Harriet a 14 ans, et beaucoup de tempérament… ce qui ne passe pas toujours très bien, alors qu’elle est supposée se conduire comme une jeune fille. Ne se laissant jamais démonter par l’adversité, elle est parfois victime de son tempérament impétueux.
C’est précisément la raison pour laquelle elle est renvoyée des Girl Guides, ce groupe équivalent aux Boy Scouts, après avoir frappé Jimmy, un garçon qui tentait de la tourmenter pendant une partie de capture de drapeau. Ah ça non, Harriet n’est pas du genre à se laisser faire !
Hélas pour elle, on est en août 1914 et l’insouciance des petites bagarres commence déjà à s’éloigner. La guerre vient d’être déclarée et Harriet assiste, impuissante, aux changements qui commencent à avoir lieu dans son petit village. Les jeunes hommes et les adolescents s’enrôlent pour partir combattre, les hommes plus âgés couvrent les emplois nécessaires ; alors, bientôt, le rôle de la surveillance et de la sécurité échoit aux Guides et Scouts eux-mêmes. C’est le cas du grand frère de Harriet, Edward, qui est investi de responsabilités nouvelles.
Dans l’ambiance changeante du village, Harriet découvre que la paranoïa a tôt fait de devenir contagieuse ; l’ennemi, ce sont les Allemands, mais tout le monde est prêt à voir des ennemis partout. Il pourrait y avoir des espions ! Et du coup, tout le monde voit des espions partout.
Et il n’y a pas besoin de chercher très loin, car il y a quelques mois à peine, la famille Brown a emménagé dans le coin, et qu’on lui a découvert des liens avec l’ennemi : leur fille aînée est mariée à un Allemand. Malgré les protestations et les explications, les Brown ne parviennent pas à éteindre l’animosité de leur entourage. Après les avoir un temps soupçonnés, Harriet décide qu’ils n’ont pas mérité pareil traitement, et décide de les aider. Elle a pour cela un avantage majeur : elle a créé sa propre petite armée !
Harriet’s Army est une mini-série en trois épisodes qui s’attache à ne pas tenter de simplifier tout en tâchant de rester accessible à son jeune public (la série a été diffusée l’an dernier par CBBC). Le défi ? Rendre les aventures de Harriet fascinantes comme un bon vieux mystère du Club des 5 n’est pas très difficile quand on parle d’espions, mais la série se refuse à s’extirper du contexte difficile qu’elle s’est choisi pour rendre les intrigues inoffensives. Bien au contraire.
Ainsi la meilleure amie de Harriet, la douce Violet, voit son frère s’engager dans l’armée et partir au loin dans le premier épisode. Le deuxième évoque le bateau de ravitaillement en partance pour la France, qui rencontre un sous-marin allemand. Personne à bord n’en réchappe, y compris le père de Jimmy. Et puis, les lettres commencent à arriver aux familles de soldats…
Dans ce contexte, il ne s’agit pas pour Harriet de jouer à la guerre, même si parfois elle ne se rend pas forcément compte des implications de ses actions. Il s’agit d’essayer de faire des choses qu’elle ressent comme nécessaire dans un univers qui lui échappe, qui a basculé sous ses yeux, qui vit dans une réalité différente. Plus rien n’a de sens, et c’est la raison pour laquelle Harriet s’improvise cheffe de guerre.
Derrière le portrait qu’elle fait d’une jeune adolescente vivant une époque difficile, Harriet’s Army raconte aussi une réalité que personnellement j’ignorais sur le rôle des Scouts et des Guides pendant la Première Guerre mondiale (plus de détails sur leurs attributions en temps de guerre peuvent par exemple être lus ici). Leur réquisition fonctionne dans le cadre de la narration de Harriet’s Army, et permet à la jeune fille de ne pas s’opposer à des adultes et à trop courir de risques dans ses aventures… mais elle dit aussi clairement que des milliers d’enfants sont devenus, littéralement du jour au lendemain, des petits militaires. Ce qui ne manque pas de faire froid dans le dos.
La série ne rechigne pas à aborder ces questions, estimant que son jeune public peut recevoir ces informations. Les trois épisodes de Harriet’s Army trouvent, plutôt facilement d’ailleurs, un bon équilibre. Il y a certes, d’une part, un discours un peu effrayant sur la guerre telle que vécue à la maison (mais aussi au front, de façon indirecte), mais on ne perd pas de vue l’objet des péripéties de Harriet, et de son mystère autour des fameux espions allemands. Tout cela sans sombrer, en tous cas pas trop longtemps, dans le tragique ; grâce au tempérament de l’héroïne, pleine d’énergie et de volonté, il est possible de garder un rythme enlevé et de ne pas céder à la terreur, à défaut de préserver l’insouciance. Et bien-sûr, même si les choses décrites sont parfois inquiétantes, les personnages qui évoluent à l’écran connaissent une résolution heureuse, quand bien même en toile de fond, le village vit des instants sombres ; la série s’achève en mai 1915 sur une note positive, malgré tout.
Harriet’s Army fait le pari, pendant une année que la télévision britannique a en grande partie dédiée à commémorer la Première Guerre mondiale, d’aborder sérieusement de nombreux sujets avec son jeune public (l’âge-cible de CBBC est environ les 6-12 ans). Tout cela sans les prendre de haut, sans chercher à embellir les choses ou ignorer les éléments les plus sensibles, mais en leur offrant tout de même un divertissement. La série remplit sa mission de service public et bien plus.
Avec ses scènes parfois très touchantes, son concept historique méconnu et son intrigue filée sur ses 3 épisodes, voilà une fiction qui a de quoi intéresser tout un chacun. Personne ne regarde Harriet’s Army en se disant que c’est mignon, ou charmant, ou tout qualificatif dont on a un peu facilement tendance à affubler une série pour la jeunesse. Harriet’s Army est avant tout une série historique, tout simplement.