Petite pause dans notre programme jeunesse de la semaine, pour vous dire en substance qu’il faut avoir regardé Virage nord sur arte ce soir. C’est bien simple : il faut. Ou au moins, rattrapez dans les 48 prochaines heures. C’est bien simple, si vous ne le faites pas je vais me fâcher toute rouge. Et si je vous recommande une série française, hein, c’est que… bon. On se comprend. Je vous fais pas un dessein, hein, le tag de la France parle de lui-même.
Mais il faut dire que Virage nord est réussie, dans son genre. Et ça fait, nécessairement, une énorme différence.
C’est une série avec une enquête, certes, mais c’est surtout le cœur d’une série dramatique qui bat sous la chair de poulet. Comme pour un nombre grandissant de séries et mini-séries du genre, en particulier hors des USA (sauf évidemment lorsqu’ils se piquent d’en faire des remakes), l’idée est d’utiliser l’enquête pour dévoiler des souffrances et des conflits, même si l’enquête n’a finalement qu’un rapport lointain, et uniquement de circonstance. Les Top of the Lake, Broadchurch, Secrets & Lies, pour n’en nommer qu’une poignée, sont précisément de cet ordre. Alors bien-sûr c’est une formule un peu bâtarde, au sens où on aimerait qu’une série se contente d’aborder les sujets dramatiques qui lui tiennent à cœur, sans se réfugier derrière une intrigue policière. Mais on est en 2015 et that ship has sailed depuis une quinzaine d’années, donc bon. Et dans le fond, si une série française s’acoquine avec les fictions anglophones que je viens de citer, eh bien ma foi on n’est pas non plus à plaindre et on pourrait faire pire. Dieu sait que ça s’est déjà produit plus souvent qu’à son tour. Alors si Virage nord veut absolument se dérouler dans un commissariat pour s’autoriser à parler du reste, eh bien soit.
Virage nord commence donc avec un match de foot, embraye rapidement sur un meurtre, et à partir de là tout s’emballe… et j’ai envie de dire tant mieux, on n’a que trois épisodes après tout.
Et puisqu’on est sur le sujet, je vous rassure tout de suite parce que c’était également l’un de mes soucis : le foot, vraiment, ça passe. Je ne suis pas du tout adepte du ballon rond, mais je n’ai pas trop eu à m’en souvenir puisque l’intrigue s’intéresse finalement assez peu au sport lui-même (hors les premières images de la série, d’ailleurs réussie), pas énormément au phénomène qui l’entoure, et beaucoup plus à des choses finalement très universelles. Plus la série avance et moins il importe vraiment qu’il s’agisse de foot. C’est du foot comme ça pourrait être autre chose ; mais qu’il s’agisse de foot permet d’aborder certains sujets plus facilement, notamment une fois mis en corrélation avec la situation géographique de la série. Bon, euh, c’était clair dans mon esprit, en tous cas.
Bref Virage nord se donne énormément de mal pour atteindre quelque chose de plus profond que la découverte d’un meurtrier, et ça, je n’y peux rien, ça me permet d’accrocher encore à quelques séries policières.
A cela faut-il ajouter que son personnage central est extrêmement sympathique. Pas sympathique dans le sens où on a envie de lui donner des tapes dans le dos, mais je crois que c’est le meilleur personnage féminin que j’aie vu dans une série française depuis longtemps. L’interprétation y est certes pour beaucoup, mais les dialogues sont aussi très bons, avec quelques saillies de temps à autres qui, en plein milieu d’une scène sombre et sobre, me font tout d’un coup m’esclaffer ou encourager l’héroïne comme une cheerleader de salon. Le lien avec le personnage est fort, d’autant plus qu’il ne fait l’objet d’aucune insistance lourde, son background nous étant délivré au compte-goutte, ses mots étant plutôt rares et peu sujets aux révélations, c’est vraiment à l’usage qu’on se fait à cette femme un peu dure, mais volontaire. Pas irréprochable, mais pas énervante au point de faire exprès de ralentir l’enquête pour que le spectateur ait le temps de suivre. Bref, un personnage plutôt idéal pour ce type de fiction !
Et puis il y a tout le reste autour. La réalisation, froide, filtrée, mesurée, parfois contemplative mais jamais à l’excès. Quelques bonnes idées de réalisation (qui aurait cru qu’il existait encore des façons de présenter un flashback de façon subtile et élégante ? Après la décennie et demie qu’on vient de passer, pas moi. Et pourtant…), des dialogues écrits assez intelligemment, sans surcharge, sans effets de manche, sans surenchère. Rien que la personne qui a déniché ce commissariat au milieu de nulle part a déjà accompli beaucoup, l’ambiance joue tellement… Et puis pour ne rien gâcher, un cast qui se donne du mal pour essayer de rester aussi authentique que possible, évitant quasiment toujours l’hystérie, le surjeu, la diction trop hachée…
Autant le dire, dans Virage nord, quelque chose comme 90% des torts que j’adresse à la fiction télévisée française sont évitées avec aisance. Ça fait un bien de folie.
Je ne sais pas si j’aurais regardé Virage nord plus que ses 3 épisodes et ses (déjà bien nombreuses) fausses pistes. Et il ne s’agirait pas non plus d’essayer de répliquer ces recettes dans une saison deux (regard en biais vers Broadchurch), j’aime autant le dire clairement : je ne suivrais pas si je venais à apprendre qu’il y a une « suite ». Mais il est certain que lorsque je vois des dramas comme celui-là, s’attelant à des questions personnelles et sociales avec doigté, je reprends un peu foi. Un peu. Pendant trois heures. Mais c’est trois heures que le fatalisme sur la fiction française n’aura pas !
…Ahaha, bonne chance pour passer derrière, Malaterra.