J’aimerais trouver un moyen de vous expliquer pourquoi j’ai tant rechigné à me mettre devant Looking, tout en vous épargnant mon abrutissant monologue intérieur, mais hélas je n’ai pas autant d’imagination.
Disons pour résumer que j’avais deux grandes peurs : la première, que la série ressemble à Please Like Me, que je n’ai pas franchement adorée, et c’est un euphémisme ; le fait que Please Like Me puis Looking soient décrites comme « des version gay de Girls » n’a sans doute pas aidé, mais je devrais commencer à savoir que lire ce genre de comparaisons est presque toujours trompeur et réducteur. Et puis ensuite, pour être tout-à-fait sincère, ma seconde crainte était de ne pas être concernée par Looking. C’est sûrement un peu homophobe de ma part, d’ailleurs, au sens où j’ai pourtant déjà regardé des séries gay et lesbiennes par le passé : un peu de Queer As Folk UK, mais surtout l’intégralité de Noah’s Arc (film inclu !), et Exes & Ohs. Et je l’inclus même pas dans ce calcul les pilotes de The L Word, DTLA et autres The DL Chronicles. Il n’y a simplement pas de raison pour que je craigne qu’une série qui n’aurait que des héros homosexuels ne puisse pas m’intéresser, me plaire, m’émouvoir. C’est même pas rationnel de penser qu’une série, parce qu’elle a des personnages exclusivement homosexuels, va forcément être différente d’une série où les personnages sont tous hétérosexuels ! Comme si l’identification marchait quand je regardais How I met your mother ou Friends with Better Lives, tiens !
Mais enfin, voilà, j’avais reporté le visionnage du pilote pendant quelques semaines, et quoi qu’on en pense, les faits étaient là.
Finalement, il y a quelques jours, j’ai fini par me lancer. J’avais envie d’un pilote et le fait que j’avais un pilote sous la main. Parfois il n’en faut heureusement pas beaucoup plus.
Et j’ai passé les premières minutes du pilote dans ce même état de contradiction interne que je viens de vous décrire, en me demandant ce que je peux bien attendre de si révolutionnaire et si inconnu, que je ne puisse pas le regarder, quand je regarde sans sourciller des pilotes qui se passent en Afrique du Sud, au Maroc ou en Nouvelle-Zélande, pour ne reprendre que des exemples récents. Quelle sorte d’exotisme étrange suis-je en train d’attendre ?!
Je ne sais pas si le pilote de Looking s’est joué de mes préjugés, ou s’il n’en avait rien à foutre qu’on puisse le regarder en étant homophobe, mais il s’est ouvert par une séquence embarrassante dans un fourré qui n’a sûrement pas aidé à me tranquilliser sur ce que j’avais à attendre de la série. Ce n’est que très lentement que le premier épisode a développé son exposition, et, avec une tendresse croissante, a porté une attention aux détails et surtout aux silences. Il faut alors apprendre à lire les personnages en creux. Tout épisode d’exposition qu’il soit, ce pilote ne nous délivre pas grand’chose sur eux au premier abord.
Mais c’est peut-être ce dont j’avais besoin pour apprendre à lire leurs réactions, à deviner leur personnalité, à les connaître en somme. Looking, très doucement, nous invite aux côtés de ces personnages qui ne disent pas grand’chose d’eux et à qui il n’arrive pas tant de choses non plus. C’est une de ces séries-chroniques que d’ordinaire j’aime tant ; simplement, avec des personnages qui n’ont rien en commun avec moi. Je ne vis pas avec mon ex, je ne me prépare pas à emménager avec mon copain, et je ne rencontre personne via des sites de rencontre. Et finalement, comme la plupart des séries s’intéressant au premier plan aux rencontres et relations amoureuses de ses personnages, je me trouve dans une situation dépourvue d’identification et c’est très bien comme ça.
J’avais peur de ne pas comprendre, de ne pas me repérer dans Looking. De la même façon que je ne comprends pas toujours certains choix de mes amis, je ne partage pas forcément ceux des personnages de la série dans ce pilote, mais finalement c’est dissocié de leur orientation sexuelle. Je ne comprends toujours pas pourquoi c’est une redécouverte régulière devant des séries dites « gay », mais c’est quand même bon à prendre.
Dans la façon dont ses personnages vivent, et partagent seulement à moitié ce qui les tourmente les uns avec les autres, Looking m’a rappelé l’ambiance douce-amère de Queer As Folk, son envie de profiter d’un monde de possibilités parfois délurées tout en gardant quelque chose de profondément humain.
Mais plus encore ; parce qu’une série avec des personnages uniquement homosexuels reste toujours un peu une série « gay », qu’il lui faut montrer patte blanche pour être en phase avec la communauté à laquelle elle s’adresse, Looking m’a fait prendre conscience qu’elle était beaucoup plus actuelle que la plupart des séries (y compris américaines) parlant de relation amoureuses. De la rencontre d’un inconnu à l’installation avec un partenaire, Looking n’a pas vraiment le droit d’être déconnectée d’une certaine forme de réalisme, et peut ainsi se libérer du carcan de tant de fictions hétérosexuelles sur le sujet, où chaque personne doit tenir un rôle bien précis. Délivrée des codes stupides de la romance classique dans les fictions, Looking dépeint des personnages modernes, avec des interactions contemporaines ancrées dans le réel. Je ne fais pas personnellement ces expériences, mais je doute moins de leur existence que de celles que je peux voir dans Girls, pour reprendre la comparaison avec sa consœur d’HBO.
Et plus encore, j’ai eu le sentiment, pendant la séquence de fin, que Looking, comme peu de séries sur les questionnements amoureux, parvenait réellement à aborder un sujet généralement passé sous silence : la solitude. Pas la solitude d’Ally McBeal se promenant dans les rues de Boston sur ses hauts talons ; une solitude qui n’est pas romancée. Qui est juste vraie, dure, froide, dans sa façon de se manifester pendant qu’on est au téléphone, qu’on discute avec quelqu’un qui nous est proche, ou qu’on espère que la prochaine fois sera la bonne parce que cette fois on a vraiment pris un risque avec soi-même.
Le pilote de Looking s’est achevé et j’étais en larmes parce que je ne pense pas qu’une série ait parlé de cette solitude comme cela avant, pas à moi, et que tout ce qu’il me restait à faire, c’était d’aller chercher les épisodes suivants.