100% des perdants ont tenté leur chance

3 mai 2014 à 10:14

On aimerait parfois pouvoir penser que tout ce qui provient d’un pays donné est forcément de qualité. Depuis quelques années qu’Israël a le vent en poupe, par exemple, la tentation est forte de mettre toutes les fictions dans le même panier ; il y a les séries qui connaissent un succès mondial (BeTipul), celles qui ne nous parviennent pas mais qui sont des perles (Kathmandu), et à peu près toutes les nuances entre les deux. On oublie aussi un peu de dire que tous les pays ont leurs bons et leurs mauvais projets.
C’est de l’un de ceux-ci dont je voudrais vous parler aujourd’hui, Easy Money. Essentiellement parce que plus vite ce sera fait, plus vite je pourrai oublier.

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Produite la chaîne par Keshet, Easy Money (pour l’instant trouvée uniquement sous son titre international ; je mettrai à jour en temps voulu) est une comédie d’une demi-heure dans laquelle Eli, un cinquantenaire désabusé, gagne au loto.
L’originalité essentielle d’Easy Money, pour ne pas dire la seule, c’est qu’ici, il n’y a qu’un gagnant, quand tant de séries partant d’un même pitch sont généralement des ensemble shows, de Windfall à The Syndicate (en passant par son très éphémère remake Lucky 7), en passant par Rang 1. Après, ça a ses bons comme ses mauvais côtés, mais au moins l’angle abordé est structurellement différent, et évite la redite.

Eli est marié à Sari, une femme un peu plus jeune que lui, et qui surtout dirige la maison d’une main de fer, d’autant qu’en travaillant dans le cabinet d’avocat que tient son propre père, elle est extrêmement bien payée et que le foyer vit sur son salaire. Eli, en tant que petit agent en assurances, vit donc plus ou moins à ses crochets, ce qu’elle entend bien lui rappeler plus ou moins explicitement à intervalles réguliers. D’autant que les finances du couples sont dans le rouge : convoqués par leur banquier, ils apprennent qu’ils ont un découvert de 25 000, et que de surcroît, c’est Eli qui dépense le plus des deux. Son épouse ne le lui laisse pas oublier et lui rappelle qu’elle gagne 8 fois plus que lui, et qu’il serait temps qu’il arrête de profiter d’elle. Furieuse, elle lui dit qu’elle veut divorcer. Au passage, notons que Sari n’est pas plus heureuse en ménage qu’Eli : elle le trompe allègrement avec l’un de ses collègues de travail, et la simple vue de son mari a tendance à l’insupporter au plus haut point.

La seule chose qui est bien dans la vie d’Eli, c’est son meilleur ami Herzl, un célibataire aux tempes grisonnantes qui tient une modeste blanchisserie.
Hélas les affaires de son commerce ne sont pas très florissantes, et il est submergé par les dettes. Il a en effet emprunté de l’argent à un certain Mr Kuzinsky, une espèce de Parrain local ; l’épisode commence pour Herzl alors que Kuzinsky vient lui réclamer l’argent dû et que Herzl admet qu’il essaye d’emprunter cette somme pour le rembourser au plus vite. Résultat : à force de chantage, Kuzinsky parvient à convraincre Herzl de lui emprunter l’argent qu’il doit utiliser pour le rembourser. Logique boiteuse et séquence potentiellement drôle, mais tellement mal mises en images, et dialoguées avec si peu de finesse, que finalement on passe à côté de l’absurde de la situation si on n’y prend pas garde.

Eli et Herzl ont un loisir dans la vie : aller au tabac du coin, tenu par la ravissante Marina, une immigrée russe, ainsi que sa vieille mère. Là, ils peuvent refaire le monde à volonté, mais aussi boire un coup et jouer au loto. Eli se prend à rêver que, s’il avait de l’argent, il ferait disparaître sa femme qu’il abhorre tant ; Herzl songe à ses dettes envers Mr Kuzinsky, quant à Marina, elle a désespérément besoin d’argent. Ils sont donc tous les trois faits pour s’entendre.
Lorsque Marina reçoit un appel de l’équivalent de la Française des Jeux, qui lui annonce qu’un ticket gagnant a été enregistré dans son tabac, les deux vieux amis décident de vérifier le billet rempli par Eli quelques jours plus tôt… et c’est effectivement la victoire !

Eli a donc gagné 70 millions, ce qui serait une bonne nouvelle si le billet vainqueur ne s’envolait pas par la fenêtre.
Le pilote d’Easy Money se perd alors dans une rocambolesque aventure sans intérêt pendant laquelle Eli et Herzl se lancent à la poursuite du ticket gagnant, ce qui les oblige à passer à une veillée funèbre d’un voisin ou aller visiter des égouts. Tout cela est fort captivant. On a l’impression d’être dans une comédie française, à un moment. Ne manque que Dany Boon.

Finalement, ce premier épisode d’Easy Money, trop content d’essayer de faire rire le plus petit dénominateur commun parmi ses spectateurs, en oublie de mettre en place son intrigue avec intelligence. Un passage hélas tardif nous rappellera que, si cet argent providentiel permet à Eli de ne plus être forcé de vivre aux crochets de Sari (il a les moyens d’être autonome), tout divorce entraînerait automatiquement la division par deux du gain total. Or, s’il y a bien une chose qui ulcère Eli, c’est l’idée qu’elle récupère le moindre centime. En toute fin d’épisode, il rentre donc piteusement pour se rabibocher avec Sari, et ainsi éviter le divorce dont pourtant ils rêvent tous les deux. Sari, une fois de plus inflexible, ne veut rien entendre, et désormais Eli (en dépit des conseils de Herzl et Marina) va tenter de sauver son mariage juste pour que son épouse ne touche rien, espérant préserver le secret de son gain… ou peut-être trouver une troisième solution ? La conversation en début d’épisode, au tabac de Marina, le laisse en tous cas penser.

Mais en enterrant trop vite son exposition, Easy Money ne nous donne aucune envie de nous inquiéter pour le sort d’Eli. On le trouve, en fait, profondément antipathique. D’abord parce qu’il vit aux dépens de son épouse, qu’il déteste alors que c’est lui le poids mort (elle est quand même en droit de rouspéter vu le gouffre financier dans lequel il l’a plongée !). Ensuite parce que sa première pensée après avoir gagné va pour sa femme, qu’il cherche à déposséder de tous droits sur l’argent gagné au loto (…alors qu’on sait qu’ils sont dans le rouge et qu’il pourrait au moins se dire qu’il va la rembourser pour le découvert), et qu’il n’a aucune considération ni pour les soucis de son ami Herzl, ni pour ceux, formulés pourtant très explicitement en sa présence, de Marina. L’égoïsme d’Eli pourrait être drôle, mais la série essaye au contraire de faire de lui un héros pour lequel les spectateurs devraient démontrer de la compassion ; ça ne fonctionne pas du tout.
Vu la façon dont le ticket gagnant du loto s’envole de façon artificielle dans cet épisode, il y a de toute façon peu à attendre de l’humour d’Easy Money. Même s’il devait finir par envisager de faire liquider sa femme, Eli n’a rien d’un personnage drôle (ni même méchamment drôle), et les séquences « comiques » manquent tant de finesse qu’il faudrait sûrement souffrir avant d’en arriver là.

Il faut quand même admettre que rares sont les séries à s’en tirer avec ce fichu pitch du loto. Hors The Syndicate, qui aura une troisième saison, le sujet est probablement même maudit. Easy Money est une nouvelle victime de cette damnation, et ne comptez pas sur moi pour la pleurer si elle ne nous arrive jamais.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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