bad /bæd/ : not good; unfavorable; negative.
Vous permettez que je pose une petite question ? Pourquoi la Bad Judge est-elle bad ?
Fait-elle mal son travail ? Non.
Si c’était le cas, elle ne rendrait pas un verdict sensé à la fin de l’épisode, celui qui semble logique et normal vu les circonstances. Si elle était une mauvaise juge, elle laisserait le coupable s’en sortir, ou bien se moquerait totalement de l’issue du procès. Ce n’est pas le cas. Elle pose même des questions pour vérifier l’état d’esprit et les intentions de l’accusé, avant de prendre une décision informée.
Fait-elle le strict minimum dans son travail ? Non.
En fait, le reproche essentiel que lui fait son supérieur est justement qu’elle en fait bien plus. Elle accomplit même le boulot d’une assistante sociale en venant en aide à jeune garçon. Que ce soit, comme cela est supposé par deux des personnages, par culpabilité d’avoir mis ses deux parents en prison pour plusieurs mois, ou simplement parce qu’elle a bon fond, ne change rien au fait qu’elle se donne du mal pour accompagner le gamin dans ses petits soucis, qu’ils soient administratifs (elle intervient auprès de l’école) ou personnels (elle lui donne des conseils contre un garçon qui le harcèle).
Fait-elle quelque chose qui nuise à la profession de juge dans son ensemble ? Non.
En tous cas, a priori non… sinon il faut mettre en doute la décision de lui confier le discours d’une keynote lors d’un évènement majeur de la profession ! Discours qu’elle a même le temps de préparer malgré son travail et ses activités extra-professionnelles d’assistante sociale bénévole.
Vous allez sûrement me dire : la Bad Judge n’a rien à se reprocher en tant que juge. Pourquoi les scénaristes lui collent-ils le terme de « bad » ?
Parce que les créateurs de Bad Judge, tout comme celle de Bad Teacher, connaissent le sens du mot « bad »… Ils le connaissent, mais ils l’assimilent à des concepts archaïques et sexistes.
Pourquoi la Bad Judge est-elle « bad » en définitive ?
Elle n’est pas une mauvaise juge, par contre elle est une « mauvaise » femme : elle n’est pas élégante, raffinée, discrète. Elle porte des tenues courtes. Elle boit. Elle conduit un van, ô horreur !
Mais surtout elle couche avec qui elle veut, et c’est ça qui fait d’elle un personnage critiquable aux yeux de ses créateurs. L’épisode s’ouvre sur sa gueule de bois et un test de grossesse passé à l’arrache en allant au boulot, ce qui implicitement donne l’impression que sa vie sexuelle est débridée et inconséquente. Pourtant de son propre aveu, la Bad Judge ne couche qu’avec une seule personne depuis au moins quelques semaines. De quoi est-elle fautive ? D’être célibataire, de s’envoyer en l’air au bureau, et de vouloir savoir si elle est enceinte. D’aimer vivre seule. De savoir ce qu’est le féminisme. Horreur !
La raison d’être de la série, son principe-même, est de nous pousser à penser que la Bad Judge est une « mauvaise » femme, une femme qui ne se conduit pas de façon respectable, une femme qui ne répond pas à certains codes, ne devrait pas être digne de sa profession ; les scénaristes veulent qu’on regarde la catastrophe en hochant la tête parce qu’elle est tellement dysfonctionnelle, ça prête forcément à rire, n’est-ce pas ?
Mais comme appeler une série Bad Woman, forcément, c’est compliqué à expliquer, alors disons plutôt Bad Judge, ou Bad Teacher, et comme ça introduisons en plus, au passage, la notion qu’être une femme « mauvaise » dans la vie fait de vous une professionnelle douteuse.
Pourtant, même avec du vin et un burrito dans le ventre dés le matin, la Bad Judge est capable de faire son job et même plus. Et de le faire de façon plutôt sympa, avec humour et décontraction… alors vos clichés à la con, hein.
La Bad Teacher et la Bad Judge sont exactement dans la même situation : on attend du spectateur qu’il les juge sur des critères liés à leur genre et non leur profession. Alors que, contrairement à ce que le titre de chaque série laisse penser, elles sont au contraire compétentes dans leur boulot.
Plus incroyable encore, elles sont capables de compassion et d’efforts que personne ne leur demande (que personne d’autre dans la série ne pratique), de cette « extra mile » humaine qu’on attend d’un métier tel que le leur, un métier de contact et de proximité. Dans les deux pilotes, on les verra ainsi venir en aide à des enfants, certes un peu en trainant des pieds (la Bad Teacher espérait se taper un riche parent d’élève, la Bad Judge refuse d’héberger l’enfant qui s’est fait virer de son centre d’accueil), mais en faisant finalement le choix moral le plus positif possible.
Des personnages féminins qui accomplissent leur boulot correctement, qui font leur possible pour aider des personnes fragiles en crise… mais qui sont mauvais parce qu’il faut bien classer les femmes dans la catégorie madone ou dans la catégorie pute, et il n’y a rien entre les deux.
Tout comme celui de Bad Teacher l’année dernière (où la prof était infiniment moins mauvaise que son aînée cinématographique, en plus), l’argument de Bad Judge n’est pas simplement erroné : il est sexiste. Et à cause de cela, la série n’est ni drôle ni intéressante. A partir de là il ne peut sortir que des clichés ridicules et arriérés, et un humour reposant sur le fait qu’une femme qui vit sa vie comme elle l’entend est forcément une mauvaise personne : regardez-la foutre sa vie en l’air ! Regardez-la merder !
J’espère que la seconde subira le même sort que la première.
En fait, vous savez quoi ? La Bad Judge me semble avoir bien plus sa vie en main que toute les Ally McBeal du monde.
Bad writers, bad.