adolescents a aussi pour vocation de prendre le quotidien à bras-le-corps, et que l’escapisme ne fait pas tout.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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