De toutes les séries dans lesquelles les ados se reposent sur un conseiller d’orientation (le fameux guidance counselor) pour naviguer dans la vie, Joan of Arcadia est quand même dans la gamme au-dessus : Joan prend ses conseils directement auprès de Dieu. Ah tout de suite, ça en jette.
C’est en tous cas l’idée un peu tirée par les cheveux qu’essaye de vendre son pilote et, ma foi, contre toute attente, eh bien on l’achète plutôt facilement. Il faut dire aussi qu’on nous force un peu la main…
La famille Girardi se remet difficilement d’une tragédie : leur fils aîné, Kevin, a perdu l’usage de ses jambes dans un accident de la route. Cela fait un an et demi mais le retour à la normale commence à peine. En parallèle, le père de la petite famille vient d’être promu chef de la police d’Arcadia, ce qui apporte également son lot de nouveautés.
Tout le monde essaye de s’adapter aux circonstances mais la blessure est encore fraîche ; le pilote nous montrera par exemple Helen, la mère, exprimer une profonde colère et beaucoup d’inquiétude ; le benjamin de la famille, Luke, est quant à lui très conscient que son frère prend désormais toute la place et que lui-même est quasiment devenu transparent. Quant à Joan, son petit côté légèrement rebelle (légèrement seulement : elle répond aux profs et ce genre de petites choses) fait d’elle une cause de soucis supplémentaire.
C’est le moment, fort opportun vous en conviendrez, que Dieu choisit pour lui apparaître… pas par le truchement d’un ange inondé de lumière, mais en s’incarnant dans diverses personnes tout-à-fait quelconques (dans le pilote : un cinquantenaire un peu louche, un jeune homme plutôt séduisant, un de ses camarades de classe et une employée de la cantine). C’est le passage le plus compliqué de l’épisode parce qu’évidemment, il ne faut pas seulement convaincre Joan qu’elle a affaire à Dieu, mais également les spectateurs. Joan of Arcadia s’en sort relativement bien, et le fait, en plus, en évitant toute démonstration de surnaturel. Ainsi, quand Joan demande à voir un miracle, Dieu lui désigne un arbre ; Joan reste un peu sur sa faim et souligne que c’est un arbre quelconque, et Dieu de lui répondre : « j’aimerais bien te voir en faire autant ». Bon, certes.
Une fois dépassée la question de croire que ce qui lui arrive est vrai (et ce même si Joan persiste à avoir un petit doute ensuite), Joan of Arcadia pose très clairement les règles du jeu : il ne s’agit pas de poser des questions existentielles, il ne s’agit pas de découvrir le secret de la vie, l’univers et le reste, il ne s’agit pas d’enfin connaître les intentions de Dieu. En exigeant de son héroïne qu’elle prenne l’apparition pour argent comptant, Joan of Arcadia compte aussi sur la foi aveugle de ses spectateurs. Voici ce qui se passe quand Joan tente de poser des questions :
« Ok, so… Let’s say you’re God…
– Thank you.
– …I want to ask you some questions.
– No.
– No ?!
– No, as a general rule, I ask the questions. »
Mais malgré cette instruction claire, Joan va continuer de demander pour quelle raison cela lui arrive, ce qu’il veut, et pourquoi. Et de la même façon, son divin interlocuteur continuera de lui opposer une fin de non-recevoir : « Do you notice how I’m not answering any of the whys ? »/ »Don’t ask why »/ »Do as I ask ». Non seulement Joan doit prendre tout cela pour argent comptant, mais les spectateurs aussi doivent partir du principe qu’ils ne connaissent pas non plus les tenants et aboutissants de la série.
Malgré tout, la mission que reçoit Joan dans ce pilote n’est pas vide de sens, et là encore, les spectateurs apprendront en même temps que Joan que ses efforts auront eu un effet indirect sur son frère.
L’idée motrice de Joan of Arcadia est clairement que les voies du Seigneur sont impénétrables, mais qu’elles ont tout de même du sens ; Dieu a une vision d’ensemble qui nous manque mais on comprend ensuite, rétroactivement, pourquoi il exige certaines choses de nous, quand bien même sur le moment elles semblaient incompréhensibles ou même un peu ridicules. La série repose donc lourdement sur les principes chrétiens, même si elle s’en défend un instant (Dieu explique à Joan : « it’s not about religion, it’s about fulfilling your nature »), en partant du principe qu’avoir la foi doit suffire. C’est demander beaucoup à des spectateurs après une décennie de X-Files !
Et c’est d’autant plus curieux que le pilote de la série, qui faut-il le rappeler était diffusée par CBS, met aussi en place des éléments policiers (plus feuilletonnants que la mission de Joan) qui font appel à un certain sens de la logique. Au terme du premier épisode, ces deux ingrédients se contredisent un peu, entre le père de Joan qui pose sans cesse des questions et Joan elle-même à qui on intime l’ordre d’obéir, que ce soit en classe ou à Dieu. Dans ce premier épisode, Joan of Arcadia ne possède pas vraiment de vision (je vous accorde que c’est un comble), et c’est un peu compliqué de voir ce qu’elle cherche à dire, en-dehors de nous donner des petits coups de coude pour nous dire que parfois, il en faut peu pour changer le monde autour de soi, et donc un peu soi-même. Mais ça, après une décennie des Ahem du Bonheur, on l’avait un peu deviné.