Autre avantage d’évènements comme Séries Mania : ça me met un bon coup de pied à l’arrière-train pour enfin terminer quelques unes des dizaines de reviews que je commence puis garde en brouillon pendant des siècles. Parce que du coup je me dis : vu que la projection de Série noire a fait salle comble, je pense qu’il y a des gens que ça va intéresser d’en discuter ! Vous me corriger en commentaires si je me trompe, hein.
D’autant que des projets comme Série noire, on n’en voit pas tous les quatre matins. Commandée en 2012, la série nous embarque en effet dans une quête artistique !
Denis et Patrick sont deux amis qui ont écrit ensemble une série pour la télévision publique, intitulée La loi de la justice. La célébration de leur season finale est cependant de courte durée : ni les critiques, ni même leur entourage, n’apprécie le tour qu’a pris la série. Les articles tous plus négatifs les uns que les autres paraissent dans la presse, et la série est clairement un gros échec artistique ; il faut dire que Série noire s’ouvre précisément sur des images de La loi de la justice, nous laissant entrevoir l’ampleur des dégâts, et effectivement, c’est difficile de ne pas tomber d’accord avec les reviews lapidaires des dernières minutes de la série !
Et pourtant, grâce au buzz, les audiences de La loi de la justice ont été formidables, ce qui pousse la chaîne à commander une saison 2. Bonne nouvelle ? Oui et non. Totalement désœuvrés par les critiques, Denis et Patrick décident d’écrire une nouvelle saison de qualité. Mais pour ces deux scénaristes au talent, disons, discret, le défi n’est pas des moindres…
Autant vous le dire tout de suite : n’espérez pas trop de Série noire qu’elle s’attaque avec mordant à l’univers de la télévision. Ce n’est pas son objet, et pour être sincère avec vous, je pense que c’est mieux comme ça. Bien que mettant en scène les usual suspects (scénaristes à l’ego artistique blessé, producteurs hautement intéressés, entourage totalement blasé, et même journaliste de télé sans pitié), la série n’a pas spécialement envie de nous décrire les coulisses d’une fiction. Et après tout, pour ça on a déjà eu Action!.
Série noire s’intéresse au contraire au procédé d’écriture que Denis et Patrick vont mettre en place pour retrouver leur fierté d’auteurs atteints dans leur intégrité. Après une saine dose d’exposition, le pilote commence en effet à apporter de l’éclairage sur ce processus : les deux scénaristes vont se mettre dans des situations analogues à celles de leurs personnages, et tirer partie de leur expérience réelle pour écrire la suite de leur série.
Derrière le concept a priori sympathique, se cache en fait un procédé très pervers. Ils vont en effet mettre en place cette technique d’écriture sans en informer qui que ce soit, et évidemment leur entourage en dernier lieu. Désormais ils vivent eux-même une fiction, et se jouent de leurs proches en guettant leurs réactions pour mieux trouver un ton « réaliste », mais ce faisant, et en mettant famille et amis dans des situations souvent douloureuses, les auteurs sacrifient sur l’autel de leur créativité tout lien avec leur réalité. A un tel point que bientôt, leur vie elle-même devient très compliquée, lancés qu’ils sont dans la quête d’un retournement de situation qui n’arriverait pas dans leur quotidien s’ils ne le précipitaient pas.
Ainsi Série noire n’a pas grand’chose d’une satire sympathique de l’écriture, et devient assez rapidement un jeu malsain de deux pseudo-artistes qui vont gâcher leur vie plus qu’elle ne l’est encore. Car ni l’un ni l’autre n’ont besoin de ça : la vie maritale de Denis est à l’agonie (il va bientôt découvrir que sa femme Judith a très peu le désir d’arranger les choses), et Patrick est quant à lui un célibataire qui vit dans la nostalgie d’une relation passée avec son ex Léa. Se jouer de leur entourage apparait donc comme plus auto-destructeur qu’autre chose. Pour leur art, les deux amis vont tout mettre en péril (y compris leurs vies !)… tout ça pour l’écriture d’une saison ! Sans même songer à ce qui se passera une fois l’écriture des épisodes achevée…
Et pourtant, se pose la question : que pourraient-ils faire d’autre ? Ils manquent vraisemblablement de talent, ont une imagination qui les pousse au ridicule, et ils ne vont quand même pas abandonner la série, puisque c’est la seule chose qui les fasse vibrer. Il semble tout aussi illusoire d’espérer que Denis et Patrick vont admettre leur défaite créative, admettant qu’ils écrivent un soap rocambolesque sans grande ambition ; à aucun moment ne se pose la question de jeter l’éponge pour cette fois, et finalement, c’est bien le seul angle sous lequel les deux héros ne font preuve d’aucun cynisme. Finalement, trouver une nouvelle source d’inspiration est un peu la seule voie qui s’ouvre à eux s’ils veulent conserver un peu d’estime pour leur travail, et donc pour eux-mêmes, mais la technique qu’ils mettent en place pour cela va tout de même les embarquer dans une spirale tragique…
Malgré le propos de fond de Série noire, on n’a quand même pas envie de s’ouvrir les veines devant la série, je vous rassure. Dans la salle de Série Mania, ce n’était pas l’hilarité (le ton dramédique grinçant n’y est pas propice), mais des frissons de rires traversaient certaines zones du public à différents moments ; chacun trouve de quoi sourire ou rire devant les épisodes, à son rythme, et selon son seuil de tolérance. Je dois dire que le ton amer des personnages, mis en contraste avec les situations dans lesquelles ils se mettent, a plutôt eu sur moi un effet d’horreur ordinaire ; je n’avais pas envie de m’esclaffer, mais je le faisais parfois pour évacuer une certaine nervosité.
Les créateurs de Série noire attendent d’être fixés sur leur sort très bientôt ; je ne sais pas encore comment fini la saison 1, mais je leur souhaite de n’avoir pas à arriver à de telles extrémités si jamais leur série était renouvelée.