Poids plume

3 février 2015 à 22:27

Il y a une certaine ironie à ouvrir une page vierge et tenter d’écrire sur Ghost Writer.

A essayer d’exprimer des idées, si possible de façon pas trop médiocre ; d’essayer de faire honneur aux personnages et à l’histoire tels que perçus. Écrire une review, ce n’est pas grand’chose, et pourtant ce n’est pas anodin. On sait qu’on n’est pas en train de guérir le cancer, mais ce qu’on fait, pour négligeable que ce soit, devrait être bien fait. Une bonne review, c’est quoi, en définitive ? Du point de vue de la personne qui l’écrit, et potentiellement de celle qui la lit, c’est avant tout un texte fluide qui permette de transmettre des impressions sur la série, la saison, l’épisode ; ici le pilote. Il s’agit d’essayer de faire passer le message sur ce qui a été vu, comment et pourquoi ; sur ce qui est inspirant dans les images qui ont défilé, ou qui ne l’est peut-être pas, aussi. La meilleure des reviews donne envie au lecteur de voir, à son tour, la série, la saison, l’épisode ; ici, rien que le pilote serait déjà un miracle étant donné que Ghost Writer est une série japonaise, donc confidentielle, hélas.
Il n’est hélas pas possible d’écrire à chaque fois un texte d’une telle portée ; qu’il soit déjà lu et apprécié est déjà énorme, et loin d’être systématique. Il existe tout une suite de procédés pour écrire, jour après jour, semaine après semaine, de nouvelles reviews. Les dizaines de brouillons, plus ou moins laissés en suspens, ces derniers mois, en témoignent : parfois quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Et quand ça veut, ça ne veut pas sans y être poussé un peu. Il faut mettre en place tout un système de questions à se poser sur la façon de les écrire, leur ton, leur rythme, leur niveau de détail, leur longueur même.
Et ce ne sont pourtant que des reviews ! Des mots sur la fiction, et non de la fiction. Chaque stratagème déployé pour essayer d’être, à peu près, lisible et intéressant, n’est rien comparé aux efforts qu’il faut produire pour écrire de la fiction. Parfois je me surprends à me plonger dans toute une gamme d’autres ruses encore, pour réussir à écrire quelques lignes de fiction ; incidemment cela s’est produit ces dernières semaines.
Parfois, il semble que ma vie dépend de tous ces mots couchés laborieusement, et que si je ne procède pas à leur domptage, je n’existe pas vraiment. Mais fort heureusement (et bien que ce soit, aussi, une blessure), ma vie n’en dépend pas littéralement.

C’est bien différent pour Risa Tonou. Auteure à succès, elle fait partie des quelques écrivains japonais emblématiques de sa génération. Ses romans sont systématiquement des best sellers et elle a construit sa vie, ainsi que sa fortune, sur eux. C’est ce qui lui permet non seulement de posséder deux fantastiques demeures, mais aussi de donner la meilleure éducation possible à son fils de 16 ans, issu d’un précédent mariage, ou d’offrir les meilleurs soins à sa mère âgée et souffrant d’Alzheimer.
Le problème c’est que justement, la vie de Risa Tonou dépend entièrement de ses mots. Et que, depuis la publication de son dernier ouvrage, « ever fresh« , elle a toutes les peines du monde à produire la moindre phrase. Pire encore, ledit roman est l’objet de vives critiques, Tonou semblant avoir perdu l’énergie qui faisait d’elle un monstre sacré de la littérature nippone contemporaine. Elle doit désormais s’atteler à la rédaction du suivant, mais elle ne parvient pas à produire le moindre mot. Risa Tonou est à la torture alors qu’elle craint d’être finie. Ses ennuis ne font hélas que commencer.

Lorsqu’elle engage Yuki Kawahara à l’essai pour devenir sa nouvelle assistante, elle ignore à qui elle a affaire. La jeune femme, une provinciale ayant des velléités d’écriture et qui s’est donné un an pour vivre à Tokyo et tenter sa chance comme auteure, est en apparence réservée, voire même totalement négligeable. Mais elle a un véritable don. Elle a écrit plusieurs romans qui n’ont jamais été publiés, mais elle a réussi à montrer à l’éditeur de Risa Tonou son dernier en date ; c’est en fait comme cela qu’elle a eu vent de la place d’assistante. Et il s’avère que le roman est extraordinairement bon. Impubliable, parce que l’industrie de l’édition est telle que tout auteur non-bankable ne vaut pas le coup d’être publié sur un plan purement financier, mais le roman est bon.
Alors que Yuki commence à travailler pour Risa Tonou, son talent se fait progressivement remarquer. Et sa patronne est en si mauvais état qu’elle pourrait bien faire usage du talent de sa protégée…

Ghost Writer commence sur un fast forward, ce qui est certainement la meilleure des raisons pour se fâcher contre un pilote. Mais une fois passée cette première scène un rien caricaturale, la série s’ouvre sur un pilote diablement intelligent, nous proposant d’adopter les deux points de vue : celui de Risa comme de Yuki, celui de l’auteure célèbre mais bloquée comme celui de l’inconnue au talent insoupçonné (y compris par elle-même).
En un peu moins d’une heure, ce premier épisode va aborder une foule de choses sur le monde de l’édition, mais aussi l’écriture en tant que procédé. Loin de se contenter de nous dire que Risa Tonou ressent l’angoisse de la page blanche, Ghost Writer nous montre comment évolue sa frustration, comment se vit la blessure de fierté de l’auteure, comment elle se compare à d’autres (y compris à sa propre assistante lorsqu’elle découvre le talent de celle-ci), comment elle craint pour son avenir. Ces angoisses jouent leur rôle dans le blocage lui-même, bien-sûr, et Ghost Writer ne rechigne pas à nous montrer toutes les nuances, à explorer les habitudes d’écriture et de création de Tonou, à travers des petites scènes de dialogues ou la contemplation silencieuse de la réflexion de la romancière.
Bien-sûr, on sent, on sait (ne serait-ce qu’à cause de la scène d’ouverture), que Ghost Writer va progressivement mettre en vis-à-vis Risa et Yuki ; que la protégée va devenir menace, que la jeune femme naïve va tenter de renverser son idole. On le sait parce que c’est le cliché du genre ; alors Ghost Writer s’accorde le temps d’aller plus loin, et de ne pas seulement interroger la dynamique naissante entre les deux femmes, mais bien d’explorer son sujet de fond en comble. C’est un peu comme si, dans Showgirls, on nous avait montré en détail pourquoi Cristal devient trop vieille pour la scène, et pourquoi Nomi est une meilleure danseuse qu’elle, au lieu de simplement le mentionner comme une évidence. J’avais promis une référence à Showgirls.

Ghost Writer parlera intimement à tous ceux qui, à quelque degré que ce soit y compris le plus négligeable, tentent d’écrire quelques mots. Pas forcément pour vivre. Au moins pour exister.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. akito dit :

    J’ai trouvé mon prochain drama. Itsumo arigatou, lady :))

  2. tortuesolaire dit :

    Je l’avais repéré celui-là ! Je pensais que les sous-titres n’étaient pas encore sortis mais puisque le pilot à l’air dispo je vais me jeter dessus 🙂

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