Plusieurs fois par an, en moyenne deux bonnes douzaines d’après mes estimations, viennent des séries qui me ravissent. Je découvre le pilote et mon instinct immédiat est alors d’essayer de venir vous en dire autant de bien que mes maigres mots le peuvent pour vous inciter à, vous aussi, faire cette découverte. Les termes ne peuvent alors pas être suffisamment forts, les adjectifs assez élogieux, et les points d’exclamation assez nombreux !!!
Le mot qui revient le moins souvent, même lorsque je croule sous les coups de cœur, est pourtant « original ». Une excellente série peut n’avoir pas un gramme d’originalité, et son ambition peut être ailleurs, après tout. Mais rarement il est possible de dire qu’une série est absolument unique en son genre ; elle est unique, mais elle appartient toujours à un genre qui, par définition, est peuplé par d’autres fictions.
Il n’y a pas assez d’uchronies à la télévision. On croule sous les séries historiques, mais pour les uchronies il vaut mieux ne pas retenir notre souffle. Là, comme ça, de tête, les deux seules autres uchronies télévisées auxquelles j’arrive à songer sont Onna Nobunaga, qui opérait sur la base d’un gender swap du légendaire Oda Nobunaga, et Ooku ~Tanjou, elle aussi basée sur une inversion des rôles genrés puisqu’elle proposait de faire des femmes la classe dominante dans le Japon du XVe siècle. Je n’arrive pas à en trouver une troisième, et en Occident en tous cas, j’en ai zéro à l’esprit.
Pour s’en approcher au plus près, il faut taper dans la science-fiction pure, genre Alien Nation. A la grande rigueur, à mesure que la série avance, on pourrait estimer qu’A la Maison Blanche en est une, mais ce n’est absolument pas son propos ni même son but, juste un moyen.
Vous comprenez donc que The Man in the High Castle est, rien que sur le papier, totalement unique. En décidant de se dérouler en 62, sur l’hypothèse d’une victoire de l’Axe à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, et de l’occupation du territoire américain par les Nazis et l’Empire japonais, ce pilote d’Amazon (dont il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’il va devenir une série) tape dans l’absolument inédit.
Ce qui est à la fois galvanisant mais aussi un peu effrayant. Comment mettre en place plus de 17 ans d’Histoire que le spectateur doit rayer de sa mémoire et remplacer par une timeline fictive ? Et surtout, comment relever ce défi sans s’embourber dans une exposition lente, détaillée, quasi-pédagogique, permettant de comprendre ensuite l’exposition des personnages eux-mêmes, et de leurs intrigues ?
Et pourtant The Man in the High Castle remplit son objectif haut la main, grâce à toutes sortes d’astuces qui lui permettent de gagner en temps, en efficacité, et en rythme. En quelques minutes d’épisode, le spectateur est déjà totalement immergé dans cet univers parallèle, apprenant progressivement à tenir pour acquis une Histoire qui n’est pas la sienne — qui n’est celle de personne. La série établit en même temps son background et son ambiance, à travers des premières minutes pendant lesquelles son personnage central n’est même pas entendu ! Si bien que quand il prend la parole face au spectateur, l’histoire peut commencer : sur l’Histoire, on est déjà dans le bain. A partir de là, tout ce qui viendra se greffer sera absorbé comme subliminalement, presque tenu pour acquis par une audience totalement engagée dans l’univers de la série.
Tout en construisant sur cet acquis pour nous offrir une palette incroyable d’informations à emmagasiner sans même nous en rendre compte, le premier épisode de The Man in the High Castle va aussi dessiner les contours d’une intrigue riche, et à plusieurs niveaux. C’est l’histoire d’une résistance, c’est l’histoire d’un espionnage, c’est l’histoire d’un contre-espionnage, c’est l’histoire d’une machination politique, c’est l’histoire, peut-être, d’une nouvelle guerre qui pourrait se profiler. C’est vertigineux et on ne le sent même pas pendant le visionnage tant tout se glisse avec aisance dans notre champ de vision, notre champ de compréhension.
En une heure de télévision (bien qu’il faille sûrement mettre ce terme entre guillemets), The Man in the High Castle fascine par sa facilité à empiler les concepts, les intrigues, les nuances, tout ça avec une esthétique parfaite par-dessus le marché. Et si pour le moment, seuls deux de ses protagonistes sont réellement détaillés, j’ose à peine imaginer la fresque que sera la série à mesure que les personnages vont s’étoffer, notamment chez les Nazis ou les Japonais. Vu que les jalons sont méticuleusement posés pour fouiller ces personnages ultérieurement, ainsi que leurs actions et leur rôle dans les rouages de l’intrigue, ça fait d’ores et déjà rêver.
Il n’y a pas assez d’uchronies à la télévision. Mais il y a également trop peu de pilotes ayant à la fois l’ambition, la fluidité et le potentiel de The Man in the High Castle. C’est sûrement le plus impressionnant dans cet épisode.