Il y a quelques jours j’ai reçu un texto d’un ami qui a déménagé à l’étranger à l’automne dernier pour ses études, qui m’explique qu’il est à Paris cet été et que ça fait super longtemps qu’on s’est pas vus. Se pose donc la question : quand est-ce qu’on se voit ?
Pour être tout-à-fait honnête, c’est évidemment plus compliqué que cela.
D’abord parce qu’on était supposés se voir en décembre dernier et qu’il m’a posé un lapin ; je me suis retrouvée au milieu d’un marché de Noël après avoir attendu une heure et demie dans le froid (alors ok, je ne ressens pas le froid, mais mentalement ça joue quand même), en train de remonter les stands en larmes pour rentrer chez moi, parce que j’avais même pas reçu un texto, rien, et que c’était violent. Le lendemain il m’a juste envoyé un message pour me dire que ahaha, c’était idiot, mais il s’était endormi juste avant notre rendez-vous. J’ai fait ahaha devant mon portable, et ptet même dans le message de retour, mais inutile de dire que j’ai pas spécialement eu envie d’insister sur une amitié à longue distance de ce genre. Certes mon problème c’est que, les gens étant incroyablement mobiles à notre époque, des amitiés longue distance, je commence à en avoir plus que des amitiés courte distance, entre l’un qui part ici, l’autre qui part là et un autre qui muté au fond à droite, le nombre de gens dans ma vie s’est considérablement réduit depuis quelques temps. Mais à un moment faut quand même faire le tri, parce qu’on ne garde pas les gens dans sa vie juste par crainte qu’il vienne à en manquer. C’est pas une bonne raison.
Ensuite parce que dans les mois qui ont suivi, ce même ami s’est fait TRÈS discret. A l’époque où j’utilisais encore Facebook et voyais ses statuts ou photos, j’ai bien compris qu’il s’était fait une vie là-bas, et d’ailleurs fort heureusement pour lui, mais la vie étant une question de priorités, ça ne lui donnait pas envie de prendre des nouvelles de la dépressive que j’étais en train de redevenir. A part liker un statut sur les séries ou deux, ses interactions avec moi sont devenues minimalistes et, eh bien, j’avais autre chose à foutre que lui courir derrière pour lui parler de SA vie, quand la mienne était tellement bordélique, entre ma mise en arrêt pour dépression, les changements constants de prescription et tout le bazar.
Pour finir, quand il est venu en juin sur Paris, je ne consultais pas du tout mes messages régulièrement, ne venais plus vraiment sur Facebook, et n’étais pas trop en état de sortir le nez de toute façon ; j’ai envie de dire, vu le lapin qu’il m’avait posé six mois plus tôt, j’allais pas spécialement faire l’effort de sortir de mon tunnel pour esquisser quelques blagues superficielles et parler séries avec quelqu’un qui a échangé peut-être dix message avec moi depuis l’automne. Parce que soyons sérieux, l’effet c’est ça.
Mais j’ai lu son texto ya un ou deux jours en rallumant mon portable, et là j’ai eu envie de faire un rapide calcul.
Entre les amis qui se sont écartés d’eux-mêmes (et finalement ce sont mes préférés ; à chaque épisode dépressif j’ai vu ça, ils savent qu’ils ne tiendront pas le choc et ils se mettent prestement à distance), ceux qui ont pas trop compris comment réagir mais qui sont devenus plus des poids qu’autre chose (chose n°1 qu’un dépressif n’a pas envie de faire quand il est au fond du trou ? de la putain de pédagogie), ceux qui avaient sincèrement envie d’essayer (mais qui n’avaient pas les outils pour et ont fini par battre en retraite), et pour finir, les pires : les bien intentionnés qui se jurent qu’ils vont rester coûte que coûte (…qui se sont montrés à côté de la plaque, condescendants voire carrément blessants, souvent sans le savoir mais avec des effets qui pouvaient durer des semaines) que j’ai filtrés régulièrement voire, pour les plus gros cas, que j’ai carrément mis sur le banc de touche… au final, j’ai fini par bien faire le vide autour de moi. Et yavait pas spécialement foule non plus à la base parmi les amis physiques.
Les amis du net c’est encore pire, ils étaient supposés se contenter des fois où j’avais envie de communiquer et se débattre avec le silence des autres phases. Content pas content, même tarif, je faisais même pas au cas par cas tellement je n’arrivais à composer avec aucune interaction. En plus, 95% du temps, toute communication avec moi me semblait intrusive, alors finalement j’ai pris le pli de laisser tomber les réseaux sociaux aussi, même Twitter que pourtant j’aime bien. Là, comme ça c’était réglé.
La solitude de facto ne me pèse même pas. Je veux dire, des fois, oui, on n’est pas des bêtes.
Mais généralement un de mes amis IRL finit par réussir à m’appeler ou venir me voir, et dans ce cas-là je me rappelle pourquoi finalement je gère mieux toute seule.
Parce qu’après plus de 6 mois de dépression sévère ; après 6 mois de médicaments qui font soit dormir 20h par jour, soit pas du tout ; après 6 mois passés à expliquer que les cauchemars ci et les flashbacks ça ; après 6 mois à n’avoir plus le goût à rien (même pas faire ce que j’aime), ou alors au prix d’attaques de panique pouvant durer des heures (mon record c’est 5h pour sortir de chez moi et aller à la Poste), bah la réalité, c’est que les gens ont juste terriblement envie de passer à autre chose.
Je peux pas leur en vouloir parce que… Un secret ? Moi aussi.
Mais ch’peux pas, voilà. Le fait que ma thérapeute m’ait annoncé qu’elle ne reviendra pas après les vacances parce qu’elle est en arrêt jusqu’en janvier (je suspecte une grossesse) n’aide pas tellement à avancer NON PLUS. Donc j’ai dû recommencer à voir quelqu’un d’autre, qui s’est senti obligé d’ajuster mon traitement, sauf que ça marche pas, je redors mal, je ne mange même plus, bref du coup on reprend depuis le début… alors passer à autre chose ? Pour le moment ça ne marche pas.
Donc on a atteint le stade où les gens sont juste frustrés lorsqu’ils sont en contact avec moi, soit parce qu’ils ne comprennent pas mes réactions, soit parce qu’ils ne savent pas quelle devrait être la leur, soit même les deux.
Alors ils tentent de changer de sujet mais je ne peux pas changer de sujet, mon quotidien c’est de n’avoir que ça en tête, au point de même pas être capable de regarder UN épisode de série de plus de 20 minutes, parce que j’arrive pas à me concentrer, et que mon quotidien c’est exploser en larmes à 4h du matin et me dire PUNAISE C’EST GÉNIAL PARCE QUE CA FAIT DES MOIS QUE J’AI PAS PLEURÉ, et mon quotidien c’est essayer de vaguement fonctionner et ça demande une énergie folle et puis au final je finis quand même par faire des cauchemars et être tétanisée, alors merde à quoi bon se tirer du lit.
Mes proches tentent de parler de séries, mais j’ai plus rien à dire ou alors des trucs que je leur ai déjà dit parce que ça fait plusieurs semaines que je n’ai pas ouvert un site sur les séries, et même pas le mien. Et que les coffrets DVD s’empilent sur un coin de bureau parce que pfff je vais même pas comprendre ce que je regarde de toute façon. Et en plus ça me frustre de ne pas m’intéresser aux séries alors je m’énerve. Et puis je voudrais qu’on parle de moi, moi-moi-moi, pas de séries, et cette façon de prendre la fuite m’agace. Eh oui, je suis très nombriliste quand je suis dépressive, il parait que c’est normal mais je m’en fous de la norme, je veux juste pouvoir dire ce qui me pèse et ne pas avoir droit à des platitudes du style « nan mais toi tu es forte, tu vas t’en sortir », alors que ça fait des mois que je m’en sors pas. Sérieusement, d’où vous tenez que je suis forte, je suis en dépression sévère depuis janvier !
Résultat des courses j’ai encore moins envie d’avoir des contacts avec les gens même si à une époque je les aimais bien. Je crois. J’en ai le vague souvenir en tous cas.
Sans compter qu’il y a ceux qui sortent des trucs racistes, homophobes et/ou sexistes, et t’as juste envie de leur dire que, autant le reste du temps, bon, on va discuter, échanger, expliquer, autant là c’est juste grossier voire violent, que je peux pas tolérer ça et qu’ils peuvent gracieusement aller voir ailleurs si j’y suis. Et comme en cas de dépression, on a tendance à éviter la confrontation, on attend d’avoir atteint le stade de non-retour pour finalement ignorer encore plus les gens. Et vu que personne ne veut se remettre en question, lady abandonne toute diplomatie et arrête juste de parler aux gens comme si elle ne savait pas qu’ils existent, sachant pertinemment que personne n’aime être traité comme ça.
Par exemple quand je dis que je songe à adopter un troisième chat et que mon plus vieil ami, celui qui en plus m’a vue adopter les précédents pendant une dépression antérieure (et pour cause puisqu’à l’époque on vivait ensemble), qui en plus est également passé par une dépression donc on pourrait croire qu’il comprend, et qu’il trouve juste à me demander à partir de combien je deviendrais une cat lady, j’ai juste envie d’enterrer ses mails dans une fosse à purin et effacer son numéro de mon répertoire. Punaise mec, si ta première réaction c’est me demander si mon choix sera validé par la société alors que j’en suis à me dire qu’adopter une boule de poil est le seul projet que j’arrive à avoir en ce moment, prends le grattoir de TES deux chats et mets-toi le où je pense. Et quand je fais remarquer avec délicatesse, je cite, que « cat lady est un terme sexiste » et qu’en face j’obtiens un « oh bah je veux pas que ça dégénère, bonne nuit », mais tu sais quoi ? Ça a déjà dégénéré. Le fait d’ignorer à quel point ton sexisme est blessant parce qu’il m’a occultée en tant que personne juste pour pouvoir faire une blague facile et inutile sur les filles-à-chats, et prouve toute l’importance que mon bien-être a à tes yeux. Quoi, j’en fais trop ? MAIS DUDE, TA PREMIERE REACTION A ETE DE VALIDER MON CHOIX PAR L’IMAGE QUE JE RENVOIE EN TANT QUE FEMME. Te pose surtout pas de questions, hein, t’as raison, évitons que ça ne dégénère.
Bon c’est juste l’épisode le plus récent mais j’ai droit depuis six mois à une collection de vainqueurs, c’est hallucinant. C’est pas que j’ai besoin que mes proches soient farouchement féministes et s’égosillent contre la fermeture de centres IVG, c’est juste que je voudrais être considérée comme une personne, accessoirement une personne qui souffre beaucoup en ce moment, et que si on peut m’épargner les stéréotypes sexistes je m’en porte mieux. Et que je peux juste pas encaisser les démonstration de violence, toute casual soit-elle, dans l’état où je suis.
Alors au juste, que devraient faire les gens dans mon entourage ? Sérieusement, lady, si ya un truc qu’il faut faire, faut le leur dire ! Écrire un guide, quelque chose ! S’épargner toutes ces conneries ! Sauvegarder ce qui peut l’être ! Que faut-il donc faire quand on a un proche dépressif ?
J’ai réfléchi et réfléchi et réfléchi.
Vous pouvez faire semblant que tout va bien et engager la personne exactement comme lorsqu’elle n’était pas au fond de son trou, mais hélas il faudra bientôt se rendre à l’évidence que la personne est changée, et qu’on ne peut plus interagir avec elle comme lorsqu’elle allait « bien » (c’était déjà tout relatif mais on pouvait encore se permettre de l’ignorer ; là, plus du tout).
Vous pouvez décider d’agiter la personne en espérant tirer une réaction d’elle, mais le seul résultat qu’on peut obtenir, et c’est dans l’hypothèse où ça donne quoi que ce soit, c’est que tous les deux allez vous fâcher très beaucoup.
Vous pouvez essayer de faire sortir la personne de sa tanière et peut-être même de la divertir mais vous allez vite constater que les dépressifs sont des gens d’une efficacité étonnante lorsqu’il s’agit de faire semblant de s’amuser puis de retomber dans un état proche du rigor mortis dans la seconde qui suit ; la vérité c’est que plus on perçoit que vous n’avez rien trouvé d’autre que « essayer de nous changer les idées », plus on fait semblant que ça marche.
Vous pouvez prétendre que vous allez offrir tout un tas de choses positives et d’affection et d’attention à la personne, mais ça va s’avérer être au-dessus de vos forces pile quand elle va s’y habituer, à la suite de quoi son état va empirer, donc oubliez. Si vous n’avez pas la patience de faire ça pendant des mois, ne le faites pas du tout.
Vous pouvez tenter une discussion à cœur ouvert sur la dépression mais au bout de la 712e fois, généralement au moment où la personne a enfin réussi à s’ouvrir sur un truc particulièrement sombre qui la hante et dont elle n’avait jamais parlé avant, vous allez craquer et sortir un truc comme : « ah bah je suis bien contente » ; c’est du vécu. Juste parce que vous avez fait un craquage complet et que vous ne tolérez plus d’entendre quelqu’un se plaindre alors que vous aussi vous avez des soucis (et pas moins pires, à votre avis), et que vous avez voulu dire quelque chose de positif et qu’il n’y avait rien à dire de positif alors vous avez paniqué. Et maintenant la personne vous trouve extrêmement, mais alors, extrêmement cavalier. Et ne vous parlera plus. Et finalement yavait rien qui pouvait sortir de bon d’une conversation à cœur ouvert avec un dépressif, maintenant que vous y pensez à tête reposée.
Alors, quoi ? Qu’est-ce qu’il reste ?!
ALORS, LA RÈGLE D’OR QUAND L’UN DE VOS PROCHES EST DÉPRESSIF, QU’IL A DU MAL A AVOIR DES INTERACTIONS AVEC LES GENS ET QU’IL EST BLOQUE DANS UN CERCLE VICIEUX, C’EST QU’IL FAUT FAIRE : rien.
Rien.
Mais soyez prêts à vous le faire reprocher ensuite, évidemment.
Disparaissez et laissez faire soit les professionnels, soit la nature. Revenez quand tout ira mieux si vous y tenez encore ; la plupart des dépressifs savent très bien que c’est plus confortable pour vous et ne vous en tiendront que modérément rigueur. Normal quoi, personne n’aime être abandonné. Mais juste, arrêtez. You’re trying too hard and it shows. Décampez, dégagez, foutez le camps, revenez si vous êtes invité. Jusque là vous avez merdé, admettez votre défaite et on pourra ptet se reparler plus tard. Peut-être. On verra.
En tous cas là dans ces conditions, ça va pas être possible.
Message reçu, tu sais ou me trouver. Bon courage.
Je l’ai relu deux fois car ce texte m’a marqué. Très intéressant car j’ai une personne dans mon entourage qui est dans une situation comparable (mais pas identique) et tes explications me permettent de comprendre certaines réactions et de me poser des questions sur mon attitude.
La conclusion est dure. Comment expliquer à des gens qui t’apprécient, qui veulent t’aider que le mieux qu’ils puissent faire, c’est rien. C’est un peu violent et malgré tout, t’expliques très bien que c’est la chose à faire. dans ton cas, au moins, car je trouve qu’on peut difficilement comparer les dépressions des uns et des autres (déjà qu’on a pas tous la même définition du même dépression)).
L’historie de la « cat lady » est juste incroyable.
En tout cas, tu as pris le temps d’écrire et de sortir toutes ces choses. Je me demande si la rédaction de cet article a été difficile pour toi ou si elle a été facile. En tout cas, moi je viens ici pour lire sur les séries à la base, m
So say we all.
J’en ai parfois voulu a ceux qui s’eloignaient comme si j’avais la peste, mais avec le recul ce sont ceux qui m’ont le moins deçue. C’est bete a dire, mais quelqu’un qui n’a jamais experimente personnellement la depression a tres peu de chance de comprendre comment ca marche : l’empathie, la vraie, n’est clairement pas mainstream, on lui prefere souvent la pitie un poil embarassee.
C’est toujours interessant de te lire. Bon courage pour la suite.
P.S. Du coup je google pour rigoler et je vois que le bouquin « Depression For Dummies » existe… wow.