Le 25 novembre est une journée qui en tant que féministe, devrait être au centre de mon militantisme, puisqu’il s’agit du International Day for the Elimination of Violence Against Women Day (soit la journée internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes). A noter qu’en France, la terminologie est également Journée contre les Violences faites aux Femmes, alors que les Espanols utilisent les termes « violencia de género », c’est-à-dire Violence de Genre, qui me semble plus axée sur l’aspect systémique et que personnellement je trouve plus pertinente. Mais passons.
En tous cas l’idée aujourd’hui est de s’intéresser aux violences commises envers les femmes, à donner la parole aux femmes victimes de violences passées ou présentes, et ainsi de suite.
Et je veux commencer par dire que oui, cent fois oui, ces choses sont importantes, et si on pouvait faire de tous les jours de l’année un jour où il est nécessaire d’en parler et d’agir, et pas seulement attendre le 25 novembre pour annoncer des structures ou des actions, bah ce serait encore mieux. Comme ça, ça nous évitera en substance d’utiliser aussi cette journée pour parler des violences futures, et de nous retrouver l’an prochain pour en rediscuter, encore et encore, tandis qu’elles continuent de se dérouler.
Mais il y a, dans nos discussions autour des violences faites aux femmes, un aspect qui est quasi-systématiquement passé sous silence. Et ce n’est pas juste en tant que féministe que je réagis à l’insuffisance de nos débats et nos actions en la matière, mais aussi en tant qu’adulte ayant été victime de violences dans l’enfance.
Je prendrai pour base de départ à mon propos un exemple concret. Dans nos conversations sur les violences faites aux femmes, on se penche désormais, et c’est normal d’un point de vue statistique, sur les violences domestiques. Ça donne par exemple ce genre de choses, tweeté cette semaine par la Secrétaire d’État chargée des Droits des Femmes, Pascale BOISTARD (la pièce jointe peut mettre quelques secondes à charger) :
#ViolencesFaitesAuxFemmes : si vous êtes concernée, quelques conseils pour votre sécurité pic.twitter.com/zfd5xBe32S
— Pascale Boistard (@Pascaleboistard) November 25, 2014
Ce sont, je le répète, des choses importantes à dire aux femmes : il est important, même quand on a plus ou moins décidé de partir (que la décision soit prise ou en cours), d’assurer notre sécurité. Quitter le foyer suite à des violences, c’est tenter d’échapper à une emprise, les conseils le montrent bien : avoir son argent à soi, au lieu de dépendre du compte commun ou, pire, du compte du conjoint ; conserver les documents qui pourraient être « confisqués » ou détruits ; se lier avec des personnes à l’extérieur (contacts en cas d’urgence, association d’aide aux victimes, etc.). Et ces actions sont nécessaires, encore une fois je ne dis pas qu’elles sont erronées.
Elles sont gravement incomplètes en revanche. Car voilà ce qui me gêne dans cette liste : « Informer les enfants sur la conduite à tenir (aller chez les voisins, téléphoner au 17, etc.) ».
On dépeint ici, clairement, une situation de violence extrême, avec risque de dépendance financière, administrative et sociale invalidante, et rendant le départ compliqué. Et on mentionne les enfants comme s’ils étaient des êtres indépendants qui doivent, eux aussi, adopter une position active dans le départ du foyer violent.
DANS TOUTES LES DISCUSSIONS SUR LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES, ON OUBLIE QU’IL S’AGIT AVANT TOUT DE VIOLENCES FAMILIALES.
S’il y a emprise, elle n’est jamais seulement sur la mère. Elle l’est sur toute la famille. Car même si la personne violente au sein du couple n’exprime sa violence la plus insoutenable que contre la mère, si les coups ou les insultes pleuvent sur le conjoint exclusivement, la violence psychologique, elle, existe dans toute la maison.
L’agresseur n’est pas maltraitant envers une seule personne, c’est simplement que la maltraitance prend plusieurs formes et que seule la plus extrême peut être adressée à l’autre parent. C’est toute la cellule familiale qui est en danger.
Et on le sait d’autant plus que lorsque les enfants s’interposent, ils deviennent généralement eux aussi l’objet de violences explicites. Or, si tout le foyer est en danger physique potentiel, c’est qu’il y a une violence psychologique réelle constante.
Ces conseils ne prennent pas en compte le fait que l’enfant est une victime. Ne parlons même pas du fait qu’ils s’adressent uniquement à des enfants d’un certain âge ou en tous cas d’une certaine maturité (on imagine difficilement un enfant de 4 ans appliquer les conseils représentés). Le problème est qu’on considère que l’enfant a le matériel psychologique pour se comporter comme un adulte dans une situation d’urgence.
Il ne l’a pas.
Et dans nos discussions sur la violence domestique, on oublie systématiquement ce point. C’est d’autant plus problématique qu’on oublie énormément les violences sur les enfants en général, hors une à deux campagnes campagnes par an ; en fait on est tellement pauvres en initiatives sur le sujet que j’englobe les campagnes étrangères qui nous parviennent dans la presse. Celle ci-dessous, qui nous vient d’Espagne, a pas mal fait parler d’elle par exemple.
C’est d’autant plus inquiétant pour moi que les retombées sont encore plus graves pour les enfants, quand bien même ils ne sont pas victimes des violences que je qualifie d’explicites, les enfants sont encore plus vulnérables aux violences psychologiques, par nature. Il sont en pleine construction, leur monde se limite, au moins jusqu’à un certain âge voire parfois plus tard (surtout si l’emprise de l’agresseur est forte), à la cellule familiale, et n’ont pas les outils des adultes pour rationaliser et prendre de la distance avec les violences reçues. Ils ne savent souvent même pas que ce sont des violences.
Il faut déjà expliquer au conjoint qui est victime comment se déroule l’emprise (l’image peut mettre du temps à charger) :
Vous vous reconnaissez dans certaines de ces situations: vous êtes victime de violences & vous n’êtes pas responsable pic.twitter.com/7Rfx6YVKsT
— Maelle & Diction (@maellevie) November 25, 2014
Mais ces « symptômes » s’appliquent autant aux enfants, et ils ont encore moins la possibilité de les percevoir. C’est pour eux la normalité.
Je pourrais vous écrire 712 000 caractères sur la perception de la normalité dans une situation de violence intra-familiale, mais ce n’est pas le jour et même pas le sujet ici. Disons simplement que si vous estimez avoir connu une cellule familiale relativement « normale », c’est bien souvent le cas aussi pour les enfants grandissant dans une famille connaissant des violences, au moins jusqu’à un certain âge. La prise de conscience dépend de facteurs comme l’accès à des interlocuteurs extérieurs (des proches qui ont la possibilité de parler avec l’enfant), la possibilité de comparer avec d’autres situations (certains enfants, j’en faisais partie, n’ont pas le droit d’aller chez des amis et donc de voir comment fonctionnent d’autres foyers), et quelques autres encore, et cette prise de conscience que les choses à la maison ne sont pas « normales » peut être tardive, voire n’arriver qu’une fois l’âge adulte (accepter de dire qu’elles sont « violences » prend encore plus de temps pour ce que j’ai expérimenté et vu auprès d’autres victimes dans l’enfance).
Imaginez vivre les « symptômes » de violence ci-dessus à 10 ans, et vous comprenez bien que même toquer chez les voisins pour y demander asile est déjà le signe qu’on est au bout du bout de la violence.
Dans nos discussions sur les violences conjugales, qui bien souvent, c’est statistique, sont des violences faites aux femmes mais pas exclusivement (disclaimer de rigueur pour éviter les #notallmen), nous oublions de parler des enfants. Ce serait cool si on pouvait changer ça aussi, pendant qu’on passe le 25 novembre à parler uniquement de la victime « ground zero » qui est le conjoint.
C’est malheureusement vrai, j’ai récemment entendu parler d’un fait divers tragique où les enfants ont été témoins (et peut-être victimes) de la violence d’un couple et ont fini par assister à la mort de l’un d’eux… j’espère que ces victimes collatérales seront moins oubliées par le système et la société dans le futur.