Ne pas pouvoir parler aux gens. Ne plus jamais décrocher le téléphone quand il sonne. Non attendez, la sonnerie c’est trop stressant. Ne plus jamais décrocher le téléphone quand il vibre. Couper le téléphone. Voilà.
Ne pas pouvoir écrire aux gens. Pas de SMS, pas de mails, pas de messages privés sur les réseaux sociaux. Les notifications s’empilent et c’est encore plus stressant. Ne plus lire les notifications. Ne plus regarder les reply sur Twitter. Couper Twitter. Voilà.
Ne pas pouvoir écrire. Se prendre deux heures par jour pour écrire un fun fact. Recherche non incluse. Un putain de fun fact. J’en préparais dix d’un coup à une époque. Ne pas écrire de review. Commencer une review, aller chercher la photo d’illustration, ouvrir Wikipedia, se sentir épuisée, vidée. Refermer Wikipedia. Sauvegarder le brouillon. Voilà.
Ne pas pouvoir lire. Commencer des articles et réaliser au deuxième paragraphe que je ne sais plus de quoi ça parle. Recommencer l’article. Une fois, deux fois, trois fois. Laisser 712 onglets ouverts pour aller les lire plus tard. Faire planter FireFox. Ne plus jamais retrouver les articles. Voilà.
Ne pas pouvoir regarder de séries. Commencer un épisode et au moment du générique en avoir déjà marre. Avant je l’aimais cette série. J’étais motivée pour le commencer, ce marathon. Éteindre l’épisode. Envisager de regarder un DVD à la place. Arriver devant les DVD, et n’avoir plus envie de rien regarder. Peut-être un film à la place. Voilà.
Ne pas pouvoir jouer à un jeu video. Lancer un jeu, n’importe lequel. Voir l’écran d’accueil s’afficher et me dire que j’aurais préféré jouer à un autre de mes jeux. Fermer la fenêtre. Lancer l’autre jeu. Voir l’écran d’accueil s’afficher et n’avoir plus envie d’y jouer. Se forcer pendant 10 minutes. Mettre en pause 30 minutes pendant que je lis un article que je ne comprends pas. De guerre lasse, éteindre la partie à peine commencée. Avoir l’idée d’un jeu plus motivant. Lancer le troisième jeu. Voir l’écran d’accueil s’afficher et repenser à l’article dont je ne sais plus de quoi il parle. Éteindre l’écran. Voilà.
Ne pas pouvoir sortir. Passer deux heures à imaginer le trajet pour aller de chez moi à l’objectif du jour. Calculer le trajet et le temps à mettre, recalculer le temps à mettre parce que depuis la dernière fois que j’y ai pensé 5 minutes se sont écoulées, recalculer, réaliser que je vais être en retard, penser à annuler, penser à appeler pour annuler, recalculer le temps à mettre, peut-être quand même y aller, non annuler, non y aller, peut-être y aller en taxi, pour ne pas faire le trajet dans les transports, pour ne pas être en retard, pour ne pas être seule, pour ne pas voir des gens dans les transports. Pleurer dans le couloir. Appeler un ami, parfois, quand il y a encore des amis, quand je peux encore appeler. Retourner au salon, décider de ne pas y aller. Appeler un taxi. Savoir que le taxi coûte trop cher. Hésiter à aller prendre le taxi. Quand même prendre le taxi, parfois. Voilà.
Ne pas pouvoir penser à autre chose qu’à la bouffe. Phénomène plus récent, démarré à ma sortie de l’hôpital en juillet. Terrifiée à l’idée de devoir retourner à l’hosto pour mon rein. Aucune possibilité d’analyse du calcul, alors tout devient interdit. Se mettre à préparer les repas pendant une heure ou deux, pour les avaler en moins de 10 minutes. Couper des légumes en dés, plein. Faire la vaisselle sept fois pour avoir LE bol précis à portée de main. Faire des listes de courses et les modifier 712 fois par jour. Avec l’accroissement des problèmes d’argent, restreindre la nourriture. Dégoter une application pour faire ma liste de courses au centime près, l’ouvrir 712 fois par jour. Prendre en photo tout ce que je cuisine. Sous 712 angles différents. Penser à ce que je cuisinerai au prochain repas : courgettes ou aubergine ? Fringale de chou vert ou salade de tomates ? Aller se coucher et penser à la préparation du prochain repas : des herbes, des épices, une cuisson différente ? Faire des menus. Dans ma tête. En allant me coucher, me brosser les dents, allumer puis éteindre l’ordinateur, charger un jeu, lancer une série, démarrer un film, pisser, faire la lessive. Penser au prochain repas.
Ne pas pouvoir avoir faim. Manger un repas par jour, parce que je n’ai pas faim. Et, à mesure que les mois avancent, à cause des problèmes d’argent. Faire une jolie photo et essayer de déguster, mais finalement tout avaler pour être vite débarrassée. Rechercher le goût qui me plaît. Ne rien trouver d’assez appétissant. Penser aux prochaines courses qui ne sont que dans 15 jours. Avoir la faim coupée à l’idée qu’on tape dans les courses de la dernière fois. Manger vite fait pour se remplir, mais ne plus avoir faim. Voilà.
Ne pas pouvoir aller dormir. Rester sur l’ordinateur sans objectif, à rafraîchir toujours les mêmes pages, ou à regarder un film. Avoir peur d’aller dormir. Regarder la montre, sans arrêt. Se dire qu’il faut vraiment y aller. Se faire houspiller par les chats ; Trixie vient m’engueuler puis, quand je décide de me lever de ma chaise, m’accompagne jusqu’à la chambre, saute sur le lit, miaule jusqu’à ce que je sois sous les couvertures. Peste si je retourne à la salle de bains. Se couche sur mon torse pour que je ne bouge plus. Essaye de ronronner comme elle peut (mal). Quand elle pense que je suis calmée, elle se relève et va boire un coup dans la cuisine. Elle fait du bruit, je me relève, répéter l’opération. Voilà.
Ne pas pouvoir dormir. Même avec les chats au calme, les médicaments, et les images apaisantes de tomates découpées méticuleusement, rien à faire. Regarder la montre, une fois, deux fois, 712 fois. Passer deux à trois heures dans cet état. Parfois se relever et aller sur l’ordinateur pour ne rien faire de plus. Généralement attendre que le jour se lève pour s’évanouir d’épuisement. Voilà.
Ne pas pouvoir dormir tranquille. Faire des cauchemars, chaque nuit, parfois plusieurs fois par nuit. Pendant l’un des traitements, réaliser que ce ne sont plus des cauchemars à proprement parler, mais qu’ils sont là. Tous les soirs, dans tous les « rêves », chaque nuit, parfois plusieurs fois par nuit. Même quand il ne me font rien de mal, ils sont là, toujours. Hantée. Ne plus vouloir dormir. Voilà.
Ne pas pouvoir se réveiller tranquille. Ouvrir les yeux et découvrir les nouvelles marques d’ongles sur le mur, le mur que j’ai repeint il y a trois ans en emménageant, d’un beau violet sombre, et où s’affiche depuis un an une constellation de griffures mettant le blanc du mur à vif. Le mur est comme moi. Première action du matin : se gratter jusqu’au sang. Se couvrir les doigts de sang. Consciencieusement retirer le sang de sous les ongles. Regratter jusqu’au sang. Consciencieusement retirer le sang de sous les ongles. Gratter encore un peu, des fois qu’il reste de la peau. Arracher les croûtes, encore, toujours. Ne plus supporter le contact avec le lit, les couvertures et oreillers, les chats, rien. Aller prendre une douche. Sentir la brûlure de l’eau bouillante. Savonner comme une damnée. Aller dans le salon. Allumer l’écran. Sentir les plaies à vif qui prennent la mesure de l’air frais et picotent. Peut-être gratter quelques autres fois dans la journée. Et au coucher. Voilà.
Un an depuis le début de mon arrêt pour dépression, et quatre mois depuis mon diagnostic pour agoraphobie. Je le vis plutôt bien.
🙁 Ca a quelque chose de « drôle » pour moi de lire ça parce que je t’admire beaucoup pour ce que tu es capable de faire. Je vois que tu écris pas mal de reviews, de fun facts, que tu es active sur Twitter et que tu es au courant de toutes les dernières nouveautés sans parler des excentricités. Ca fait longtemps que je ne suis plus à la hauteur, alors ça me rassurait de voir d’autres gens s’en sortir mieux que moi. Tout ce que je peux dire, c’est que malgré cette difficulté, tu t’en sors très bien et tu mérites d’être fière de ce que tu arrives à faire, car vu ton état, ça relève du défi !
Mes symptômes ne sont pas tout à fait les mêmes que les tiens mais qu’est-ce que je les comprends. Alors, je te dis : courage courage courage ! Ca va prendre fin un jour, c’est sûr. Je sens qu’il y a encore en toi la force de te battre et je te fais confiance. Ca fait un an, mais peut-être que l’an prochain s’ouvrira sous un meilleur jour.
J’ai l’impression que tu décris ma vie. C’est effrayant. Et puis c’est rassurant de me sentir moins « différente », me dire que finalement il y a des gens comme moi, des gens qui comprennent ma « normalité », mon quotidien.