Quand je vous disais que Séries Mania est l’occasion de regarder (enfin !) des séries sur lesquelles je garde un oeil depuis des lustres, c’est pas juste parce que j’étais membre du jury de blogueurs et que je suis corporate. C’est aussi parce que c’était l’opportunité de se prendre une coup de cœur imprévu
Désolée d’avance pour le suspense, mais : oui, Arvingerne (projetée sous le titre The Legacy) est ce nouveau coup de cœur ! Ça faisait longtemps.
Pendant Séries Mania, j’ai tout entendu sur Arvingerne ; j’ai même entendu le mot « soapesque ». Si parler d’histoires de famille est par définition soapesque, alors admettons. Sinon, je ne comprends pas cette logique : Arvingerne est une œuvre d’émotion et de questionnement, et son pilote, à la mise en place lente et à l’exposition parfois contemplative, est tout le contraire d’un soap.
La série s’ouvre sur le visage d’une femme un peu âgée, fatiguée, et vraisemblablement abattue, qui s’allume une cigarette prestement alors qu’elle a à peine fait trois pas hors d’un service d’oncologie, et contemple le ciel en silence. Plus clair, on ne fait pas. Arvingerne nous dit clairement ce que cette femme vient de vivre (sans passer par le cliché de la scène de la révélation par le médecin, bourdonnement dans les oreilles inclus), et le genre de nouvelle qu’elle vient de recevoir.
A partir de là, tout aura un goût de « dernière fois », pour elle comme pour nous. Je suis particulièrement sensible à ces atmosphères d’adieux interminables, c’est quelque chose qui m’émeut personnellement, que je fais d’ailleurs facilement, et je trouve toujours plus déchirant qu’un personnage se prépare à une séparation, plutôt qu’il n’en souffre une fois celle-ci réalisée. Dans le cas de cette mort qu’on sent rapidement pendant cette scène d’ouverture, il faut cependant admettre qu’Arvingerne nous annonce un adieu… avec des choses qu’on ignore. Quelle est la vie de cette femme ? On sait juste que son pantalon est taché de peinture…
La séquence devant le service d’oncologie n’est pas très longue, mais elle suffit à la fois à se lier à cette inconnue, à travers le deuil que son regard semble faire de plein de choses, et à la fois à se demander ce qu’elle quitte. Ce qui tombe bien, parce que c’est précisément ce que le pilote d’Arvingerne veut nous présenter.
Assez rapidement, le pilote se charge de poser des repères ; très vite dans l’épisode, on va ainsi nous dire clairement qu’on est le 23 décembre (veille de Jul), on va nous expliquer que notre dame d’un certain âge est une artiste du nom de Veronika Grønnegaard, dont la fille Gro gère une exposition, qui n’a pas vu son fils Frederik depuis un an, et dont le fils cadet Emil est en Thaïlande. Les informations se suivent sans ressembler à du bourrage de crâne, suivant Veronika au fur et à mesure de sa veille de Jul alors qu’elle se fait livrer des fleurs, rentre dans l’atelier immense qu’est sa demeure, passe des appels… La fluidité de l’ensemble permet simplement d’entrer dans sa vie, avec (ou sans, dans le cas de Frederik) ses enfants, ses petits enfants, ses assistants, son ex-mari Thomas aussi…
Mais l’existence de cette première scène de solitude immense, devant le service d’oncologie, est impossible à oublier. Et du coup, chaque interaction ne saurait plus être mineure. Tout semble faire partie de préparatifs qui dépassent largement les fêtes de Jul, sauf que nous sommes les seuls dans la confidence, Veronika ne soufflant mot à qui que ce soit de sa visite médicale. Ce secret que nous gardons nous fait ressentir certaines choses avec une émotion décuplée, par exemple quand Frederik passe déposer ses enfants pour qu’ils passent le dîner de veille de Jul chez Veronika leur grand’mère, et qu’il refuse ne serait-ce que de la saluer.
Le dîner que Veronika passe avec ses petits-enfants, Gro, Robert (qui travaille également pour elle), et Thomas, a quelque chose de fantastique à cet égard. On y vit un repas qui devrait être normal, et qui d’ailleurs décrit bien ce qu’est la normalité de cette famille truffée d’artistes et d’esprits libres (sauf Gro qui est vraisemblablement la « sérieuse » du clan), dans un esprit post-68 voire même bloqué en 1968 si on veut être médisant, et on s’y sent bien. Moi j’étais vraiment bien, là, attablée avec Veronika qui tentait d’inspirer le goût du voyage et la curiosité à son adolescente de petite-fille. En fait j’étais tellement bien avec la famille Grønnegaard, ou en tous cas, cette partie de la famille présente pour cette fête de Jul, que ça m’a fait éclater en sanglots soudain de me rappeler du service d’oncologie.
L’espace d’un instant, j’avais oublié que la seule raison pour laquelle on nous montre justement, dans le détail, ces minutes chaleureuses passées avec ses proches, c’est que Veronika a reçu une mauvaise nouvelle ce matin, qu’elle n’en a parlé à personne, et que tout a un goût de « dernière fois ». C’était un passage très fort, à la fois magnifique sur la description de l’univers Grønnegaard, et très fort dramatiquement.
Le pilote d’Arvingerne ne se contente évidemment pas de descriptions, vous l’aurez deviné. L’intérêt étant de nous préparer pour quelque chose de tragique, mais pas seulement.
Toute la finesse de l’épisode est de nous présenter un personnage, la fleuriste Signe, sans nous expliquer son rôle dans cette affaire. On peut le deviner ; en fait, au bout d’un moment, ça devient difficile à ne pas deviner, surtout quand Veronika prend le prétexte d’une livraison de fleurs pour essayer de faire connaissance de Signe. Il nous manque certaines informations aussi claires que celles que nous avons quant au reste de l’existence de Veronika, mais il est clair que la jeune Signe, toute embarrassée qu’elle soit devant cette vieille cliente un peu envahissante (quoique généreuse), est très importante. Signe ne comprend pas pourquoi Veronika tente autant de lui parler, et nous pas tout de suite non plus, mais cela nous permet, quelque part, de nous lier avec cette inconnue.
Alors bien-sûr, cet épisode de lancement pour Arvingerne n’est pas parfait, mais si vous comptez lire ce paragraphe, soyez averti qu’il peut contenir des spoilers. Il semblera à beaucoup que voir mourir Veronika, puisque c’est le cas (c’est en fait l’évènement déclencheur de la vraie problématique de la série) est un peu précipité. Mais bon, il fallait bien y venir pour que le reste se mette en branle, alors soit. J’ai été très touchée par la réaction des différents personnages, aussi bien dans l’urgence qu’une fois Veronika à l’hôpital. J’ai trouvé magnifique la loyauté sans faille de Gro alors qu’on sent qu’elle en souffre, et qu’il s’agit souvent pour elle d’une proximité étouffante ;j’ai trouvé désarmante la réaction de Frederik en apprenant la mort de sa mère à laquelle il n’a pas parlé depuis un an, et ne parlera plus jamais ; quant à la réaction de Signe, c’est le point de départ d’une quête intérieure qui est en soi un parcours émouvant, et finalement assez peu étudié dans les séries (plutôt réservé aux films/téléfilms).
Et du coup, j’étais conquise par Arvingerne, par la profondeur de ses émotions. Par les questions qu’elle pose déjà pour l’avenir. Par la façon dont son pilote veut décrire une famille ni totalement fonctionnelle, ni totalement atypique. Nous avons eu une heure pour apprécier le goût de « dernière fois », et maintenant notre regard sur la séparation va être différent. Et c’est hyper important de réussir à donner un ton pareil à une série, c’est ce qui fait tout son potentiel dramatique.
Si tous les soaps étaient comme ça, j’en regarderais/parlerais beaucoup plus souvent !
On sait d’ores et déjà qu’Arvingerne va être diffusée prochainement au Royaume-Uni sur Sky Arts… pour la France, le plus tôt sera le mieux.
En attendant restez dans le coin, on va vite reparler d’Arvingerne dans ces colonnes…