S’il y a bien quelque chose que les Canadiens savent faire, c’est une série avec des éléments surnaturels. Il faut dire qu’il y a des décennies d’expérience derrière.
Rabbit Fall est l’une de ces séries, mais avec son petit budget (sans parler de la durée de ses épisodes qui est de seulement une demi-heure), elle a forcément des défis à relever. Ils sont, pour la plupart, gérés avec succès dans le premier épisode de la série, qui parvient à lorgner sur le fantastique sans jamais prouver qu’il s’agit d’une série fantastique. Démonstration.
Notre avatar dans la série est Tara Wheaton, officier de police qui vient d’être mutée dans la bien nommée ville de Rabbit Fall, aux confins du Saskatchewan. C’est pour elle « la dernière chance », même si on ne sait pas trop ce qui lui fait adopter ce point de vue ; il apparaît en tous cas assez rapidement que pour être envoyée en poste à Rabbit Fall, il ne faut pas exactement avoir les faveurs de la hiérarchie. L’endroit est glauque au possible et d’ailleurs, pour le prouver, Tara se fait voler sa voiture alors qu’elle n’a même pas encore dépassé le panneau de la ville ! Récupérée en stop par un autre officier de police qui passait par là, Bob, elle débarque donc déboussolée au commissariat… où sa voiture l’attend, sagement garée sur le parking et le coffre plein. Personne ne se heurte spécialement du phénomène. Ambiance.
Dans Rabbit Fall, la clé est justement celle-là : personne ne se pose beaucoup de questions. Une fois qu’on s’est adapté à ce fait, regarder l’épisode devient moins inconfortable.
Tara, elle, n’a pas reçu le mémo, et est clairement désorientée… on la comprend bien vite tant les évènements sont à la fois bizarres et acceptés avec un naturel déconcertant. Elle tente d’établir des connexions humaines avec son collègue, son chef, les habitants de la ville ; personne ne la repousse spécialement, mais on sent dans chaque interaction une somme colossale de non-dits qui ne rendent pas son intégration très facile à vivre.
En fait, non, ce n’est pas tellement qu’il se passe des évènements bizarres, c’est plutôt leur nombre qui est inquiétant, et qui crée un contraste saisissant avec les réactions de banalité totale des habitants de Rabbit Fall. La première affaire de Tara sera la disparition d’une jeune fille qui s’est évaporée dans la nature voilà plusieurs semaines, mais personne au poste de police ne la cherche ardemment parce que, des disparitions, il y en a plein à Rabbit Fall. Et personne ne s’émeut à l’idée que des gens meurent dans le lac sans arrêt. C’est la vie. Et c’est ça qui est franchement bizarre.
Du coup, Rabbit Fall peut se permettre de n’avoir jamais recours dans ce premier épisode aux effets spéciaux, à se contenter de filmer on location des forêts ou des clairières lumineuses, inutile d’en rajouter dans l’ambiance. Seuls les inserts signalant la fin des publicités se montrent plus énigmatiques (avec, omniprésents, des lapins rôdant à Rabbit Fall, ce qui a du sens me direz-vous), mais contrairement au matériel promotionnel, on n’en rajoute pas dans l’ambiance, les filtres, et même la musique est généralement plutôt pop rock… voire country !
En dépit des apparences, ça marche très bien, et en-dehors d’une ou deux scènes se finissant un peu abruptement pour créer du suspense et une ambiance de connivence je-m’en-foutiste, Rabbit Fall trouve rapidement son équilibre avec cette réalisation naturaliste.
A mesure que l’épisode progresse on sent pourtant, et c’est plutôt bien joué, que les explications ne sont pas forcément toutes rationnelles. Sans jamais tomber dans la caricature et surtout pas la comédie, Rabbit Fall va insérer des sous-entendus ou des propos en apparence inoffensifs, mais qui, additionnés à l’ambiance de la bourgade, éloignent progressivement Tara et donc le spectateur des explications purement criminelles. Ces disparitions successives, si nombreuses, qui n’inquiètent personne, deviennent étrangement d’autant plus inquiétantes…
Et cela ouvre à plein de possibilités. A partir de là, la série peut aller quasiment n’importe où ! C’est assez fantastique de n’être pas limité à l’issue de ce pilote sur les pistes à suivre… si vous me passez l’expression.