Ce soir, BET lance la deuxième saison de Being Mary Jane, et il était grand temps que je dédie tout un article à cette série, dont je vous ai trop souvent parlé en passant. Mais parlé en bien !
L’occasion de son retour dans quelques heures est donc parfaite pour vous parler de l’une des plus belles séries de la télévision de 2014, et de vous dresser un bilan de la première saison. Hey, ne me regardez pas comme ça : il vaut mieux tard que jamais…
Mais d’abord, pour ceux qui n’y ont toujours pas jeté un oeil, laissez-moi récapituler : Mary Jane Paul, de son vrai nom Pauletta Patterson, est la journaliste et présentatrice d’une émission d’actualité intitulé Talk Back. C’est une femme de 38 ans, célibataire, qui a sa vie professionnelle bien en main, gagne très bien sa vie, est propriétaire d’une maison parfaite (hashtag jalousie), et a des amis fiables, dont l’une, Kara, est même sa productrice.
Malgré cela, la vie de MJ n’est pas si simple. D’abord parce que son métier lui pose toutes sortes de cas de conscience. Ensuite parce que, célibataire et sortant d’une longue relation avec son ex David, elle commence à voir le temps passer et à se demander où elle va. Elle voit depuis quelques semaines un homme du nom d’Andre, mais ignore où se dirige cette relation encore fraîche.
Enfin, et surtout, parce que ses parents, qui commencent à se faire âgés, ont eux-mêmes des soucis chez eux. Ils abritent en effet le frère aîné de Mary Jane, ainsi que sa compagne et ses trois filles…l’une ayant elle-même des enfants. Ils hébergent également le plus jeune frère de Mary Jane, qui fait encore ses études (il a fait la fac, puis la fac de droit, et maintenant il est en école d’architecture). Enfin, ils doivent gérer une maison bien remplie et les dépenses qui vont avec, alors que la matriarche est gravement malade. Or Mary Jane, toute indépendante qu’elle soit, se sent responsable pour tout ce petit monde, et navigue entre les différents membres de sa famille, apportant une réponse responsable à leurs problèmes qui lui semblent parfois dus à l’immaturité de ses frangins, ainsi qu’une aide financière. Cela fait beaucoup pour une seule personne.
Si sur le papier, la série peut sembler manquer d’enjeux, elle a pourtant la plus belle des missions : nous permettre de partager l’intimité de ce personnage, nous donner le privilège de vivre avec elle ses hauts et ses bas. C’est la série dramatique dans toute l’excellence du terme. Being Mary Jane est le portrait de cette femme dans chaque dimension de sa vie. Ses moments de grâce mais aussi ses moments les plus triviaux, les instants où elle devient une force de la nature et les instants où elle s’effondre, les jours où elle est une super-héroïne… et tous les autres jours, hélas bien plus nombreux.
Par le biais du nombre de personnages, de situations et de contextes qui jalonnent la vie de sa protagoniste centrale, Being Mary Jane s’autorise ainsi à parler de toutes sortes de choses. Des sujets à la fois universels, mais aussi, finalement, assez spécifiques. Les premiers mots à s’afficher au début du pilote nous avertissent :
« 42% des femmes noires n’ont jamais été mariées. Ceci est l’histoire d’une femme noire…
…qui n’est pas supposée représenter toutes les femmes noires.«
Being Mary Jane ne saurait parler de nulle autre que de Mary Jane, à l’évidence. Et elle en parle si bien ! Elle le fait avec un ton parfois pétillant, parfois glamour (certes pas autant que Single Ladies), parfois même, bien que rarement, humoristique. Mais elle aborde aussi des problèmes éminemment culturels ; elle discute, parfois juste en passant, parfois avec insistance, des thématiques autour des droits des femmes ou du racisme, et elle le fait avec un brio à vrai dire inégalé actuellement à la télévision.
Si Being Mary Jane avait été créée par Sorkin (pardon je me fais rire toute seule), personne ne douterait un instant de son intention de parler d’actualité et d’utiliser la fiction, et notamment la télévision dans la fiction, pour poser un regard sur la société et ses problématiques. Mais Being Mary Jane a été créée par Mara Brock Akil, connue « uniquement » pour avoir créé d’autres séries « black » comme Girlfriends ou The Game, alors on peut continuer d’ignorer le regard que la série pose sur des sujets pourtant d’importance (et promet de le faire plus encore en saison 2, où il sera apparemment question des tensions raciales dans l’Amérique post-Ferguson). Quelque chose que, quelques mois après elle, j’ai vu Survivor’s Remorse faire également, avec la même élégance et quasiment la même finesse.
Ainsi, lorsqu’en fin de saison, MJ découvre que l’un de ses amis, également journaliste, a truqué des preuves dans ses écrits sur les excès du système pénitentiaire, elle est partagée quant au traitement qu’elle doit en faire dans Talk Back. Oui, certains documents sont faux, mais les dénonciations du système sont vraies. Pire encore, après avoir invité (sur insistance de Kara) son ami à venir s’exprimer à l’antenne, elle reçoit de nouvelles preuves des petits arrangements avec la vérité du journaliste en question, via un témoignage irréfutable (il y a un enregistrement audio). Lorsque finalement son ami décide de ne pas venir dans Talk Back, Mary Jane interviewe donc, bien qu’à contre-cœur, la personne qui témoigne du trucage. En faisant cela, elle sait que les lois qui ont été passées suite aux écrits du journaliste peuvent être remises en question, alors qu’il s’agissait d’un véritable progrès. Outre le dilemme éthique, Mary Jane est, plus tard dans la soirée, accostée sèchement par un parfait inconnu, lors d’une soirée de gala pour un fonds distribuant des bourses pour des étudiants noirs.
Ce n’est pas simplement d’avoir épinglé le journaliste qui lui est alors reproché, mais d’avoir épinglé un journaliste noir, sur le mode « eux contre nous » : Mary Jane a fait le travail des blancs en saccageant le travail et la réputation d’un noir. Évidemment c’est plus complexe que ça, et nous le savons. Mais nous savons aussi que la critique ne sort pas de nulle part, et qu’il y a une vraie amertume derrière les accusations de cet homme envers Mary Jane. Toutes infondées qu’elles soient, elles soulèvent un problème éthiques derrière le problème éthique : Mary Jane, en tant que noire, aurait-elle dû passer la main, quitte à laisser la concurrence s’emparer du sujet ? Est-il pire que la critique d’un journaliste noire vienne d’une autre journaliste noire, ou d’une journaliste blanche ?
Sans s’appesantir sur le débat, car ce n’est pas le but (la scène au gala dure peut-être trois minutes maximum), Being Mary Jane lève le voile sur les nuances dans les nuances, qui rendent la vie de son héroïne forcément un peu plus compliquée qu’il n’y paraît.
La question raciale est en filigrane de beaucoup des intrigues familiales des Patterson.
Leur fils aîné était accro à la coke, et sort depuis deux ans seulement de son centre de désintoxication. Il vit aux crochets de ses parents avec sa compagne, alors qu’il a la quarantaine. Le fils cadet est quant à lui, en parallèle avec ses études, en train de dealer de l’herbe et mettre de l’argent de côté ; quelles que soient ses intentions finales (et on va découvrir qu’elles sont nobles), cela reste un énorme problème. Et il y a aussi le fait que Niecy, la jeune nièce de Mary Jane, soit enceinte, encore. Mary Jane le découvre dans le pilote et n’est pas au bout de ses surprises…
Toutes ces problématiques ne seraient que des intrigues personnelles comme tant d’autres, si Being Mary Jane ne se donnait pas la peine d’ajouter un commentaire, un poids, une dimension sociale à ces faits. L’un des épisodes (également une tirade de la série) se nomme « The Huxtables have fallen », ce qui est le plus fantastique, le plus extraordinairement fin commentaire sur la situation des Patterson. Autrefois famille aisée, désormais menacée par les problèmes d’argent, de décisions, d’excès ; les Patterson courent le risque de ne pas évoluer pour le mieux. Le retour en arrière, financièrement et donc socialement, serait une terrible sanction avec de très graves connotations. Le succès de Mary Jane, notamment financier et qu’elle est d’ailleurs si prompte à brandir lorsqu’elle intervient dans les affaires de sa famille, est plus une exception que la règle, et c’est terrifiant pour toute une génération d’Afro-Américains qui craignent de revenir en arrière à bien des égards. C’est cela aussi que dit Being Mary Jane en filigrane.
Enfin, même dans sa vie amoureuse, Mary Jane n’est pas qu’une femme, elle est résolument une femme noire. Cela se ressent dans les questions qu’elle se pose sur ses relations, sur la façon-même dont ses relations se passent, jusque dans son lit.
Comme beaucoup de femmes afro-américaines, Mary Jane est attachée à des valeurs chrétiennes, et notamment au mariage, qui est l’alpha et l’omega de sa vie personnelle, le but vers lequel elle tend. Mais se marier à tout prix, vraiment ? Avec l’âge qui avance et la situation amoureuse qui, elle, ne progresse guère, elle doit remettre en question ses schémas. Se marier, puis avoir des enfants ? Il semblait évident de faire les choses dans cet ordre… et pourtant, peut-être que non. Sa fixation envers le mariage va peut-être même la pousser à commettre des erreurs, en particulier lorsque Dre lui fait sa demande alors qu’ils ne se connaissent que depuis trois mois… et qu’elle vient de découvrir, attention au spoiler après la virgule, qu’il est marié.
Prise entre son attachement à ses valeurs, et ses désirs d’indépendance ; hésitant quant au chemin à prendre, sur l’homme avec lequel arpenter ce chemin ; essayant de jongler entre les responsabilités en tant que femme, journaliste, fille, sœur, amie, amante… qu’adviendra-t-il de Mary Jane ?
Being Mary Jane nous propose de marcher à ses côtés. De nous poser les questions avec elle, alors qu’elle tente de démêler les sujets qu’elle traite. De nous inspirer avec elle, au gré des post-its sur lesquels elle note des citations qui l’émeuvent ou la guident. De nous fâcher avec elle, contre les proches qui se reposent parfois un peu trop sur sa force et pompent un peu trop souvent de son énergie. De nous affaisser avec elle, quand c’est vraiment trop lourd à porter et qu’à la fin, ce serait juste chouette de n’être pas une grande fille indépendante. De nous amuser avec elle, lors d’une soirée entre copines où elle peut discuter franchement des choses de la vie. De trembler avec elle, rugir avec elle, soupirer avec elle, cuisiner avec elle, rire avec elle, cacher des sex toys avec elle, voler du sperme avec elle… et pourquoi pas ?
Mary Jane n’a rien à cacher. C’est un magnifique personnage de télévision, pris dans ses contradictions, ses excès et ses défauts. C’est un magnifique personnage féminin de télévision, jamais sublimé, mais toujours impressionnant et fort. C’est un magnifique personnage féminin noir de télévision, avec bien des choses à dire sur le monde qui l’entoure tel qu’il le perçoit.
Being Mary Jane est la seule série à l’antenne actuellement à faire cela. Il n’y a pas d’intrigue policière, criminelle, légale, politique ou médicale derrière laquelle se réfugier. Il n’y a pas de thriller, pas de mystère, pas de secrets à révéler. Il n’y a besoin d’aucune excuse. C’est la seule série purement dramatique à mettre en scène une femme noire, et à ne pas chercher à faire diversion lorsqu’il s’agit de parler d’elle et de son univers. C’est Mary Jane, et juste Mary Jane : à prendre ou à laisser.
Même si elle n’avait pas toutes les autres qualités dont je viens de vous parler, la série mériterait de recevoir un Emmy rien que pour ça : pour son audace à regarder son sujet droit dans les yeux sans ciller.
Nul doute que si Being Mary Jane n’était pas affligée d’une malédiction, celle d’être diffusée par BET, elle serait un peu mieux considérée. Hélas, on peut parler de diversité à la télévision depuis quelques mois, mais on ne peut pas encore voir un drama de la trempe de Being Mary Jane ailleurs que sur une chaîne qui s’appelle Black Entertainment Television. A vrai dire, même sur ce network, c’est une évolution récente, l’une des manifestations d’une partie de l’industrie qui est en train de vivre un nouvel essor. Difficile de ne pas avoir hâte de voir la suite.