« I’ve got a damned good body. Nobody’s looked at it in years, let alone touched it. The body beautiful. The body innocent. It’s done nothing. But the mind… it has. It’s sinned. Oh, how it’s sinned ! Twisted, cowardly, perverted… disgusting sins. »
(Brother Francine, The Devil’s Playground)
En lançant cette année une série faisant suite au film The Devil’s Playground, l’opérateur de télévision FOXTEL a fait un choix qui peut sembler de prime abord un peu facile : le long-métrage, sorti en 1976, compte parmi les films les plus audacieux et les plus célébrés du cinéma australien. Son propos semi-autobiographique a permis au réalisateur Fred Schepisi (plus tard responsable de la mini-série Empire Falls pour HBO) d’explorer certains thèmes qui lui sont chers. Alors a priori, il y a de quoi penser que la prise de risque n’est pas bien grande, et qu’il s’agit uniquement de faire du neuf avec du vieux. C’est le sujet de The Devil’s Playground qui fait toute la différence : il se déroule intégralement dans un séminaire catholique, dans lequel de jeunes garçons ayant trouvé la vocation se préparent à entrer dans les ordres. Plus encore, le film fait de son objet central le questionnement autour de la délicate question, dans la vie des religieux, de la place du corps.
Les 2 premiers épisodes de Devil’s Playground, la série (et cette fois sans le « The »), ont été proposés lors de Séries Mania hier ; ils ont prouvé aux festivaliers que 35 ans après, la question a toujours sa pertinence. Mais qu’il existe différents angles sous lesquels l’aborder.
Devil’s Playground est un sequel qui pourtant, ne nécessite pas absolument d’avoir vu le film d’origine ; c’est une bonne nouvelle pour ceux d’entre nous qui ne l’ont pas vu !
Le film traite du parcours d’un personnage central, Tom Allen (incarné par Simon Burke), qui était un jeune séminariste de 13 ans se préparant à devenir prêtre mais doutant profondément de son aptitude physique à suivre sa vocation. Désolée de vous spoiler, mais à la fin du film, Tom décide de quitter le séminaire de Melbourne et de rejoindre sa famille. Dans la série, 35 ans plus tard (et toujours incarné par Simon Burke), il a fini par se marier, avoir deux enfants, devenir psychiatre et finir veuf, mais la série n’explore pas beaucoup ses tourments personnels, qui restent au second plan. Il est en revanche confronté à la mort du fils d’une amie proche, lequel est élève dans un internat voisin de l’église que les deux familles fréquentent. Cette mort se produit alors que le séminaire est en proie à des démons intérieurs que la série se charge d’explorer.
Tom, qui juste avant les évènements, a accepté de servir comme psychiatre du clergé, devient donc plutôt l’équivalent d’un enquêteur ayant un pied dans l’Église, un pied dans le monde extérieur, et qui va tenter de comprendre à la fois ce qui est arrivé au jeune défunt, et de dénouer les fils qui rendent son immersion dans le monde religieux complexe et inquiétante.
Là où The Devil’s Playground interrogeait autant les troubles de Tom que ceux des frères du séminaire, laissant une large place aux interrogations des religieux adultes sur la portée de leur engagement, notamment sur le plan sexuel, Devil’s Playground fait le pari d’interroger presque exclusivement les adultes.
Cette fois, c’est cependant dans les couloirs du diocèse de Sydney que les choses se passent. La série prend un tour plus politique, qu’on a d’ailleurs pu voir dans Ainsi Soient-Ils, impliquant les plus haut dignitaires et leurs tentations parfois peu avouables. S’il existe encore quelques religieux aux fonctions modestes, la présence de l’évêque (John Noble, Fringe) et de ses plus proches collaborateurs (dont l’un est incarné par Don Hany, East West 101, Tangle ou Serangoon Road), ainsi que d’une députée (Toni Collette, United States of Tara… mais surtout se tenant aussi loin que possible de Hostages), rend la série moins humble dans l’objet de son étude.
Ce n’est plus seulement le rapport au corps et à la sexualité qui est ici détaillé, mais aussi l’ambition dévorante, et la montée de personnages conservateurs, voire carrément réactionnaires. La sexualité devenant alors, est-on amenés à présumer (mais sans en avoir une confirmation explicite pendant les 2 premiers épisodes), plutôt ce qui se dresse entre l’ambition et la réussite. Ce n’est pas vraiment la façon dont les religieux vivent leur sacerdoce qui est ici sous le feux des projecteurs, mais la façon dont leurs manquements peuvent porter du tort à leur image, donc leur carrière.
Les points communs sont donc moins nombreux que les différences. Le film The Devil’s Playground trouverait en fait un meilleur héritier dans la série israélienne Urim ve Tumim, dans sa description des tabous, mais aussi de la routine parfaitement ordonnée de la vie de séminariste, des obligations morales et institutionnelles, et des doutes de chacun. Des sujets que Devil’s Playground, la série, effleure mais conserve au second plan, à l’instar de Tom Allen qui, parce qu’il est un homme juste qui a pris ses distances avec l’Église (bien qu’il conserve une grande loyauté, très bien décrite), ne revêt plus autant d’intérêt pour une intrigue qui parle moins de tortures intérieures, et plus d’arrivisme.
Il est intéressant de noter la façon dont la « franchise » traite son contexte historique. The Devil’s Playground se déroulait en 1953, et que Devil’s Playground se déroule donc 35 ans plus tard, en 1988. C’est, comme le fera remarquer Simon Burke, une époque pendant laquelle l’Église australienne est traversée par des scandales ; en cela, la série s’inscrit donc dans des faits réels de la fin des années 80. Mais en-dehors de cela, le plus étonnant est la façon dont elle est réalisée, comme si tout était mis en œuvre pour nous faire oublier que la série se déroule à une époque précise. Il faut vraiment faire attention aux détails (par exemple personne n’a de portable, et un appel sera passé d’une cabine téléphonique) pour percuter. En ce qui me concerne, j’ai eu la même impression avec le film, en fait.
Et du coup, le film comme la série sont parfaitement intemporels. C’est un peu déstabilisant, à une époque où tant de séries historiques ont à cœur de nous rappeler combien leurs costumes, leurs décors ou leurs musiques sont bien reconstitués.
Le visionnage du film et de la série peuvent donc être totalement indépendants, selon ce qui vous intéresse.
La série, moderne dans sa façon d’essayer d’insérer la mort d’un séminariste pour prendre l’aspect d’un thriller et ainsi rester dans les eaux familières de la série à-peu-près policière, est pour le moment moins touchante que le film ne l’était ; le film, en revanche, reste en circuit fermé, ne s’intéressant pas à des « civils ». Un brin plus angélique, si vous me passez l’expression, il ignore totalement que les religieux peuvent céder à la tentation, là où la série semble se diriger vers la question du recours à la prostitution et/ou de la pédophilie.
Regarder les deux œuvres apparaît donc comme complémentaire.
Bonus non-négligeable : puisque la série faisait sa première mondiale lors de Séries Mania (même les spectateurs australiens ne l’ont pas encore vue !), regarder le film peut vous permettre de prendre votre mal en patience. Et très franchement, les deux sont de qualité, alors foncez, vous avez ma bénédiction.
Article également publié sur le site officiel de Séries Mania.