Hijack the world

20 janvier 2015 à 1:07

Il y a un problème dans les lycées japonais. Sûrement que dans les autres aussi, mais peu de fictions nationales sont aussi bavardes que les dorama à ce sujet. Quand il s’agit de faire un état des lieux du système éducatif nippon, de ce qu’il engendre de déséquilibre mais aussi de maltraitance, les séries japonaises donnent de la voix depuis des années, et sur tous les tons.
Le plus surprenant est sûrement qu’elles soient aussi enclines à le faire sur le ton de la comédie. Car même si cela s’explique en amont par plein de facteurs (comme par exemple le souhait d’offenser le moins possible), recourir à l’humour pour parler des violences en milieu scolaire reste totalement incongru au final.

Comment une série avec des adolescents et écrite pour des adolescents arrive-t-elle à rire de l’enfer lycéen ? Comment parvient-elle néanmoins, et c’est encore plus impressionnant, à se montrer inspirante et futée ? Gakkou no Kaidan nous en donne un excellent exemple en ce début d’année. C’est donc l’occasion de ma première review de la nouvelle saison nippone !

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Dans Gakkou no Kaidan, nous plongeons dans l’univers de l’école Meiran, fréquentée uniquement par des élèves riches… Tous ? Non ! Tsubame est arrivée là un peu par hasard, lorsque son propre lycée a dû fermer et qu’elle a été transférée, avec quelques autres, dans cet établissement huppé qu’autrement elle n’aurait pas les moyens de fréquenter. Hélas, Meiran fonctionne sur la base de règles implicites que Tsubame ne maîtrise pas du tout ; pour ne rien arranger, la jeune fille est gauche, et surtout passablement introvertie. Pas franchement la combinaison rêvée pour s’intégrer, et pourtant, elle a réussi à attirer l’attention d’un club très exclusif, les « Platinum 8 ». Il s’agit des 4 garçons et 4 filles les plus riches et les plus populaires de l’école, qui n’en manque pourtant pas.
Mais derrière leur apparent intérêt pour la jeune filles, ces 8 individus préparent en fait un mauvais coup, et ont usé de leur influence pour la faire élire présidente des élèves ! Derrière ce titre se cache une lourde responsabilité, qui inclut entre autres de prendre régulièrement la parole devant 600 élèves du lycée Meiran. Ils espèrent à la fois la manipuler pour qu’elle exécute leurs moindres volontés devant le conseil du lycée et devant les professeurs, et l’humilier lorsqu’elle devra s’exprimer en public. L’administration n’est quant à elle pas tellement mieux intentionnée puisqu’elle attend du conseil des élèves l’obéissance la plus totale, et une prise de responsabilité dans les initiatives extra-scolaires les plus éreintantes. Voilà donc Tsubame prise entre deux feux, avec pour tâche supplémentaire de devoir dépasser sa peur panique de sortir du lot à chaque intervention…

Ce qui aurait pu n’être qu’une longue série de catastrophes humiliantes (et il s’en produit déjà une ou deux dans le premier épisode) devient progressivement une toute autre mission, cependant. Lorsque l’un des camarades de Tsubame à avoir également été transféré, et victime de harcèlement scolaire, est servi comme bouc-émissaire aux professeurs suite à une sortie scolaire, la jeune fille va devoir surmonter sa réserve pour défendre son ami. Chose qu’elle n’aurait jamais faite si elle n’avait pas rencontré le mystérieux Kei, un jeune garçon qui ne fréquente pas Meiran, mais qui semble en savoir plus long qu’elle au sujet de l’établissement…

Derrière l’histoire de Gakkou no Kaidan se cachent une foule de références, la première et la plus évidente étant l’hommage quasi-perpétuel à Hana Yori Dango. On retrouve la même école peuplée de personnages richissimes, la même ambiance feutrée autour d’un groupe d’élèves encore plus puissants (et affublés d’un surnom similaire), et la même dynamique d’une jeune élève qui va devoir se dresser, seule, contre ce groupe. Gakkou no Kaidan s’inspire aussi de l’esthétique de Mei-chan ni Shitsuji, elle aussi une série se déroulant dans un lycée cossu, par exemple en ayant recours régulièrement aux effets spéciaux (c’est particulièrement parlant dans la séquence d’ouverture du pilote) ou à une aura de mystère similaire, ici autour du personnage de Kei.
Celui-ci va d’ailleurs nous produire une version toute personnelle de Cyrano de Bergerac de toute beauté, en poussant Tsubame à prendre la parole pour expliciter tout ce qui cloche au lycée Meiran. Il va la pousser à prendre la parole, même si les mots ne sont pas toujours siens, pour acquérir un peu de pouvoir. Hijack the world.

En dépit de son ton parfois badin, mais parfois mélodramatique, en tous cas certainement inégal, Gakkou no Kaidan ne veut pas simplement nous raconter le combat d’une adolescente, seule contre tous. Là où Hana Yori Dango parlait d’une quête personnelle, celle d’une jeune fille souhaitant avant tout ne pas baisser les bras face au harcèlement des puissants, ici on est dans une volonté affichée de changer le monde.
Le dernier tiers de l’épisode inaugural de Gakkou no Kaidan est très clair dans sa thèse : si le monde du lycée est profondément injuste, il faut le changer. Tout est pourri ? Élèves, professeurs et administration ? Alors Tsubame va devoir utiliser le seul privilège qu’elle a : son accès à la tribune de la présidence des élèves. A elle de s’emparer de ce pupitre et de prendre d’assaut le monde. Hijack the world. Armée de sa voix, elle a peut-être une chance, en tous cas elle se doit d’essayer. Elle le doit aux autres, aussi, même s’ils l’ignorent ou ont du mal à se sortir du joug de leurs oppresseurs. Et Tsubame a beau vouloir reculer de tout son être, elle a beau préférer rester aussi anonyme que possible, elle a beau essayer de rentrer dans le rang… elle sait aussi que c’est le seul moyen de survivre, et que baisser les yeux n’est pas viable. Prier pour que ça tombe sur quelqu’un d’autre ne résout pas le problème, il ne fait que l’éloigner (temporairement) d’elle.

Je vous le disais au moment du tour d’horizon de la saison hivernale japonaise : j’espérais que Gakkou no Kaidan soit une série éminemment politique et qu’elle montre la campagne électorale de Tsubame, ou des débats avec d’autres élèves, quelque chose du genre. De ce côté-là j’ai clairement été déçue.
Mais Gakkou no Kaidan est éminemment politique de par son propos, et incite son jeune public à prendre la parole, dans une culture où la prise de parole est profondément disruptive en elle-même et où, généralement, il est recommandé de baisser la tête et d’attendre que l’orage passe. Au contraire la série politise ses spectateurs (notoirement peu politisés), non pas simplement en rappelant qui sont les méchants et qui sont les gentils, mais en disant aussi qu’une fois cette constatation faite, il est du devoir de chacun de dire les maux.
Meiran fonctionne, évidemment, comme une antichambre du monde « réel », et Gakkou no Kaidan l’a bien compris. Sans se borner à soutenir son héroïne dans la tourmente, ce que l’on a déjà vu un million de fois effectivement (et parfois avec talent, comme dans LIFE), elle lui donne aussi la clé de sa destinée. Il ne suffit pas de faire contre mauvaise fortune bon cœur, il ne suffit pas de survivre au pire ; il faut aussi s’assurer que le cycle de la violence ne sera pas répété. C’est un propos puissant, et fort rare à la télévision adolescente nippone… pour ne pas dire la télévision adolescente tout court.

Quand le monde est pourri et qu’il repose sur un système absurde, se faire entendre, à tout prix. Hijack the world.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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