Samedi, vous avez peut-être remarqué, si vous aviez un oeil sur Twitter, que #HormonesSeason2 était en trending topic mondial sur Twitter pendant une bonne heure.
En tous cas, ça a attiré mon oeil ; il y a une bonne raison pour laquelle je suis les trending topics mondiaux au lieu de ceux d’une zone géographique en particulier, et c’est d’y repérer les sujets locaux qui prennent soudain une envergure internationale. Dans le cadre de la fiction, qui évidemment nous occupe plus particulièrement dans ces colonnes, c’est arrivé à des séries US (pas tant qu’on penserait, d’ailleurs), britanniques mais aussi espagnoles ou à l’occasion, argentines (je me rappelle l’avoir remarqué un soir où Aliados était particulièrement en forme). Souvent, je rédige un tweet ou deux histoire de le faire remarquer à mes followers et d’en profiter pour évoquer la série vite fait, essayer de donner le contexte et/ou rappeler ce qui en fait une série digne d’intérêt, en particulier si j’ai déjà écrit dessus (#shamelessselfpromo). L’autre jour c’est arrivé avec Hermanos dont je n’avais pas trouvé la date de démarrage et qui tout d’un coup était en trending topic mondial parce qu’elle démarrait en Espagne : hop, tweet. Vous saisissez la logique.
Mais pour la première fois, une série était en trending topic mondial et je n’avais aucune idée de quoi il s’agissait ! Je l’ai donc pris pour un défi personnel, comme toute personne sensée le ferait. Non ? Ah bon.
J’ai compris qu’il y avait une bonne raison à mon ignorance : ami téléphage, pour la première fois, l’article sous vos yeux se rapporte à la Thaïlande, un pays sur lequel je n’avais jamais écrit, et que je connais très mal. L’ajout d’un nouveau pays sur le site est systématiquement l’occasion pour moi de faire un peu de lecture, et de me promettre de lui offrir au moins un fun fact, un article, une review… quelque chose pour qu’on apprenne tous un peu sur la télévision de ce pays au passage.
Par conséquent, je vous souhaite la bienvenue dans la review du pilote de Hormones. Nan mais, c’pas une série qui va faire la loi ici.
Ce qui explique en grande partie sa popularité, c’est que Hormones est un teen drama comme on en fait peu. Son idée directrice est qu’elle va aborder la « réalité » des adolescents thaïlandais, et pas une vision idyllique et harmonieuse.
Je mets des guillemets parce que beaucoup de séries en Asie ont un peu du mal à monter au créneau dans ce domaine ; même quand l’intention est là, le ton reste souvent assez conventionnel, avec des thèmes parfois un peu plus ambitieux que les autres, mais la volonté de ne surtout froisser personne et surtout pas les parents, qui risquent de formuler des plaintes. S’il y a bien un domaine télévisuel dans lequel il ne faut pas être dans la retenue, c’est le réalisme adolescent. Parce que soit on parle vrai, soit ce n’est pas le cas ; l’entre deux n’existe pas.
Et apparemment, c’est vrai en Thaïlande également, où Hormones a remué un peu les codes de la fiction adolescente ; si vous remontez le hashtag, par exemple, vous verrez qu’il y a au moins deux personnages gay, au moins deux autres lesbiens, ce qui dans un pays où on floute non seulement les marques de cigarettes, mais aussi le paquet ET la cigarette quand elle est dans la main d’un personnage, montre qu’il y a un certain niveau de censure à passer outre, et que Hormones s’y est attelé.
Mais les intrigues des personnages homosexuels, ce n’est pas l’affaire du pilote. Celui-ci risque de décevoir ceux qui s’attendent d’emblée à un Skins à la thaïlandaise (est-ce que pourtant on n’a pas déjà parlé de cette mauvaise manie d’attendre la même série, mais d’un autre pays ?), mais il a tout de même plein de bons côtés, alors c’est parti.
Hormones, lancée au moment de la rentrée scolaire (c’est-à-dire au printemps), démarre le premier jour d’école dans un lycée de Bangkok, un nouveau signe de la volonté de coller au vécu de ses spectateurs. C’est une rentrée plutôt classique, avec rangs d’oignons d’élèves en uniforme, chant de l’hymne national thaïlandais, discours du proviseur, puis une première classe d’orientation avec le professeur principal. Si vous regardez des séries japonaises, par exemple, vous ne serez pas trop déboussolé de ce côté-là, le fonctionnement est très similaire.
C’est donc un épisode d’exposition à tous les égards. Les élèves s’observent entre eux, les fortes têtes commencent à émerger, les profs se présentent… l’immersion se fait de façon très organique dans cette rentrée.
Les fortes têtes, justement, valent le coup d’œil, car on n’est pas dans la caricature. Il y a par exemple celui qui fait déjà l’impasse sur le discours de présentation, et préfère fumer une clope avec des copains (le générique nous a appris qu’il s’appelait Tor mais dans ce premier épisode son rôle est assez marginal). Il y a Sprite, qui dés le premier jour a déjà une conquête avec laquelle elle s’isole dans les WC des garçons (sa présence dans le premier épisode est principalement d’être la cible de ragots assez violents). Et puis il y a Win, au centre de notre photo ci-dessus, le bad boy de service qui aime bien provoquer l’autorité.
C’est lui le héros de notre épisode, Hormones aimant bien favoriser un personnage par épisode et cantonner les autres à un rôle secondaire, puis changer de focus à l’épisode suivant.
Lorsque le censeur passe dans chaque classe pour procéder à la vérification du port des uniformes et aux coupes de cheveux règlementaires (cheveux sous une certaine longueur pour les garçons ;courts ou attachés pour les filles, et pas de maquillage), Win a trouvé l’excuse qu’il cherchait vraisemblablement pour provoquer. Il demande pourquoi il faut suivre ces règles. Devant l’obstination du censeur à répéter que les règles sont les règles et point barre, Win décide de se présenter le lendemain en cours sans uniforme. Les effets ne se font pas attendre. Et quand il est convoqué chez le censeur, il se contente de répéter sa question, pourquoi, et de regarder son interlocuteur s’énerver. Il va même jusqu’à enregistrer l’entretien pour le poster sur Facebook ensuite… et le troisième jour, la moitié du lycée débarque sans uniforme.
Clairement, on est loin de la mutinerie. Ça peut sembler manquer de coups d’éclat, mais finalement Hormones fait là un petit tour de magie assez impressionnant.
Win ne veut pas renverser le pouvoir de son école, il veut, aussi sincèrement que possible quand on est un adolescent un peu chiant, juste avoir une bonne raison de faire ce qu’on lui dit : savoir pourquoi. C’est sa question, il veut la réponse. Et comme on lui oppose une fin de non-recevoir, il continue de poser sa question. Il se calmera uniquement quand une prof interviendra et expliquera vraiment pourquoi. La réponse qu’elle donne n’est pas exempte de toute critique, mais Win fait le choix d’arrêter là sa provocation, parce qu’il a eu ce qu’il voulait : on lui a parlé comme à une personne. Il est capable d’accepter qu’il y ait des règles pourvu qu’on n’exige pas de lui de leur obéir bêtement.
Hormones montre avec cette première intrigue qu’elle ne prend pas son public adolescent que pour des parts de marché, mais aussi pour des personnes. Et ça c’est finement joué.
Le choix de la question de l’uniforme est d’ailleurs un sujet malin pour ce premier épisode, parce qu’elle est intégrée dans la vie de chaque adolescent, la question se pose sûrement à beaucoup d’entre eux en période de rentrée après deux mois de vacances et de liberté vestimentaire tant que capillaire. Hormones fait un choix qui est, de bout en bout, celui de la proximité. La série refuse les effets de manche dés cette première intrigue, et donne le ton : il s’agit de rester dans le domaine du réalisme. Ses intentions sont claires de par les intrigues secondaires (la vie sexuelle libérée de Sprite, celle de Win qu’on verra plus brièvement, la violence morale de certains élèves entre eux, etc.), et la façon de les aborder reste plutôt honnête, mais il n’est pas question de tout de suite attaquer sur ce front. Ou attaquer tout court, même.
Ce premier épisode met fermement en place des éléments sans les imposer comme son focus central, mais sans jamais reculer devant ce que la série veut en dire (aucun jugement d’aucune sorte sur la vie sexuelle de ses protagonistes, par exemple, qu’ils soient garçon ou fille). Là où tant de séries japonaises ou sud-coréennes que j’ai vu vont à reculons, ménagent la chèvre et le chou, gardent un propos ambigu histoire de ne se mettre à dos personne, Hormones est franche, mais pas rentre-dedans. Intéressante nuance. C’est une qualité très appréciable pour un teen drama.
Ça donnerait presque envie de regarder la suite… si je n’avais pas autant de mal avec les personnages adolescents (il y a une scène de commérages qui m’a donné mal au crâne).
En tous cas, voilà l’histoire. Et si Hormones était en trending topic mondial samedi, c’est parce que la saison 2 s’achevait à la télévision thaïlandaise. Hormones, qui était prévue au départ pour ne durer qu’une saison, a en effet connu un succès phénoménal qui a aboutit sur la commande d’une seconde saison, de nouveaux personnages venant s’ajouter à ceux de la première (et recrutés par le biais d’une audition transformée en télé-crochet). Hormones connaît aussi une très belle carrière sur le web, où sa cible est tellement à l’aise, et où chaque épisode mis en ligne par la production a été visionné plus d’un million de fois. Ce qui est pas mal, avouons-le.
La liberté de son propos, probablement due au fait qu’elle est diffusée sur le satellite, lui a valu quelques petits soucis avec les autorités ; le tournage de la saison 2 a été hautement surveillé (des inspections ont eu lieu sur le plateau), puis sa diffusion a eu lieu après 22h, avec un label interdit aux mois de 18 ans.
Comme quoi.
Bon, il en faudra d’autres, maintenant, des articles sur les séries thaïlandaises…